Pour le maire de Thionville, Pierre Cuny, l’ouverture, à l’automne, de la passerelle sonnera comme le lancement de la construction de nouveaux logements le long de la Moselle, mais côté gare. (Photo: Paperjam)

Pour le maire de Thionville, Pierre Cuny, l’ouverture, à l’automne, de la passerelle sonnera comme le lancement de la construction de nouveaux logements le long de la Moselle, mais côté gare. (Photo: Paperjam)

Avec ses 40.000 habitants, Thionville est la plus grosse ville frontalière du Luxembourg. Une ville où le maire, Pierre Cuny (Les Républicains), a les coudées de plus en plus franches, au rythme des victoires électorales de son camp dans la région. Le télétravail doit se régler via un nouveau schéma, dit-il.

Bien avant son élection aux départementales, Pierre Cuny avait entendu et écarté les sirènes parisiennes qui lui promettaient un strapontin de ministre au service du président français, Emmanuel Macron. Homme de droite, jeune en politique, mais pas novice, le maire de Thionville entend surtout se consacrer à «sa» ville. Dans son bureau, ce jour de braderie, le médecin rend un diagnostic très optimiste, tandis que la télévision diffuse les images du Tour de France, mais pas le son.

«Aujourd’hui, il y a un alignement des planètes», commence-t-il, avec énergie. «En termes de mobilité, les choses ont extrêmement changé depuis quatre ans. Nous en étions aux balbutiements. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation où il y a une prise de conscience des politiques, en particulier français, parce que, du côté luxembourgeois, ils étaient plutôt en attente. Jean Rottner a été réélu président de la Région, et il a poussé la place de la Région sur le sujet. Localement, un certain nombre d’élus, dont moi, ont pris le sujet à bras-le-corps.»

À Thionville, parler de mobilité est aussi souvent parler de télétravail. Le maire a changé, mais n’a pas perdu la mémoire. «Sur le plan du télétravail, entre 2016 et aujourd’hui, les choses ont bien changé. À ce moment-là, j’avais dit que le télétravail devait être un argument de vente dans le contrat de travail. À l’époque, la Chambre de commerce luxembourgeois disait que nous exagérions. Aujourd’hui, nous devons aller plus loin sur le télétravail. Nous devons pouvoir offrir deux jours de télétravail par semaine pour ceux qui le peuvent, dans des conditions de sécurisation au niveau du travail, ça veut dire en y intégrant les espaces de coworking, sur lesquels nous avons été les pionniers. Aujourd’hui, grâce à cela, nous avons eu un désengorgement de toutes les voies d’accès, routes et voies de chemin de fer, parce que les gens continuent de télétravailler…»

Vous êtes sûr? À prendre l’A31 le matin et le soir, on dirait quand même que beaucoup ont repris une activité normale… Surtout que les TER sont à nouveau très perturbés…

Pierre Cuny. – «Peut-être, mais le télétravail reste encore largement pratiqué. Un des grands enseignements de cette crise est que le numérique a permis de sauvegarder un certain nombre de choses, dont le travail chez soi. Même si je suis beaucoup plus pour un télétravail dans des lieux clairement identifiés. 

Ça sous-entend que les gouvernements s’entendent au niveau de la fiscalité. Puisqu’à chaque nouvelle période, tout le monde est suspendu à la décision de la France, de la Belgique ou de l’Allemagne, de permettre de prolonger l’accord, et donc d’augmenter les jours de télétravail sans que le frontalier n’ait besoin de payer ses impôts sur le travail dans son pays de résidence…

«Je suis favorable à une neutralisation de la fiscalité prélevée dans le cadre du télétravail du côté français…

Qu’est-ce que ça veut dire, neutralisée?

«Aujourd’hui, les Français disent qu’ils n’ont aucun problème avec le télétravail. Au-delà du 30e jour, vous devez payer intégralement vos impôts en France, mais vous pouvez télétravailler autant que vous voulez, la fiscalité est prélevée en France. Il y a une certaine logique, puisque ce sont des gens qui sont sur le territoire français au-delà de ce qui est déjà légal. Du côté luxembourgeois, notre ami (DP), le ministre des Finances, dit aussi qu’il n’est pas opposé à trois jours par semaine. Simplement à condition que la fiscalité du travail revienne au Luxembourg. Comme, de chaque côté, on cherche des financements conjoints, du co-développement, ou de la co-construction, je propose que la fiscalité prélevée dans le cadre du télétravail soit fléchée sur la co-construction franco-luxembourgeoise, notamment en termes d’infrastructures de mobilité. Je pousse partout pour cette solution.

Il faut qu’on accentue le rééquilibrage fiscal entre la France et le Luxembourg, mais je ne suis pas dans une dynamique de rétrocession pure et dure comme ça se passe avec la Suisse.
Pierre Cuny

Pierre Cunymaire de Thionville

Est-ce que vous avez une idée de l’enveloppe financière de cette solution?

«Non, je ne sais pas. Des dizaines de millions d’euros. Nous devrions regarder ce qu’il en est. Ça éviterait d’avoir un effet d’aubaine pour ceux qui télétravaillent même très loin de Luxembourg.

Qui gère la caisse? C’est la première question que poseront les Luxembourgeois, qui n’ont, à juste titre, pas envie que cet argent ne serve finalement qu’à compenser les dépenses parfois immodérées des Français…

«La conférence intergouvernementale, à laquelle vous rajouteriez les collectivités territoriales, représentées ici par le Pôle métropolitain frontalier, et la Région. Voire les deux départements qui sont concernés, Moselle et Meurthe-et-Moselle, et puis basta!

Et que ferait-on de cet argent?

«Il faut qu’on accentue le rééquilibrage fiscal entre la France et le Luxembourg, mais je ne suis pas dans une dynamique de rétrocession pure et dure comme ça se passe avec la Suisse, ou comme c’est porté par Dominique Gros (l’ex-maire de Metz, ndlr). Les 110 millions d’euros qui ont été fléchés sont largement insuffisants! La troisième voie et le REM, sorte de RER entre Luxembourg et Metz, font partie de ces projets, des centaines de millions d’euros qui pourraient être financés par ce biais. La position de Dominique Gros n’est pas absurde non plus. Moi, je rappelle que, dans son calcul, j’encaisserai 20 millions d’euros dans sa simulation.

Je ne demande pas qu’on me paye une crèche! Par contre, dans le fonctionnement de la crèche où 60-70% des enfants sont ceux des frontaliers, le reste à charge doit être partagé. Je demande aussi un droit à la formation. Un peu comme le monde du football. Que le gamin ou la gamine qui ont été formés dans une entreprise lorraine, qui ont par exemple moins de cinq ans de boîte et qui sont débauchés par une entreprise luxembourgeoise, fassent bénéficier l’entreprise de formation d’un dédommagement. Ce qui permettrait d’augmenter un peu les salaires du côté français, sans avoir à travailler sur une zone franche. Ce retour sur investissement permettrait de continuer à développer une formation de qualité. Le problème est du côté français, c’est à nous d’imaginer un système. Si, sur 10 infirmières que nous formons, 3 partent au Luxembourg, nous n’avons qu’à en former 15…

C’est ce que dit aussi le maire de Metz, François Grosdidier…

«Ça commence à se faire. Le nombre de places au niveau des écoles d’infirmières à Metz-Thionville a été augmenté de 30%. Ça a un coût. Ce qui n’est pas discuté aujourd’hui, c’est qu’on a besoin, pour augmenter la formation, d’augmenter la taille des locaux. Mais qui paie?

C’est plus intelligent. Surtout que, même le ministre des Finances a déjà évoqué un centre de formation franco-luxembourgeois sur ces métiers-là, puisque le Luxembourg est en forte demande.

«Bien sûr! Aujourd’hui, c’est Bruno Le Maire qui bloque. Le ministre français de l’Économie dit qu’il vient de faire un cadeau fiscal d’un an. On a bien vu que la crise du Covid-19 mettait en évidence que, si on fermait les frontières, on avait un sacré problème. On a un avenir en commun. Cette neutralisation, qu’on la donne par un canal ou par un autre, c’est pareil. 

Est-ce qu’on doit parler davantage de mobilité ou d’immobilité? Tous ces vieux sujets archi-connus et qu’on nous ressert en permanence, à nous, utilisateurs du train ou de l’A31…

«Prenez le REM, projet que j’ai porté. Les gens de la SNCF nous expliquaient, il y a trois ans, qu’entre Luxembourg et Metz, il y avait 125 trains, dont 65 trains de marchandises. Entre Metz et Nancy, pareil, 120 trains, dont 20 trains de marchandises. Lorsque les trains arrivent à Metz, 30% partent à Strasbourg, 40% à Reims et Paris, et 30% restent là. Au lieu de nous parler de la troisième voie ferroviaire, commençons déjà par dévier des trains de marchandises. Il y a aujourd’hui des voies annexes qui sont inutilisées, à partir d’Arlon et vers Longuyon, ça éviterait d’engorger le sillon lorrain. Il ne faut pas réduire le ferroutage, mais le faire passer ailleurs: il y a 50 ans, on déchargeait dans les gares de villes centrales; aujourd’hui, dans des hubs, à Metz ou Thionville. Il faut avoir une analyse fine des trains de marchandises. Si on n’en déviait que 50%, 35 trains ne passeraient plus.

Ensuite, il faut construire cette troisième voie. Le REM entre Nancy et Thionville ne pose pas les mêmes problèmes entre Nancy et Metz qu’entre Metz et Luxembourg. J’ai réussi à mettre en sourdine le fameux monorail pour fédérer tous les acteurs autour de cette voie au lieu d’avoir un message troublé. Le monorail n’est pas absurde, mais irréalisable, il faudrait investir dans tous les parkings et connexions entre les gares. Ça coûterait des centaines de millions d’euros. Au lieu de cela, on pourrait avoir un train Thionville-Luxembourg toutes les sept minutes. Aujourd’hui, on est à 12.000 personnes transportées; en 2025, on va passer à 25.000, et en 2028, on serait aux alentours de 40.000. Ça, le télétravail et la troisième voie autoroutière…

Ce vieux serpent de mer…

«Pour moi, elle ne va rien régler, mais remettre à niveau l’infrastructure routière, qui aurait dû être à deux fois trois voies il y a déjà 25 ans.

Est-ce qu’on a les terrains? Vu qu’à Terville, par exemple, on s’est dépêché de construire en bord d’autoroute pour éviter cela? Quid des ouvrages d’art?

«Aucun problème! Est-ce qu’on imaginerait avoir, entre Beaune et Lyon, deux fois deux voies? Non! Ça ne va pas nous sauver, mais dans le transit autoroutier, si.

Avec une écotaxe, bien sûr?

«Oui. Mais à deux fois trois voies. Le tronçon Luxembourg-Thionville ne pose aucun problème, il y a un ouvrage d’art à écarter, un ou deux. Le problème est dans la traversée de Florange: il faut un tunnel pour éviter les nuisances. Le tracé par Serémange ne doit pas être une condition sine qua non. Je parle d’une temporalité différente entre les deux parties. Mais commençons par Thionville-Luxembourg. Le contournement de Metz n’a pas attendu qu’on se décide au nord du département… Et réservons cette voie aux bus et au covoiturage.

Mais comment réglez-vous la question de l’écotaxe? J’insiste.

«À partir du moment où on donne la possibilité à un département frontalier de lever l’écotaxe, tout département devrait pouvoir en faire autant. Ce n’est même plus de l’équité territoriale, mais de l’égalité. Nous avons trois frontières, et l’Alsace n’en a que deux. Sous prétexte que l’A35 deviendrait le repaire des Allemands, nous, c’est pareil. Nous avons déjà les portiques qui vont bien.

Il y a beaucoup d’acteurs de logistique sur cet axe, qui vont se plaindre de ce surcoût…

«On pourrait très bien la mettre en place pour le transit, comme en Allemagne, en Suisse, en Autriche, partout. Le routier hollandais de Rotterdam vient faire son plein à Berchem, traverse la France et va faire son plein du côté espagnol…

Où en est-on avec la passerelle, qui doit permettre de rallier la gare sans devoir aller jusqu’au pont des Alliés? Cette fameuse passerelle qui s’était pliée lors de sa première installation? Selon le cabinet d’études Citizing, elle devrait permettre d’économiser l’émission de 7 tonnes de CO2 par an, de diminuer de 50.000km le parcours des automobilistes et de leur faire gagner 45.000 heures de trajets.

«La passerelle, elle est déposée. Elle est magnifique. Est-ce que vous l’avez vue?

(Le maire se lève et nous emmène sur le pont des Alliés, puis dans le quartier Gare, pour y parler de l’aménagement de nouveaux logements, d’un nouveau restaurant avec sa terrasse au bord de la Moselle. Il fait beau, les terrasses sont pleines, et la Braderie bat son plein.)

La passerelle doit maintenant être rattachée aux rives et couverte pour pouvoir être ouverte en fin d’année. L’autre enjeu est de supprimer le trafic sur le pont des Alliés et de rendre cette partie du centre-ville aussi piétonne que possible. Nous avons déjà remplacé le parking (entre l’église et la Moselle) par un parc, et nous allons faire la même chose de l’autre côté (entre la Tour aux puces et la Moselle). Quant au parking sur l’ancien site de la gare routière, il sera aussi amené à disparaître. En échange, nous allons créer un parking silo, place du Luxembourg, de 450 places pour 10 millions d’euros. Le coin de la passerelle nous a coûté près de 10 millions d’euros, dont 6,8 millions pour la passerelle, qui a reçu 5,3 millions d’euros de subventions.

Pourquoi vouloir supprimer ces parkings, alors que la ville compte de nombreux commerces vides et semble être victime du même mal que tellement d’autres centres-villes du même type?

«Je ne peux pas laisser dire cela, ce n’est pas vrai. Il y a 120.000 personnes qui fréquentent le centre-ville chaque semaine. Le taux de vacance des commerces, qui était, c’est vrai, monté à 21%, est redescendu à 14%, la moyenne nationale…

Parce que la Ville a elle-même racheté certaines cellules…

«Non. Est-ce que vous trouvez qu’accueillir la librairie Hisler (une référence à Metz, ndlr) soit une mauvaise chose? Et l’arrivée de Paul en plein cœur de la ville? Et celle de Starbucks, qui va suivre? Ou celle de Basic-Fit? Non, la vérité est que nous avons installé, effectivement, dans les locaux de la Pharmacie du beffroi, une cellule spécialement dédiée à l’installation de nouveaux commerçants dans le centre-ville. Une sorte de guichet unique qui complète le recrutement d’un manager de ville.

Du coup, sans place pour venir en ville? Ce qui reste un argument des clients potentiels?

«Outre ce parking silo de 450 places, nous en construirons un deuxième de 700 places pour 2022, cofinancé par le Luxembourg, sur l’ancien site de Sernam, qui s’ajoutera au park & ride de Metzange de 700 places. Soit trois parkings pour près de 2.000 places, avec le bus à haut niveau de service. Après les premiers logements construits du côté de la gare, 500 autres seront progressivement construits le long de la Moselle, côté gare. Au bout du parc Napoléon, nous allons créer un pont vers l’autre côté de la Moselle pour le bus à haute fréquence. Là aussi, la reconversion des anciennes friches sidérurgiques d’Etilam va permettre de construire près de 1.000 logements. Mon but est que la Moselle traverse Thionville. La Clinique Ambroise Paré de Thionville va déménager dans la zone de Yutz-Meilbourg, où il y a Decathlon.

Le Groupe Louis Pasteur Santé, propriétaire de l’établissement, va investir 32 millions d’euros pour reconstruire une clinique de 12.000m². On a créé des jardins intérieurs, nous avons le premier mur végétal pour une commune de notre taille (en face de l’ancien commissariat, ndlr). 45% des personnes qui vivent à Thionville sont des frontaliers, et le centre hospitalier reste le premier employeur, et de loin. Aujourd’hui, je pense que les gens en ont assez des polémiques politiciennes et veulent trouver un cadre de vie adapté à leurs besoins et leurs envies. Un cadre apaisé.

Quid du centre de vaccination au théâtre municipal? J’imagine que cela n’a pas vocation à durer ad vitam æternam?

«Non. Cet été, le théâtre récupérera ses locaux. Nous sommes en train d’organiser une sorte de permanence de vaccination réduite, dans une salle encore à définir. Le gymnase Jean Burger, construit dans les années 1960, a été détruit et doit être reconstruit dans la perspective des Jeux olympiques de 2024.»