Blanche Weber, présidente du Mouvement écologique. (Photo: Julien Becker)

Blanche Weber, présidente du Mouvement écologique. (Photo: Julien Becker)

La présidente du Mouvement écologique, Blanche Weber, considère que la crise du coronavirus met en exergue les failles de notre modèle économique et sociétal. Et qu’il faut saisir cette chance pour le refonder.

Qu’est-ce que cette crise sanitaire nous apprend sur notre rapport à l’environnement?

. – «Cette crise nous montre que l’homme est soumis aux règles de la nature et qu’il n’est pas omnipotent. L’homme ne peut pas tout contrôler, il ne peut pas gagner contre la nature, il la subit. Beaucoup plus de gens sentent cette vulnérabilité. Par ailleurs, ils constatent qu’il y a des valeurs plus profondes que consommer toujours plus de biens, comme les liens sociaux, la solidarité, avoir plus de temps pour la famille, se recueillir un peu plus. Car un certain ralentissement de notre rythme de vie, cela fait du bien. De plus en plus de gens se font ces réflexions et se rendent compte que notre modèle de société ne tient plus la route, que la roue de hamster n’était pas la bonne solution. La globalisation effrénée n’est manifestement pas un choix optimal pour les générations futures.

Ainsi, une nouvelle réflexion émerge dans notre société, et je suis convaincue que toujours plus d’acteurs se disent: ‘Prenons cette crise comme une chance pour engager un renouveau de notre modèle sociétal et économique!’

Les lobbies des industries de l’automobile, des pesticides ou de la globalisation réclament que tout continue comme avant et même avec une cadence accrue.
Blanche Weber

Blanche WeberPrésidenteMouvement écologique

Craignez-vous que cette crise sanitaire et économique fasse passer au second plan la crise climatique?

«Bien sûr, il existe l’autre tendance, qui s’inquiète du fait que l’économie classique va subir trop de dégâts. Ainsi, même s’il y a de plus en plus de gens qui réclament de repenser le modèle, en parallèle, d’autres acteurs poussent à davantage de libre-échange, sans aucune légitimité démocratique. Nous recevons beaucoup de mails, aux niveaux européen et international ou de notre organisation mère, qui constatent que les lobbies des industries de l’automobile, des pesticides ou de la globalisation réclament que tout continue comme avant et même avec une cadence accrue.

Les vendeurs de voitures réclament de remettre à plus tard la réduction des émissions de CO2. Il y a des demandes pour qu’on puisse utiliser davantage de pesticides. Un autre exemple: l’accord de libre-échange entre l’UE et les États-Unis, ils travaillent comme des forcenés dessus.

Maintenant, en pleine crise du coronavirus, alors que la majeure partie des gens se penchent sur les problèmes des humains, eux, ils continuent de travailler sur le TTIP, et sans que personne ne sache ce qui se passe. C’est dégueulasse! J’espère que nos institutions, que ce soit la Commission européenne ou l’Onu, auront la force d’organiser un débat démocratique qui permettra à la société civile de se prononcer avant que des jalons soient imposés par des multinationales ou des intérêts non porteurs d’avenir.

Le modèle de globalisation économique se voit-il remis en cause?

«Les accords de libre-échange qui ont été discutés dans les semaines, les mois, les années passés, prônaient tous une globalisation accrue. Et on remarque maintenant que c’était la mauvaise orientation. Toutes ces chaînes de livraison, où un yaourt va passer par 20 pays avant d’arriver à destination… Désormais, il existe un consensus pour admettre qu’on ne peut pas dépendre de la Chine ou de l’Inde pour la production du matériel médical.

La situation le montre clairement: il faut demander une réorientation vers le régionalisme. Bien sûr, un échange de biens et d’activités perdurera au niveau mondial. Mais il doit y avoir une priorisation. Est-il normal d’importer plus de 90% de nos légumes? Non. Est-il normal que notre agriculture dépende de nos capacités d’importation de soja depuis n’importe où dans le monde? Non. Nous devons repenser la définition de la région, ce que nous pouvons produire ou non à cette échelle. En outre, nous devons aussi être prêts à discuter d’une transition écologique grâce aux énergies renouvelables.

Le Luxembourg, malgré tous les dires du gouvernement, est en dernière position du classement des pays européens en ce qui concerne la production par les énergies renouvelables. Or, celles-ci sont créatrices d’emplois et de stabilité parce qu’il devient alors possible de tenir en main sa production énergétique et de ne plus dépendre de l’importation. Il faut donc faire davantage d’efforts sur ce point.

Nous devons être ouverts aux nouvelles technologies.
Blanche Weber

Blanche WeberPrésidenteMouvement écologique

Le confinement a imposé à de nombreuses personnes le recours au télétravail. Cette situation doit-elle servir d’exemple pour la suite?

«Nous devons être ouverts aux nouvelles technologies. Mais nous constatons aussi les limites de celles-ci. L’échange humain, le dialogue direct ne peuvent pas être remplacés par le dialogue digital, à distance. Notre société doit faire un choix: quelle digitalisation voulons-nous? Un dialogue accru à ce sujet est nécessaire pour débattre des avantages, des limites et de la manière de gérer ce phénomène. Car de nombreuses difficultés se présentent. En termes d’organisation notamment: c’est plus facile quand on a une maison plus grande, plus difficile quand on a des enfants… Et on connaît bien les analyses: les gens travaillent plus à la maison qu’au bureau.

Comment fixer des règles pour ne pas surcharger les employés? Et bien sûr il faut se demander quels sont les avantages et les inconvénients du point de vue de la consommation énergétique. Ou comment organiser la protection des données, ou celle des consommateurs. Donc si je dois conclure: oui, la digitalisation est importante. Mais ce n’est pas à la technologie de nous montrer le chemin, c’est à la société de décider quelle technologie, quelle organisation et quel monde du travail nous voulons.

La radicalité des mesures prises pour lutter contre le coronavirus peut-elle servir d’exemple dans la lutte contre la crise climatique?

«La situation du coronavirus montre que les gens soutiennent des politiciens qui prennent leurs responsabilités. Il ne faut plus que les politiques refusent de prendre position ou se bornent à dire: ‘Nous faisons notre possible, ce qui est accepté, ce qui est réaliste.’ Le confinement est-il réaliste? Si un débat avait eu lieu, il n’aurait jamais été mis en place.

Des responsables politiques ont décidé qu’il fallait le faire maintenant. Les élus doivent donc faire preuve de courage, sans rejeter la responsabilité sur les citoyens. Ils doivent tenir des propos clairs et précis, basés sur des données scientifiques, pour décrire la manière de lutter contre la crise climatique et la perte de biodiversité. Puis soumettre cela au débat démocratique. Avec le coronavirus, les décisions ont été prises sans ce débat. C’était nécessaire, on le comprend bien. Mais cela ne doit pas être le cas avec la crise climatique. Sans démocratie, rien ne fonctionne.

La crise du coronavirus, même si elle dure six mois, un an, voire deux, va avoir une fin. Mais la crise climatique perdurera et de manière beaucoup plus substantielle.
Blanche Weber

Blanche WeberPrésidenteMouvement écologique

Les scientifiques sont très écoutés depuis le début de la crise du coronavirus. Croyez-vous qu’ils seront davantage entendus par la suite?

«Je ne sais pas, cela va dépendre de la capacité de notre société à se porter, une fois la crise du coronavirus terminée, sur d’autres crises fondamentales. C’est aussi le rôle des médias, des responsables politiques et de la société civile de dire: ‘Tirons les leçons de cette crise et ne perpétuons pas les mêmes erreurs.’

Il faut rappeler que moins de 1% des scientifiques nient la crise climatique et la perte de la biodiversité. Si, dans le cas du coronavirus, il était très important d’agir malgré l’absence de certitudes, il n’existe plus de doutes concernant le climat: les certitudes scientifiques existent. La différence majeure est que le coronavirus est perçu avec des bulletins quotidiens et des images de gens mourants. Nous sommes impliqués d’une manière très émotionnelle. Les dégâts de la crise climatique, nous ne les verrons que dans 100 ans, mais ils seront d’autant plus globaux et importants.

Espérons qu’en tant qu’humains, nous aurons la capacité de pressentir cette évolution. Car la crise du coronavirus, même si elle dure six mois, un an, voire deux, va avoir une fin. Mais la crise climatique perdurera et de manière beaucoup plus substantielle. Aucun confinement, aucune distanciation sociale ne fonctionnera contre elle. Il y aura tout simplement une débâcle complète pour tout notre environnement.»