«J’ai reçu directement des appels des clients qui voulaient savoir si leur chantier reprenait lundi.» par le gouvernement que le smartphone de Gérard Thein chauffait déjà.
Reparti sur la route, le patron de Bonaria Frères, basée à Esch-sur-Alzette, sait que les prochaines semaines s’annoncent acrobatiques. Mais il ne cache pas sa satisfaction de pouvoir faire tourner à nouveau l’entreprise familiale de construction et travaux publics et privés. «Je suis aussi content pour nos ouvriers, qui étaient à la maison. Certains sont seuls, c’était dur pour eux d’être socialement écartés», déclare Gérard Thein.
Comment toute la chaîne du secteur – du maître d’œuvre au maître d’ouvrage public ou privé – va-t-elle s’adapter à la nouvelle donne? Quid de la gestion des déchets? Comment faire revenir les gens au travail, alors que l’école n’a pas encore repris? Les prestataires des pays voisins pourront-ils accéder aux chantiers? Le congé collectif d’été devra-t-il être abrogé? Des questions devront encore être réglées dans les prochains jours.
«Rien ne sera comme avant», résume Gérard Thein. «Le tempo et l’accélération que nous connaissions ne seront plus les mêmes. Le respect des consignes va forcément nécessiter un peu plus de temps, tout en sachant que le personnel doit aussi être concentré sur son travail.»
Un redémarrage progressif
La distribution des masques aux artisans a débuté vendredi sur le parking de l’aéroport du Findel. Pour les ouvriers qui ne peuvent se tenir à plus de deux mètres de distance, son port sera obligatoire. Le lavage régulier des mains, pas toujours évident sur chantier, va aussi devenir une norme.
Bonaria Frères a pris les devants depuis quelques jours pour composer des «kits» qui seront distribués à ses ouvriers. 20.000 euros investis dans des masques, du gel hydroalcoolique, des bidons d’eau et autres lingettes.
Répartition des kits samedi, formation du personnel, dispatching des équipes lundi matin… Cette reprise sera forcément progressive. «Nous ne pourrons pas tout redémarrer à la même minute», ajoute Gérard Thein. «Je ne pense pas que nous serons à 100% jusqu’en juillet. Cela va prendre un à deux mois pour reprendre le même travail.»
Chez Bonaria et ses 150 collaborateurs (30% de frontaliers), le début de la crise avait été vécu avec un mot d’ordre: la solidarité. Une solidarité exprimée tout d’abord avec les décisions du gouvernement. «Tout le monde a d’ailleurs été solidaire au niveau de la Fédération des entreprises de construction et de génie civil», déclarait Gérard Thein, lorsque nous l’avions contacté peu après la fermeture des chantiers.
Une solidarité encore pour apporter une pierre à l’édifice de la transformation de la Rockhal en . «Nous avions déjà prêté main-forte à l’armée en août suite à la tornade», se souvient Gérard Thein.
Comme les autres entreprises obligées de fermer, Bonaria Frères avait introduit des demandes de chômage partiel. «Je dois aussi dire merci aux banques qui ont exprimé leur soutien directement», note Gérard Thein. «Merci aussi à la Fédération des artisans, à la Chambre de commerce, à la Chambre des métiers, à la Fedil, qui nous aident à rassembler les infos, qui sont tellement nombreuses et qui arrivent quotidiennement.»
Gérard Thein pense par ailleurs aux plus petites structures du secteur et à un nouveau volet d’aides qui seraient nécessaires: «Les petites auront peut-être plus de mal en raison de leur trésorerie. Dans notre cas, nous avions assez de recul pour tenir un ou deux mois, mais si cela avait duré, la situation aurait été plus compliquée. Pendant l’arrêt, chaque entreprise a essuyé des pertes, puisque les frais en cours restent, comme les loyers, les leasings, les assurances,…»
Une crise révélatrice
Mais l’arrêt des activités pour des raisons sanitaires apporte son lot de réflexions dans la gestion des ressources humaines.
«Il y avait jusqu’ici un boom énorme dans la construction et l’immobilier, ce qui entraînait une énorme concurrence pour trouver du bon personnel qualifié, notamment sous l’effet de la concurrence de l’État et des entreprises étrangères qui sont arrivés sur le marché», constate Gérard Thein. «Nous devons aussi répondre à beaucoup de travail, mais les prix n’augmentent pas, et la concurrence de l’extérieure est féroce. J’observe aussi qu’il y a 10 ans, la tendance était d’investir dans les actions. Maintenant, tout le monde commence à devenir promoteur.»
À 35 ans, le représentant de la quatrième génération de la famille dirigeante voit avant tout dans cette crise une occasion pour se rapprocher de ses équipes: «Certaines familles sont aussi parmi nos ouvriers depuis trois générations, nous agissons comme une grande famille, nous avons une véritable responsabilité sociale.»
J’espère que nos métiers de l’artisanat, de l’industrie, mais aussi ceux des soins de santé, seront vus d’une meilleure façon après cette crise, qu’ils seront revalorisés, et que des jeunes auront envie de s’y engager.
Une expérience de quatre années chez Paul Wurth Geprolux inscrite sur son CV au sortir de ses études, Gérard Thein est revenu en 2016 dans le giron de l’entreprise fondée en 1954, pour en prendre la direction technique. Le passage de témoin avec son père Gilbert a été acté en janvier 2019, et la transmission complète est en cours.
«Je veux qu’il y ait encore des générations après moi», appuie le directeur. «Je connais ce marché depuis que je suis né, c’est un secteur dans lequel j’ai un contact collégial, voire amical, avec les autres entrepreneurs locaux. Même si nous sommes concurrents d’une manière ou d’une autre, nous pouvons aussi discuter et nous entraider.»
Le jeune dirigeant est aussi un des visages de la nouvelle génération d’entrepreneurs qui comptent bien partager leur passion pour leur métier.
«J’espère que nos métiers de l’artisanat, de l’industrie, mais aussi ceux des soins de santé, seront vus d’une meilleure façon après cette crise, qu’ils seront revalorisés, et que des jeunes auront envie de s’y engager. Il faut revenir aux ‘back to basics’, et garder une bonne base de ces secteurs reste le plus important», conclut Gérard Thein.