Les intermédiaires sont directement visés par la directive DAC 6, en étant forcés de dénoncer leurs clients cherchant à établir un montage fiscal agressif. (Photo: Shutterstock)

Les intermédiaires sont directement visés par la directive DAC 6, en étant forcés de dénoncer leurs clients cherchant à établir un montage fiscal agressif. (Photo: Shutterstock)

Le ministre des Finances vient de déposer le projet de loi obligeant les intermédiaires à signaler les montages fiscaux agressifs à l’Administration des contributions directes à partir du 31 août 2020.

Dans un an, de nombreux professionnels de la Place devront dévoiler à l’Administration des contributions directes les dispositifs transfrontaliers susceptibles de participer à une évasion fiscale. Une obligation déclarative qui découle de la , que les États européens doivent transposer pour une entrée en vigueur le 31 août 2020.

Outil supplémentaire du couteau suisse développé par la Commission depuis la crise de 2008 dans le but de traquer l’évasion fiscale, la sixième directive sur la coopération administrative élargit l’obligation de vigilance aux intermédiaires, à savoir les conseillers fiscaux, comptables, banquiers, fiduciaires et avocats, actifs dans la planification fiscale pour le compte de leurs clients.

Le ministre des Finances, , a déposé, le 8 août dernier, le , visant à transposer la directive dans le droit luxembourgeois.

La directive cerne les dispositifs de planification fiscale à caractère potentiellement agressif à travers une liste constituée des caractéristiques et éléments des opérations présentant des signes potentiels d’évasion fiscale ou de pratiques fiscales abusives.

Projet de loi relatif aux dispositions transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration

«Le présent projet de loi vise à transposer en droit luxembourgeois la directive (UE) 2018/822 et introduit une obligation de déclaration de certains dispositifs transfrontières concernant plusieurs États membres ou un État membre et un pays tiers», indique l’exposé des motifs. «Les informations ainsi déclarées sont ensuite échangées de manière automatique avec les autorités fiscales des autres États membres.»

Inspirée de l’action 12 du plan Beps (érosion de la base d’imposition et transfert de bénéfices), la directive ambitionne de mettre un coup d’arrêt aux dispositifs transfrontières permettant à un contribuable de se soustraire à l’impôt, en appelant les professionnels experts dans ces montages fiscaux à endosser la responsabilité de signaler tout agissement hors des clous.

«Les dispositifs de planification fiscale à caractère agressif ont évolué au fil des ans pour devenir toujours plus complexes et font en permanence l’objet de modifications et d’ajustements pour répondre aux contre-mesures défensives prises par les autorités fiscales», constate la directive, qui assume une approche différente pour mettre fin au jeu du chat et de la souris entre les autorités fiscales et les champions de la planification agressive. «Plutôt que de définir la notion de planification fiscale agressive, [la directive] cerne les dispositifs de planification fiscale à caractère potentiellement agressif à travers une liste constituée des caractéristiques et éléments des opérations présentant des signes potentiels d’évasion fiscale ou de pratiques fiscales abusives», explique le législateur dans le commentaire des articles du projet de loi.

Des marqueurs à surveiller

La directive énumère ainsi des «marqueurs» à considérer, en gardant en tête le critère dit de l’avantage principal – le montage doit être réalisé avec l’intention d’obtenir un avantage fiscal. Les intermédiaires doivent ainsi signaler «un dispositif dans lequel un participant au dispositif prend artificiellement des mesures qui consistent à acquérir une société réalisant des pertes, à mettre fin à l’activité principale de cette société et à utiliser les pertes de celle-ci pour réduire sa charge fiscale, y compris par le transfert de ces pertes à une autre juridiction ou par l’accélération de l’utilisation de ces pertes», ou bien, en matière d’opérations transfrontières, «un dispositif qui prévoit la déduction des paiements transfrontières effectués entre deux ou plusieurs entreprises associées», alors que «le bénéficiaire ne réside à des fins fiscales dans aucune juridiction fiscale».

Autre exemple: «le transfert ou la conversion d’une institution financière, d’un compte financier ou des actifs qui s’y trouvent en institution financière, en compte financier ou en actifs qui ne sont pas à déclarer en vertu de l’échange automatique d’informations sur les compte financiers», ou encore «un dispositif prévoyant le transfert d’actifs incorporels difficiles à évaluer».

Les avocats partiellement exemptés

S’éloignant de son habitude de transposer a minima, le législateur n’a pas repris entièrement l’esprit de la directive quant aux exemptions qu’elle prévoit. Des exemptions qui concernent les avocats. «Chaque État membre peut prendre les mesures nécessaires pour accorder aux intermédiaires le droit d’être dispensés de l’obligation de fournir des informations concernant un dispositif transfrontière devant faire l’objet d’une déclaration lorsque l’obligation de déclaration serait contraire au secret professionnel applicable en vertu du droit national dudit État membre», indique la directive.

«En pareil cas, chaque État membre prend les mesures nécessaires pour que les intermédiaires soient tenus de notifier sans retard à tout autre intermédiaire, ou, en l’absence d’un tel intermédiaire, au contribuable concerné, les obligations de déclaration qui leur incombent.»

Ce n’est pas une victoire à 100%.
Me François Kremer

Me François KremerbâtonnierOrdre des avocats

La directive autorise ainsi les États membres à exempter les avocats de cette obligation de déclaration. Ce qu’a d’ailleurs fait l’Allemagne, comme le rappelait le Barreau de Luxembourg, au titre du secret professionnel liant un avocat à ses clients. Mais le législateur a opté pour une application partielle de cette exemption. Certes, il reconnaît devoir respecter le secret professionnel qui s’impose à l’avocat et «protège les informations obtenues de la part d’un client ou d’un tiers». La directive prévoit dans ce cas, et en l’absence d’autres intermédiaires, que l’obligation de déclaration incombe au contribuable concerné.

Mais le législateur entend ne pas laisser les avocats libres de toute obligation, surtout en raison de la «nécessité d’obtenir en temps utile des informations sur les dispositifs transfrontières devant faire l’objet d’une déclaration». «Il est proposé que les intermédiaires concernés par la dispense soient néanmoins obligés de transmettre un certain nombre d’informations en lien avec ces dispositifs transfrontières», à savoir «des informations de nature générale relatives à ces dispositifs qui ne permettront pas d’identifier les contribuables concernés».

Une précision qui interpelle le bâtonnier de l’Ordre des avocats, , contacté par Paperjam.lu. «Les avocats sont heureux de constater qu’il a été fait application de l’exemption prévue et que le secret professionnel de l’avocat est sauf», précise-t-il en premier lieu. «Mais ce n’est pas une victoire à 100%.» L’obligation de dénoncer un client qui consulte son avocat pour lui demander conseil irait à l’encontre du secret professionnel et serait de nature à briser la confiance nécessaire entre l’avocat et son client. Le Conseil de l’Ordre sera amené à préciser sa position après en avoir discuté probablement au mois de septembre.