Pierre Cuny explique dans sa tribune qu’il «réclame (...) un seuil d’un jour par semaine de télétravail autorisé entre le Luxembourg et la France sans remise en question du statut fiscal et social de l’employé». (Photo: Patricia Pitsch/Maison Moderne/Archives)

Pierre Cuny explique dans sa tribune qu’il «réclame (...) un seuil d’un jour par semaine de télétravail autorisé entre le Luxembourg et la France sans remise en question du statut fiscal et social de l’employé». (Photo: Patricia Pitsch/Maison Moderne/Archives)

Le maire de Thionville et président du Sillon lorrain, Pierre Cuny, a publié une tribune dans laquelle il milite pour le télétravail comme solution aux problèmes de mobilité des 100.000 frontaliers français du Luxembourg. Nous la publions en intégralité.

«La Lorraine a toujours été une terre de travail. La sidérurgie en étant l’activité principale, de véritables fleurons industriels font rayonner la région. À la pointe de la révolution industrielle, la région doit désormais répondre aux enjeux de la mobilité et du travail transfrontalier. Notre voisin luxembourgeois est en effet devenu en quelques années un important pourvoyeur d’emplois.

Ce sont ainsi, aujourd’hui, plus de 100.000 frontaliers qui se rendent chaque jour au Luxembourg pour exercer leur activité professionnelle. Les prévisions d’évolution indiquent une augmentation constante de leur nombre, pouvant atteindre 150.000 d’ici 2035. Chaque jour, ce sont donc des milliers d’habitants qui prennent leur voiture et empruntent l’A31 ou autres routes secondaires pour des trajets de 1h30 pour 30km.

Des milliers d’autres qui se rendent dans les gares pour tenter de trouver une place parmi les 12.000 qu’offre la capacité du TER à destination du Luxembourg dans des conditions dénoncées quotidiennement sur les réseaux sociaux. Chaque jour, des concitoyens m’interpellent sur les difficultés rencontrées pour se rendre au Luxembourg et sur la dégradation de leurs conditions de travail, avant même de l’avoir réellement commencé.

Une bulle sociale que leur ras-le-bol peut faire éclater.
Pierre Cuny

Pierre Cunymaire de Thionville

De plus en plus de personnes font d’ailleurs le choix de quitter leur vie professionnelle au Luxembourg, épuisées par ces trajets inconfortables, stressants et à la régularité incertaine. Ce travail frontalier est pourtant une chance pour notre région. Plus globalement, c’est une chance pour cet espace européen dans lequel les frontières nationales devraient s’estomper encore davantage, sur le plan du travail notamment.

Or, la question de la mobilité est un frein sérieux à ce développement économique. L’exaspération des usagers de la route ou du train, confrontés à toujours plus de difficultés pour se rendre à leur travail, ayant créé une véritable bulle sociale que leur ras-le-bol peut faire éclater.

Que faire?

La région Grand Est multiplie par deux le nombre de places sur le réseau ferroviaire. L’État engage le chantier de l’A31 bis, indispensable, mais qui prendra encore du temps dans sa décision et dans sa réalisation. Les collectivités, dont la Ville de Thionville et la Communauté d’agglomération Portes de France-Thionville, aménagent les abords des gares, construisent des parkings de covoiturage, poussent pour des projets innovants tels que le monorail.

Une journée de télétravail par semaine, c’est 20% de trafic en moins.
Pierre Cuny

Pierre Cunymaire de Thionville

Ces investissements sont ainsi en cours de déploiement, mais demandent inévitablement du temps et de l’argent. En attendant, nos frontaliers continuent de galérer malgré, je le souligne, la prise de conscience de l’État, de la Région Grand Est, et même du Luxembourg, qui est ouvert à un codéveloppement sur des projets concrets.

Pour autant, une solution pourrait dès aujourd’hui répondre en partie et de façon complémentaire, et très rapide, à cet enjeu de mobilité: le télétravail. Cet usage se développe partout en France et dans le monde et offre aux salariés des espaces de télétravail vécus comme des plages de confort dans les rythmes effrénés.

Le télétravail traduit parfaitement les attentes des employés modernes alliant liberté, souplesse et confiance. Il s’inscrit également pleinement dans l’ère du numérique qui nous libère de contraintes physiques. Le télétravail permet ainsi d’éviter des déplacements, sources de stress et de risques, vers le lieu de travail. Soulignons la vertu environnementale non négligeable que cela représente.

Une journée de trafic de l’A31 produit 1.000 fois plus de gaz à effet de serre que les rejets atmosphériques des usines de nos territoires. Une journée de télétravail par semaine, c’est 20% de trafic en moins, donc 20% de pollution automobile en moins. Le gain est énorme.

Qui dit emploi frontalier, dit législations différentes.
Pierre Cuny

Pierre Cunymaire de Thionville

Le télétravail est une vraie réponse à la mobilité, à l’environnement et au bien-être des salariés. Tous les économistes confirment qu’il contribue au développement économique, à la création de richesse, en offrant une réponse complémentaire aux autres modes de transport, et, enfin, une réponse du 21e siècle. Pour toutes ses vertus, le télétravail doit devenir la nouvelle forme de travail de notre espace frontalier.

La route est saturée? La route pollue. Télétravaillons! Quelques heures, le temps que la route soit dégagée, ou bien un jour par semaine comme un répit bienvenu. Oui mais voilà, qui dit emploi frontalier, dit législations différentes. Et c’est là que j’en appelle à notre gouvernement et à notre législateur, car le cadre légal du télétravail frontalier n’est pas lisible et freine son développement, alors même qu’il pourrait être une solution pertinente.

Le dernier accord fiscal entre les deux États, issu d’un séminaire gouvernemental bilatéral ambitieux, créait ainsi un seuil de 29 jours de travail autorisé en France pour un salarié d’une entreprise luxembourgeoise sans changement de statut fiscal. Belle avancée pour tous ceux qui rayonnent professionnellement dans l’espace de la Grande Région, et pour l’administration fiscale, qui dispose ainsi d’une base légale pour qualifier l’assujetti à l’impôt en France.

Seuil pour autant inadapté au télétravail, qui mérite d’être distingué du travail délocalisé. Au contraire, le télétravail est un nouveau mode de travail qui doit être considéré à part entière et doit répondre à un régime juridique adapté. Je réclame ainsi un seuil d’un jour par semaine de télétravail autorisé entre le Luxembourg et la France sans remise en question du statut fiscal et social de l’employé.

La France doit innover sur cette question.
Pierre Cuny

Pierre Cunymaire de Thionville

Le Luxembourg est prêt à cela, dans un souci de codéveloppement, de réduction du trafic routier quotidien, de protection de l’environnement et de bien-être des salariés qui font tourner son économie. Les responsables politiques me le confirment régulièrement.

La France doit innover sur cette question. Au bénéfice des habitants de nos territoires frontaliers, de nos infrastructures saturées et de l’environnement. Nous avons tout à gagner, et rien à perdre.

Viendra inévitablement ensuite la question du contrôle des seuils de télétravail autorisés. Pour cela, le télétravail doit lui-même innover en s’installant dans des espaces de coworking adaptés, agréables et multiservices. Ces lieux, dont le premier, le S-Hub, vient d’ouvrir à Thionville, représentent de nombreux avantages et pourraient être des lieux certifiés de télétravail.

Pour nos habitants et pour le développement de nos territoires, innovons et ne nous freinons pas, au risque de rester au 20e siècle!»