Stéphane Soussan gère le fonds Food For Generations de CPR AM, un fonds thématique à impact centré sur l’agriculture. (Photo: CCPRAM)

Stéphane Soussan gère le fonds Food For Generations de CPR AM, un fonds thématique à impact centré sur l’agriculture. (Photo: CCPRAM)

Stéphane Soussan, gestionnaire du fonds Food For Generations de CPR AM, nous parle de la chaine de valeur agricole et de ses défis structurels et conjoncturels.

Stéphane Soussan est gestionnaire de portefeuille ressources naturelles chez Amundi depuis 2008. Il est gérant de la thématique Agriculture depuis 2013, et cogérant de la thématique ressources naturelles chez CPR AM, filiale d’Amundi, depuis 2014. À ce titre, il est l’un des gestionnaires du fonds Food For Generations de CPR AM. Ce fonds d’investissement thématique qui se veut fonds d’impact soutient les entreprises de l’ensemble de la chaine alimentaire dans leurs défis en matière de durabilité, en restant attentif aux nombreuses opportunités de croissance au sein de cette chaine de valeur. Il nous parle de la chaine de valeur agricole et de ses défis.

Les investissements thématiques se concentrent sur les tendances lourdes qui façonneront le paysage sociaux-économique des années à venir. Quelles sont ces tendances dans le secteur agricole?

Stéphane Soussan: – «Le défi est de nourrir la population mondiale sur les décennies qui viennent d’une manière durable. C’est-à-dire en préservant certaines ressources clés comme l’eau et les terres arables tout en contrôlant les émissions de gaz à effets de serre. C’est vraiment le grand challenge des prochaines décennies puisqu’on estime qu’on atteindra 9,7 milliards d’habitants à l’horizon 2050.

La clé, étant donné qu’on est limité en matière de terres arables, c’est l’augmentation des rendements. On estime que sur les 15-20 prochaines années, 75% de la croissance de la production agricole viendra d’une amélioration des rendements sur des terres existantes. Pour nous, une des solutions se trouve dans l’agriculture de précision. Par exemple, ne pas utiliser de pesticide sur l’intégralité d’un champ si ce n’est pas nécessaire. Il y a aussi des développements sur les semences sans forcément passer par les OGM.

Nous essayons de proposer une solution à ces challenges en investissant sur l’ensemble de la chaine de valeur alimentaire, du champ à l’assiette, avec une approche durable.

Quels sont les ressorts de la thématique agriculture en termes d’investissement?

«Il y en a trois. La première a trait aux évolutions démographiques. La croissance de la population mondiale, c’est 1% par an. Ce n’est pas énorme, mais il y a un lien clair et direct entre cette croissance et la consommation de produits alimentaires et consommation d’eau. L’essentiel de cette croissance démographique va se faire dans les pays émergents. Des pays où on s’attend à des augmentations du niveau de vie qui font penser que les consommateurs vont s’orienter vers des produits de plus en plus premium. Cela devrait à terme soutenir les sociétés qui opèrent sur ces marchés.

Le deuxième ressort, c’est la préservation des ressources. Pour la chaine de valeur alimentaire, on pense que cela va générer des opportunités d’investissement dans quatre domaines: d’abord l’agriculture de précision parce qu’il va falloir faire évoluer les modes de production agricoles pour utiliser moins d’intrants tout en continuant à produire davantage; l’emballage durable avec la sortie du plastique; le traitement et le recyclage de l’eau et l’amélioration de la chaine logistique. On estime qu’environ un tiers de la production alimentaire mondiale est gaspillée. Il faut améliorer cela.

Viennent enfin les nouvelles tendances de consommation qui vont vers la santé et le bien-être.

Et n’oublions pas le développement de l’e-commerce, thème qui n’est pas particulier à l’alimentaire, mais qui est devenu pertinent avec le Covid. Je pense aux courses en ligne, aux distributeurs alimentaires en ligne ou encore à certains services de livraison de plats ou d’ingrédients avec des recettes.

Vous parliez d’une approche durable dans vos investissements. Comment se manifeste-t-elle?

«Notre approche repose sur deux piliers.

Le premier, c’est l’exclusion des sociétés qui ont les plus mauvais comportements. Nous avons une équipe d’analystes ESG qui vont noter les sociétés sur la base des critères ESG. Les plus mauvaises seront exclues. Et si des sociétés bien notées se comportent mal par rapport à certains critères adaptés à la chaine de valeur alimentaire qu’est la gestion de l’eau, des déchets, des forêts, de la chaine d’approvisionnement et de la valeur nutritionnelle des produits, elles seront également exclues. Tout comme les sociétés devant faire face à des controverses comme la contamination d’un produit entrainant un impact significatif sur la réputation d’une société ou sur ses comptes.

Ce filtre exclut environ 12% des entreprises de notre univers d’investissement qui compte environ 450 valeurs.

Le deuxième pilier est une démarche plus «positive»: nous mesurons l’impact de notre portefeuille en matière l’intensité carbone – mesure qui est devenue un grand classique –, d’intensité en eau et de taux de recyclage des déchets. Notre engagement est que notre portefeuille ait une moindre intensité carbone et en eau que notre univers d’investissement.

On parle beaucoup de l’impact de la crise ukrainienne sur les marchés de l’énergie. Mais quels sont les impacts sur les marchés agricoles?

«Ils sont énormes. D’abord, la Russie et la Biélorussie sont de grands exportateurs d’engrais. Sur certaines familles d’engrais, les volumes sont sans commune mesure. Par exemple, ces deux pays sous sanctions représentent 40% des exportations mondiales de potasse. Cela se répercute sur le prix des produits.

Prenez ensuite les marchés du maïs, du blé et des huiles végétales. L’Ukraine, qui ne peut pas produire, c’est 15% des exportations mondiales de maïs et 10% des exportations mondiales de blé. La Russie, qui ne peut exporter, c’est 19% des exportations mondiales de blé. Ensemble, ces deux pays représentent les trois quarts du marché de l’huile de tournesol. Avec les effets de substitution, d’autres matières premières comme l’orge et le colza sont sous pression.

Juste à titre de comparaison, la Russie, c’est 10% de la production mondiale de pétrole brut et 4% à 5% des exportations.

Peut-on imaginer une crise alimentaire?

«La FAO – L’Organisation mondiale pour l’alimentation et l’agriculture – évoque des problèmes d’approvisionnement, de famine, de manque. Rappelons-nous que les printemps arabes des années 2010 ont été causés notamment par les prix très élevés des céréales.

Cela peut paraitre cynique d’évoquer cela, mais cette crise a eu un effet extrêmement bénéfique sur les sociétés qui sont cotées en bourse du secteur de l’agriculture. Notamment pour les machines agricoles, les engrais et les semences.»

Cette interview est issue de la newsletter Paperjam Finance, le rendez-vous bimensuel pour suivre l’actualité financière au Luxembourg.