Jacques Brauch plaide pour une nouvelle approche urba­nis­tique de la part des communes. (Photo: Andrés Lejona/Maison Moderne)

Jacques Brauch plaide pour une nouvelle approche urba­nis­tique de la part des communes. (Photo: Andrés Lejona/Maison Moderne)

Juillet 2020, les membres de la direction de Soludec rachètent l’entièreté des parts de l’entreprise à son propriétaire. Un nouveau chapitre pour cet acteur de la construction, dont la direction générale est assurée par Jacques Brauch.

Comment Soludec traverse-t-elle cette période marquée par la crise sanitaire?

– «La fermeture des chantiers a entraîné une grande désorganisation, que nous avons dû rétablir les semaines suivantes, à force de beaucoup de travail. Toutefois, il est très difficile de revenir au même niveau qu’avant la pandémie, car nous ne parvenons pas à retrouver les mêmes effectifs sur les chantiers et que la productivité est entravée. Mais le carnet de commandes, qui était déjà bon avant, est encore bon maintenant.

Notre défi est d’arriver à l’honorer, car il y a des petits freins partout, à différents niveaux. On remarque aussi qu’il y a peu de soumissions actuellement sur le marché, ce qui pourrait entraîner un creux, peut-être vers mars 2021. Mais l’activité de la construction reste haute. À ce jour, on ne peut pas parler de crise.

Soludec est active à la fois dans le domaine de la construction et dans le secteur de la promotion immobilière. Avez-vous remarqué des changements dans ce dernier domaine?

«Pour la promotion résidentielle, la demande reste très forte, car la situation n’a pas changé. Nous avons toutefois constaté qu’il y a plus de refus de prêts bancaires que précédemment. Mais la promotion est moins liée au Covid qu’au fait que l’immobilier est devenu un pur produit d’investissement, une valeur refuge. Ceux qui achètent aujourd’hui des appartements sont ceux qui achetaient hier des placements financiers. Pour une certaine frange de nos clients, le problème n’est pas tant une question de prix, mais plutôt de disponibilité de biens.

Trouvez-vous cette situation acceptable?

«D’un côté, c’est difficile pour moi de dire que ceci n’est pas acceptable, car notre entreprise gagne de l’argent dans ces transactions. Mais, d’un autre côté, cela me questionne, car nous construisons des appartements, pas des placements financiers. Ce phénomène s’est même accru ces derniers temps. Ce n’est pas sain. Le projet Soho, par exemple, se revend seulement deux ans après les premières livraisons avec une plus-value d’environ 40% par rapport au premier prix d’achat.

Mais pour Soludec, le centre de gravité reste la construction et non la promotion. Ces revenus immobiliers représentent un élément de pérennité et de stabilité pour l’entreprise face aux chantiers qui sont une activité à risque. C’est une forme de compensation, et je ne me fais pas de reproches quant au fait de gagner de l’argent avec la promotion, car elle nous offre une sécurité. Par contre, ce qui me déplaît, ce sont les questions urbanistiques qui y sont liées.

Pouvez-vous préciser?

«L’urbanisme aujourd’hui sert principalement à régler les comptes en banque des propriétaires fonciers. Les politiciens s’offusquent du manque de logements, mais ils sont aussi à la source du problème puisque cela se décide en partie dans les communes. Quand on décide de ne pas agrandir le périmètre de la ville de ­Luxembourg, par exemple, après des dizaines d’années de croissance, ni d’avoir une approche favorable à la construction en hauteur, il ne faut pas s’étonner d’avoir des tensions.

Les politiques, d’une manière générale, sont à la recherche des votes qui, en simplifiant, sont luxembourgeois. Beaucoup d’entre eux sont de petits propriétaires fonciers ou de biens immobiliers. Pour les propriétaires fonciers, les communes augmentent le coefficient d’utilisation du sol (CUS), qui est directement proportionnel au patrimoine du propriétaire. Puis elles essaient également de satisfaire les propriétaires de biens immobiliers, qui généralement n’aiment pas qu’il y ait de nouveaux voisins autour d’eux. Donc elles diminuent la densité de logements (DL) par hectare. On se retrouve donc avec beaucoup de mètres carrés à construire, mais un nombre de logements faible.

La conséquence est le développement de grands logements, ce qui permet de contrôler deux choses: le nombre de nouvelles personnes qui arrivent sur le territoire et le niveau de fortune de ces personnes. Une barrière sociale s’installe naturellement.

C’est aussi à cause de questions urbanistiques que Soludec n’est pas parvenue à développer le Schoettermarial au Kirchberg…

«Le problème du Schoettermarial est lié au phénomène du « not in my backyard ». Les politiques clament haut et fort leur volonté de créer plus de logements au Kirchberg, mais cela faisait 30 ans que Soludec se battait pour réaliser les habitations prévues sur ces huit hectares. Nous avons réalisé de très nombreuses études environnementales, refait le PAP à plusieurs reprises, mais les riverains se sont régulièrement opposés au projet.

Le 13 juillet dernier, le tribunal administratif a même annulé le PAG en argumentant que la valeur écologique du site n’a pas été correctement prise en compte, ni les objections des riverains. Mais je peux vous assurer que nous avons réalisé chaque étude qui nous a été demandée de faire. Les riverains utilisent l’argument de la protection environnementale pour garder leur confort et ne pas avoir de voisins. Cela ne nous concerne plus aujourd’hui, puisque le terrain ne nous appartient plus et le développement sera désormais réalisé par Immobel et BPI.

Ce terrain ne vous appartient plus parce qu’en juillet dernier, la direction a procédé au rachat de 100% des actions de Soludec à son précédent propriétaire, Nasir Abid, et n’a pas conservé ce terrain dans son portefeuille. Pouvez-vous nous expliquer cette action de management buyout (MBO), qui concerne l’entreprise de construction et les filiales immobilières?

«Soludec, qui a 70 ans, a été détenue pendant 35 ans par les Blaton, puis 35 ans par le groupe General Mediterranean Holding (GMH), détenu par Nadhmi Auchi et Nasir Abid. Monsieur Auchi, qui a 85 ans, a cédé en juin 2019 ses parts à monsieur Abid avec l’objectif de retrouver un acquéreur, ce qui a été fait. Dans un premier temps, des groupes étrangers se sont manifestés. L’éventualité de devoir travailler avec d’autres contraintes que celles que nous avions connues jusqu’à présent s’est profilée, et l’idée de racheter nous-mêmes les actions a alors germé.

Nous avons donc entamé les discussions dans ce sens. Il a fallu trouver des solutions pour un certain nombre de points, dont Schoettermarial, dont nous avons dû nous séparer. Mais je trouve que la solution adoptée est la bonne, car les projets actifs sont restés dans notre giron, tout comme quelques projets immobiliers auxquels nous tenions. Il y a aussi eu une certaine générosité et empathie de la part de note ancien actionnaire, qui a choisi la pérennité du groupe Soludec plutôt que la vente en petits morceaux, ce qui aurait pourtant été plus lucratif.

Comment avez-vous réussi à mobiliser les forces vives nécessaires au rachat du groupe?

«Il a fallu agir sur trois fronts: tout d’abord, faire comprendre la démarche à nos anciens actionnaires, puis fédérer les gens à l’intérieur de l’entreprise et obtenir la bonne négociation, et, enfin, rassembler l’argent en fonds propres et compléter avec un prêt que nous avons contracté auprès de la BIL. Aujourd’hui, la société Soludec MBO sàrl regroupe huit actionnaires et est la société qui détient Soludec SA. C’est un changement dans la continuité.»

Cet article a été rédigé pour l’édition magazine de   qui est parue le 28 octobre 2020.

Le contenu du magazine est produit en exclusivité pour le magazine, il est publié sur le site pour contribuer aux archives complètes de Paperjam.

Votre entreprise est membre du Paperjam Club? Vous pouvez réclamer un abonnement à votre nom. Dites-le-nous via