Jean-Pierre Schmit espère que la crise «permettra aussi à la société d’adopter une autre culture vis-à-vis de l’échec d’une aventure entrepreneuriale.» (Photo: Jan Hanrion/Maison Moderne/archives)

Jean-Pierre Schmit espère que la crise «permettra aussi à la société d’adopter une autre culture vis-à-vis de l’échec d’une aventure entrepreneuriale.» (Photo: Jan Hanrion/Maison Moderne/archives)

CEO et fondateur de Jemmic, Jean-Pierre Schmit est aussi, durant cette année très particulière marquée par les crises sanitaire et économique générées par le Covid-19, à la tête de la Fédération des jeunes dirigeants d’entreprise (FJD). Il livre ses impressions d’entrepreneur, de président… et de citoyen.

Comment se sent l’entrepreneur en cette période pour le moins inattendue?

. – «Il ne faut pas se voiler la face, c’est une crise difficile qui est même existentielle pour certains d’entre nous. Nous avions des plans, nous voulions aller de l’avant, et cette crise nous fait tout recommencer depuis le début. Nous devons réfléchir sur ce que nous faisons, ce que nous laissons de côté, ce que nous adaptons… C’est un moment de grande incertitude qui pousse à la remise en question régulière, puisque la situation évolue très vite. Comme entrepreneur, c’est une phase qui peut à la fois s’avérer excitante, mais aussi angoissante. Mais c’est avant tout une crise économique plus qu’une crise émotionnelle.

Comment le contexte actuel impacte-t-il votre activité?

«J’ai la chance d’avoir deux entreprises (Jemmic et MaPS System) qui travaillent dans le digital – d’un côté dans l’e-commerce, et de l’autre dans la digitalisation des banques. Je suis moins concerné par la crise que certains confrères, mais il ne faut justement pas oublier l’écosystème. Nous avons engagé trois personnes durant les trois dernières semaines, nous voulons garder le cap de ce point de vue, même si nous remarquons que les projets sont décalés dans l’année. Ceci dit, cette crise que personne n’a vue venir nous pousse à des réflexions plus larges.

Que voulez-vous dire?

«Beaucoup d’entrepreneurs avaient mis en place des ‘business continuity plans’ relatifs à un incendie, une fuite de gaz, une catastrophe naturelle… Par contre, nous découvrons d’autres types de risques. Même si certains ont un site de repli, ils ne peuvent pas disposer toutes leurs équipes dans ce bâtiment en raison des restrictions sanitaires.

Il y aura un ‘avant’ et un ‘après’-coronavirus?

«Oui, qu’il s’agisse du travail ou de la vie privée. Les voyages se feront avec beaucoup plus de réflexion que par le passé. Les téléconférences vont probablement s’installer durablement comme un moyen de travail régulier. Un des effets bénéfiques du coronavirus sera sur le climat, également sur des réflexes de consommation effectués avec parcimonie. Par contre, concernant la relation avec les autres, si celle-ci a été bâtie par le passé lors de rencontres, il est possible de la maintenir actuellement via les outils de connexion. Mais pour bâtir de nouvelles relations business, il est difficile de les faire en ‘remote’.

Au niveau de la Fédération des jeunes dirigeants d’entreprise (FJD), quel est l’état d’esprit des membres?

«Bien que nous sommes inquiets et beaucoup sous pression, nos échanges sont d’une grande sérénité, et nous sommes tous impatients de voir venir la reprise. Ils ont bien compris la crise et ses effets, chacun essayant de comprendre en détail ce que cela représente pour soi. Certains sont bien positionnés, d’autres sont potentiellement en danger. Mais même ces dirigeants-là affichent une certaine nécessité, car ils savent que c’est à eux de prendre les choses en main et de prendre les bonnes décisions pour sortir de la crise.

Disposer d’un réseau apparaît important en temps de crise pour obtenir des conseils ou de l’aide…

«Je vois un esprit d’entraide renforcé au sein de la Fédération, entre ceux qui ont des personnels au chômage technique, par rapport à d’autres qui en ont drastiquement besoin. Des membres s’apportent ainsi de l’aide matérielle ou en force de travail. Par contre, nous sommes jeunes, nous avons investi dans une entreprise, souvent par des prêts en garantie personnelle, il en va vraiment de notre vivant. La crise peut donc aussi avoir un impact drastique sur la situation personnelle de chacun.

Ceci dit, j’espère que la crise permettra aussi à la société d’adopter une autre culture vis-à-vis de l’échec d’une aventure entrepreneuriale, et de préserver l’énergie et la valeur des entrepreneurs concernés avec de la bienveillance et du respect à leur encontre.

La discussion entre générations représentées au sein de la FJD vous aide aussi?

«Vous entrez à l’âge de moins de 45 ans à la FJD comme membre actif, mais au-delà de cet âge, vous restez membre à vie. Durant cette période-ci, l’échange entre les plus seniors et les juniors est très bénéfique. Certains ont déjà vécu 2008-2009 avec la crise financière, et les plus seniors ont vécu d’autres choses. Ils nous partagent des conseils, notamment pour la reprise qui sera très importante. Une reprise qui se fera en fonction de la bonne marche de la ‘supply chain’ de chaque entreprise.

Car le principal risque serait de décourager des entrepreneurs ou des jeunes qui veulent se lancer dans l’entrepreneuriat…

«Absolument. Il ne faut pas se voiler la face. Un entrepreneur prend des risques, un entrepreneur s’engage personnellement, mais un entrepreneur a aussi les choses en main. Si vous n’êtes pas entrepreneur, si vous travaillez pour un patron qui prend des décisions qui ne vous semblent pas soutenables, vous les subissez d’une certaine manière. En tant qu’entrepreneur, vous avez les choses en main, mais aussi la responsabilité.

Les entreprises peuvent être assimilées à des humains face au coronavirus. Si une personne avait déjà des antécédents de santé avant d’être touchée par le coronavirus, elle sera peut-être plus fragile. Il en est de même pour la santé financière d’une entreprise qui supportera peut-être moins bien les conséquences économiques de la crise sanitaire si elle présentait déjà des signes de fragilité. Mais beaucoup d’entreprises qui étaient parfaitement saines sont pourtant au bord du gouffre. Il faut aider, notamment avec le support du gouvernement.

Il faut aussi bien utiliser le bon message de soutien et d’encouragement actuellement pour que les nouveaux entrepreneurs qui vont venir constatent que, même en période difficile, il y a du support, que tout le monde se soutient l’un l’autre. C’est toujours quand une société est face à un problème plus grand que les individus se rendent compte qu’il faut s’unir pour le surmonter. Tout le monde doit donner du sien, tant les entrepreneurs, les salariés que le gouvernement.»