L’e-supporter club du FC Barcelone est aujourd’hui le plus «bankable». Il vaut 51 millions d’euros, soit autant que les trois suivants – le PSG, le Galatasaray et l’AC Milan. (Photo: Shutterstock)

L’e-supporter club du FC Barcelone est aujourd’hui le plus «bankable». Il vaut 51 millions d’euros, soit autant que les trois suivants – le PSG, le Galatasaray et l’AC Milan. (Photo: Shutterstock)

À deux semaines exactement de l’ouverture de l’Euro 2021 de football, les amateurs du ballon rond sont un public très courtisé par certains clubs de football. À l’heure où les clubs de supporters, de tifosi ou de socios se réinventent grâce à des apps et des tokens, leurs euros vaudront bientôt de l’or.

Les chasseurs de Pokémon n’ont qu’à bien se tenir! Qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’une chape de plomb les incite davantage à aller boire une bière devant la retransmission d’un match de football, bientôt, les socios parcourront les rues du Luxembourg, le nez collé à leur smartphone, à la recherche de «token» – (je le sais, j’en ai trouvé cinq autour de Maison Moderne, ce mercredi, ndlr) –, ces sortes de pièces de monnaie virtuelles.

Fini d’aller à la buvette du stade, avant le match, à la mi-temps et à la fin du match, le nouveau supporter d’une équipe de football est forcément connecté. Au lieu de proférer de vagues insultes quand un joueur de son équipe n’avance pas assez vite ou vient d’expédier un missile dans l’espace plutôt qu’au fond du filet adverse, il s’est inscrit sur Socios. Il a rempli les obligations d’usage en quelques minutes avant de s’enrôler dans un des camps de supporters. Une quinzaine d’équipes, dont certaines du plus haut niveau – comme le PSG, le FC Barcelone, Manchester City ou la Juve –, ont rejoint l’aventure lancée par Alexandre Dreyfus, joueur de poker invétéré devenu star de la blockchain à Malte après avoir cofondé Winamax, un des sites leaders des paris en ligne.

Chiliz, sa start-up placée sous la surveillance du régulateur financier estonien, ne vend pas de produits financiers mais surfe sur la mode des cryptomonnaies pour tenter de fédérer les fans, les tifosi, les supporters. Une fois l’inscription terminée, tout le monde ne participe pas à la «token hunt» quotidienne, certains préfèrent acheter des «fan tokens» de leur équipe favorite grâce à leur carte de crédit. Ces tokens donnent accès à l’univers du club dans l’écosystème socio, aux sondages organisés par le club, aux concours et à diverses opérations de communication pour que le fan sente que le club l’entend!

4,5 millions d’euros par an pour le PSG

Ce jeudi, par exemple, le «fan token» le plus cher est celui de Manchester City, à 19,39 euros, devant celui du FC Barcelone (16,96 euros) et celui du PSG (16,66 euros). Dans la boutique mancunienne, un seul sondage, «Quel a été votre moment préféré de la saison, jusqu’à présent?», pour gagner un fond d’écran pour smartphone; quatre jeux-concours pour gagner «une expérience au Etihad Stadium», un maillot du club. C’est light, comme avantages? Patience, les clubs découvrent petit à petit le concept et peuvent ajouter de nouveaux revenus à leurs budgets.

Le PSG, par exemple, a signé un partenariat à 4,5 millions d’euros par an pendant quatre ans avec Chiliz pour avoir son e-supporter club. Le club le plus aimé et le plus détesté de France, selon un benchmark de Statista qui commence un peu à dater (2018), sait que seuls 22% des supporters français sont affiliés à un supporter club alors qu’ils dépensent en moyenne 786 euros «de football» par an quand ils sont fidèles à un club, ou 1.133 euros par an quand ils ne jurent que par le football. À 23 millions de supporters de la première sorte et 11 millions de la seconde, cela représente déjà 30,5 millions d’euros, dont 45% partent dans l’achat de billets. Restent donc près de 20 millions à capter pour les clubs, même éloignés physiquement de ceux qui les aiment. Le chiffre est modeste au regard des 600 millions d’euros de budget annuel pour le club parisien, mais tout est bon à prendre.

Celui qui a une action de Rome est fier d’être actionnaire, et il s’en fout de la performance de l’action! Il n’a pas acheté du Facebook ou du Tesla! C’est le meilleur actionnaire au monde. Il s’en moque des résultats financiers, tant que le club est performant.

Gerard Lopezex-président du Losc, qu’il a mené au titre de Champion de France

Plus les clubs animeront ces nouveaux espaces, plus ils auront de membres qui y dépensent de l’argent, et plus ils pourront renégocier leurs contrats à la hausse avec la start-up maltaise, pour qui l’affaire reste – et de loin – la plus juteuse. Née de la volonté de quelques acteurs comme le magnat des télécoms Xavier Niel, l’aventure a été financée par 66 millions d’euros de fonds privés à l’origine non connue. Ce qui a permis à la start-up de financer l’émission de 8,8 milliards de tokens, dont 5,8 sont aujourd’hui en circulation pour une valorisation de 1,5 milliard d’euros, selon CoinMarketCap. Or, les cartes de crédit des supporters permettent d’acheter des tokens de Chiliz, qui donnent accès aux Fan Tokens de Socios. Autrement dit, plus les supporters de football mettent d’argent dans l’aventure, plus la rareté des Chiliz s’affirme, et plus leur valeur augmente.

Un projet en cours pour Tokeny

Comme dans tous les lancements de monnaies cryptées, les initiateurs du projet bénéficient dès son lancement d’une partie de ces tokens, cependant difficiles à revendre en une fois sans voir le cours de la monnaie s’effondrer… Le Chiliz a tellement bien démarré qu’il occupe déjà la 53e place des 6.500 monnaies cryptées sur le marché.

Il existe déjà quelques initiatives du même genre, comme Crypto Sports, de l’Américain Mason Arnao (qui s’intéresse davantage à l’e-sport qu’au football), Sportcash One, du prof de surf américain Roberto Moretto et du footballeur américain Andrew Lubahn qui a fait ses classes au Cercle de Bruges, ou encore All Sports, partie de Singapour mais pas encore très active.

Les deux derniers projets vont davantage sur un terrain de chasse sur lequel on devrait retrouver prochainement une des fintech-stars du Luxembourg: la tokénisation des assets de l’industrie du sport en général, et du football en particulier. Tokeny se prépare, pour une société d’agents de joueurs, à tokéniser un fonds d’investissement qui détiendrait des droits à l’image de stars montantes du football. Dans un marché des transferts à 6,1 milliards d’euros en 2019, un tiers concerne les droits à l’image. Les investisseurs particuliers de ce fonds, d’une maturité de trois à cinq ans, connaîtraient dès le départ la rentabilité du fonds et toucheraient 5% de ces royalties du sport par an.

Le supporter a-t-il vraiment envie de devenir un e-supporter? C’est une autre question, qu’il faudrait poser à un sociologue. S’il n’est pas déjà parti lui-même à la chasse aux tokens cachés dans la ville…

Cet article est issu de la newsletter hebdomadaire Paperjam Trendin’, à laquelle vous pouvez vous abonner .