Pierre Gramegna s'est fait discret mercredi à la Chambre sur les mesures concernant les rulings et les prix de transfert. Elles sont là pourtant. (Photo: Sven Becker)

Pierre Gramegna s'est fait discret mercredi à la Chambre sur les mesures concernant les rulings et les prix de transfert. Elles sont là pourtant. (Photo: Sven Becker)

C'est une marque forte des libéraux dans le projet de budget 2015, assorti d'un cortège de mesures destinées à moderniser le pays à marche forcée: le ministère des Finances prévoit de faire payer, dès 2015, les services délivrés par l’administration fiscale, comme les renseignements ou «autres services en relation avec l’application de la loi fiscale à une ou plusieurs  opérations précises futures». Il est clair que sont ici visés implicitement les rulings, puisque le  «Zukunftspack», qui a été formellement présenté mercredi par Pierre Gramegna, fait référence aux renseignements permettant aux «demandeurs d’avoir une certitude juridique quant au traitement fiscal de ces opérations spécifiques lors de leur imposition définitive à un stade ultérieur».

Voici l’une des 258 mesures qui devraient faire basculer l’État luxembourgeois dans la modernité. Un État qui veut aussi faire la preuve qu’il a coupé avec son passé permissif qui lui avait valu cette réputation d’être un des derniers sanctuaires en Europe pour les évadés et fraudeurs du fisc.

Modernisés mais pas remis en cause

Sous pression de la Commission européenne et de la communauté internationale pour sa pratique des rulings, souvent comparées à des boites noires en raison de leur opacité et de leur caractère confidentiel (les décisions anticipées ne font pas l’objet de publication), le gouvernement s’engage d’autre part à «la modernisation du système des décisions anticipées actuelles».

Pas question donc de les remettre en cause, malgré les attaques en provenance de la Commission européenne qui les voit d’un mauvais oeil.

L' Administration des contributions directes, en délivrant ses rulings, aura désormais une ligne jaune à ne pas dépasser: «Aucune décision anticipée ne sera rendue sur des demandes relatives à des situations théoriques ou à des opérations illégales», signale ainsi un commentaire du projet de loi. Plus loin, on lit aussi qu’une décision anticipée «est limitée à la stricte détermination préalable de la correcte application des lois autant nationales qu’internationales de l’impôt à une situation projetée».  

Le ministère des Finances reconnaît donc, et ce n’est pas une surprise, que les rulings tels qu’ils sont actuellement confectionnés par l’Administration des contributions directes, sont inadaptés, «en raison de l’absence de base légale explicite». Pierre Gramegna va donc leur en donner une en modifiant la loi générale des impôts (Abgabenordnung).

Formaliser l'existant

Il s’agira, assure le ministère des Finances, d’une adaptation du système devant «formaliser la pratique existante» et en uniformiser les règles et les interprétations, pour qu’elles soient les mêmes pour tout le monde et que personne (surtout pas les agents de la Commission de Bruxelles) n’ait le sentiment que certaines entités seraient mieux traitées, donc moins taxées, que d'autres.

«La décision anticipée permet d’offrir au contribuable par l’interprétation uniforme et égalitaire de la loi fiscale une sécurité juridique par rapport au traitement fiscal d’une ou de plusieurs opérations projetées»: ainsi sera formulé le nouveau dispositif de la loi fiscale. Un règlement grand-ducal devra encore déterminer la procédure applicable aux rulings. On ignore donc s’ils seront publiés.

Cette «uniformisation» des rulings et leur ancrage dans la législation, au-delà de la volonté du gouvernement de les banaliser, s’avéraient d’autant plus nécessaires que, jusqu’à récemment, un même homme, Marius Kohl – que les caméras de France 2 avaient rendu célèbre dans Cash Investigation –, traitait à lui tout seul tous les rulings au niveau de l’ACD, ce qui ajoutait à l’opacité de cette pratique. Après sa retraite il y a deux ans, le traitement des décisions anticipées est devenu une affaire de plusieurs agents du fisc.

En balisant ses règles par écrit dans une loi, le gouvernement franchit une étape supplémentaire dans la normalisation de cette pratique.

Cadrage des prix de transfert

Le gouvernement s’engage également à faire le tri et à sévir dans les prix de transfert pratiqués par les sociétés d’un même groupe. Toujours pour couper court à leurs détracteurs – notamment après les cas des multinationales utilisant le Luxembourg et son réseau de conventions fiscales et la directive européenne sur la taxation des revenus des maisons mères et de leurs filiales, pour réduire à néant ou presque leur base imposable grâce à ce tax shopping – , les autorités luxembourgeoises vont donc mettre en place, l’année prochaine, un dispositif anti-abus pour les prix de transfert.

Le mécanisme est d’ailleurs joliment décrit comme «un renforcement de la visibilité de la législation luxembourgeoise dans le domaine des prix de transfert». Il passera par l’introduction d’un nouvel article dans la loi sur l’impôt sur le revenu (LIR) (article 56). Pour faire court, le nouvel article comprendra une définition de la distribution cachée de bénéfice, ce qui permettra «d’assimiler fiscalement les avantages indûment accordés à des distributions ouvertes».

À travers cette mesure, s’inspirant de ce que font déjà les Pays-Bas et certains États membres de l’UE, le Luxembourg entend donner des gages à ses partenaires européens de sa détermination à lutter contre l’évasion fiscale.

Renversement de la charge de la preuve

Une autre disposition de la même veine prévoit d’apporter une «clarification», dans la loi générale des impôts, des obligations d’information et de documentation couvrant les transactions entre les entreprises associées. Ces règles s’inspirent des standards, déjà en usage, préconisés par l’OCDE. Elles apporteront néanmoins de grands chamboulements dans les pouvoirs de l’Administration des contributions, avec un renversement de la charge de la preuve.

«Lorsque l’administration», lit-on dans le «Paquet d’avenir», «peut faire état d’un faisceau de circonstances qui rendent un transfert de bénéfice au profit d’une entreprise associée probable et que ces faits n’ont pas été éclairés ou documentés par le contribuable, l’administration peut mettre en cause la réalité économique des opérations et supposer une diminution indue des bénéfices de l’entreprise sans avoir à la justifier exactement. Il y a alors renversement de la charge de la preuve et le contribuable doit prouver qu’il n’y a pas eu de diminution indue des bénéfices».

Le monde des affaires, qui inclut les autorités européennes et les règles de l'OCDE, va découvrir le monde de la transparence, dans le Luxembourg moderne du gouvernement Bettel.