Alexandra Oxacelay est directrice de la Stëmm vun der Strooss depuis 1998. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Alexandra Oxacelay est directrice de la Stëmm vun der Strooss depuis 1998. (Photo: Guy Wolff/Maison Moderne)

Alors que la Wanteraktioun débute ce mardi 15 novembre, Alexandra Oxacelay, la directrice de Stëmm vun der Strooss, l’association qui y fournit des repas, fait le point sur la situation des personnes défavorisées.

Quelle est la situation actuellement au sein de la Stëmm vun der Strooss?

. – «Au niveau des repas, qui est une de nos activités, depuis le début de l’année 2022, nous en sommes à 95.483 repas servis sur nos deux sites de Hollerich et d’Esch-sur-Alzette. Ce sont des chiffres arrêtés à la fin du mois de septembre, alors qu’en 2021, nous avons servi 100.000 repas mais sur l’année entière. Dès la fin septembre, nous atteignons quasiment les chiffres de l’année 2021 pleine, c’est donc plus que probable que malheureusement nous dépassions les chiffres de 2021. Nous sommes déjà à +26% par rapport à 2019 et +42% par rapport à 2021, en sachant que l’année dernière était encore une année Covid avec des restrictions et que l’on n’a pas pu laisser entrer tout le monde.

Comment expliquez-vous cette hausse?

«On a tous les jours des nouveaux venus, cela explose.

Depuis quand?

«Depuis le Covid je dirais, durant la crise sanitaire on a vu moins de gens à l’intérieur, mais nous n’avons pas moins été sollicités puisqu’on a travaillé différemment et que nous n’avons jamais fermé. On distribuait des repas devant la porte. L’explosion s’est faite à Esch-sur-Alzette où nous avons mis en place une deuxième salle après celle d’Hollerich.

Vous êtes directrice de la Stëmm vun der Strooss depuis 24 ans, quel regard portez-vous sur votre travail, les choses ont-elles empiré?

«Il y a une augmentation constante du nombre de bénéficiaires de l’asbl, depuis que j’ai commencé en 1998. Il n’y a jamais eu une année où j’ai dit: ‘La pauvreté baisse’. Par contre, j’ai remarqué que le profil des gens est devenu plus flou. Il y a 24 ans, on arrivait mieux à répertorier les personnes, à les retrouver, à les reconnaître parce qu’il y en avait moins. Ils n’étaient pas aussi éparpillés dans toute la Ville, et on voyait toujours les mêmes personnes, les travailleurs sociaux connaissaient le nom, les visages, les histoires des bénéficiaires. Il y avait plus de lien, on était plus proches d’eux. C’était un travail plus qualitatif. Maintenant, c’est vraiment devenu l’usine.

Ce sont des gens qui travaillent et qui, au 15 du mois, sont contents de venir manger un repas à 50 centimes chez nous. On ne voit pas qu’ils sont dans le besoin, c’est une pauvreté plus cachée.
Alexandra Oxacelay

Alexandra OxacelaydirectriceStëmm vun der Strooss

Aujourd’hui, les bénéficiaires sont plus nombreux, mais y’a-t-il un plus grand turnover?

«Il reste encore un socle de permanents, mais je dirais que le nouveau public a chassé l’ancien. Les personnes qui sont dans la rue n’aiment pas les endroits surpeuplés où il y a trop de règles, donc ils ne viennent pas. C’est pour ça qu’il est toujours important qu’il y ait des associations plus petites, plus spécialisées, qui ouvrent, et qui répondent à des besoins auxquels plus personne ne répond.

Quelle est la composition du public reçu?

«Il y a beaucoup d’étrangers, à la fois des demandeurs d’asile, mais aussi des gens de la Grande Région, il y a aussi de nouveaux pauvres qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts. Ça, c’est nouveau.

De quelle manière?

«Ils ne venaient pas avant, ce sont des gens qui travaillent et qui, au 15 du mois, sont contents de venir manger un repas à 50 centimes chez nous. C’est une pauvreté moins visible, plus floue. Ce n’est plus le jeune en décrochage scolaire, qui a des problèmes à la maison ou qui en veut à la société, ou la personne alcoolique, etc. Ce n’est plus ce profil-là.

La fracture s’est agrandie durant le Covid?

«Oui, c’est là que ça a explosé. Je me suis dit que ce n’était que le début de la crise. J’ai senti quelque chose arriver, toutes ces peurs que tout le monde avait, tout ce climat d’insécurité, de gestion au jour le jour, d’on ne sait pas vers où on va.

Je n’ai même plus un tiers des gens qui vivent dans la rue qui viennent chez nous. Les deux tiers sont des mal-logés ou des personnes qui vivent dans des foyers.
Alexandra Oxacelay

Alexandra OxacelaydirectriceStëmm vun der Strooss

Pour des résidents luxembourgeois au salaire social minimum, cela devient aussi très compliqué avec la crise énergétique…

«Oui, le problème du Luxembourg est d’avoir les deux extrêmes en termes de niveaux de vie, entre les très hauts salaires et les salaires minimums. Pour moi, il n’y a pas de vraie classe moyenne dans le pays, j’ai l’impression que le clivage se fait encore plus ici. Les riches deviennent toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres. Il n’y a rien entre. Et les richesses ne sont pas redistribuées.

Quel pourcentage de vos bénéficiaires vit dans la rue?

«Je n’ai même plus un tiers des gens qui vivent dans la rue qui vient chez nous. Les deux autres tiers sont des mal-logés ou des personnes qui vivent dans des foyers. Les vrais qui sont dans la rue ne viennent plus ici, ils vont dans les petites structures.

Quelqu’un qui est au salaire social minimum peut-il se loger au Luxembourg?

«Non, il ne peut pas louer, et encore moins acheter. Rien que pour une chambre délabrée le minimum est de 500 euros. Et quand on pense que les gens sont surendettés, malades, etc. Malheureusement, ce qui est terrible, c’est qu’il y a plus de vingt ans on disait déjà cela, mais les choses continuent d’empirer.

C’est-à-dire?

«La donne est la même, mais comme le coût de la vie augmente, les gens sont obligés de faire avec le peu qu’ils ont, et ils font encore moins que ce qu’ils faisaient avant. Heureusement, il y a des épiceries sociales, la gratuité des maisons-relais, et je pense qu’il faudrait plus d’aides adaptées comme ça, plus d’aides individualisées. Mais pour que ce soit vraiment équitable, il ne faudrait pas les donner à tout le monde. Pourquoi moi ai-je droit à la gratuité des maisons-relais, alors que j’aurais toutes les possibilités de payer et je trouverais ça normal de payer et que ce soit gratuit pour d’autres. Il faut une répartition plus juste des richesses, c’est ça qui manque.

D’année en année, on se dit que ça va aller mieux, mais on ne souffle jamais au final.
Alexandra Oxacelay

Alexandra OxacelaydirectriceStëmm vun der Strooss

La Wanteraktioun débute ce mardi 15 novembre, pensez-vous que la demande sera encore plus forte cette année?

«J’en ai très peur. Nous y participons avec les repas, et heureusement que la Wanteraktioun existe. Parce que quand l’année commence comme elle a débuté, c’est un indicateur pour le reste de l’année. D’année en année, on se dit que ça va aller mieux, mais on ne souffle jamais au final.

Comment est financée la Stëmm vun der Stroos? «Nous sommes conventionnés par le ministère de la Santé, mais on fait toujours en sorte de réaliser de nouveaux projets avec des dons, donc 10% de notre budget concernent des activités financées par des dons. On paye 12 salaires avec des dons, dont neuf sont des 50 ans et plus. Nous avons financé la Stëmm Caddy 2 à Sanem, à raison d’un million d’euros, et l’État a payé un peu plus de 5 millions d’euros.

De quoi s’agit-il?

«Pour des raisons d’organisation, d’efficacité et de réduction des coûts, les ateliers Schweesdrëps et Caddy ainsi que le service Immo Stëmm sont dorénavant centralisés sur le même site. Le lieu est destiné à faire travailler 100 personnes en réinsertion professionnelle. Les travaux ont été terminés fin septembre, il s’agit du plus gros projet que l’on n’ait jamais eu.

Combien de salariés représente aujourd’hui la Stëmm?

«Nous avons 74 salariés et 184 personnes en mesure de réinsertion professionnelle actuellement. Une dizaine de personnes devrait être embauchée dans les semaines ou mois à venir.»

La Stëmm vun der Strooss en bref

Fondée en 1996, l’asbl œuvre en faveur de l’intégration sociale et professionnelle de personnes défavorisées. Elle propose une dizaine de services, dont un restaurant social, la Stëmm Caddy, un centre post-thérapeuthique à Schoenfels, un service de consultation médicale, un service social, Immo Stëmm, la publication d’un bimestriel ou encore un service d’accueil et d’hébergement de jour. Plus d’informations sur