Ryanair tient à engager ses personnels de bord sous droit irlandais, socialement moins avantageux pour les salariés que le droit belge ou français. (Photo: Maison Moderne)

Ryanair tient à engager ses personnels de bord sous droit irlandais, socialement moins avantageux pour les salariés que le droit belge ou français. (Photo: Maison Moderne)

Voilà un premier coin dans la stratégie bien construite de la compagnie aérienne à bas coût en matière de ressources humaines. Ryanair, ainsi que Crewlink, spécialisée dans le recrutement et la formation du personnel de bord pour les compagnies aériennes, veillent à ce que leurs salariés soient engagés selon les règles irlandaises. Les contrats de travail sont rédigés en anglais et sont régis par le droit irlandais – une clause précise même que tout litige relève des juridictions irlandaises.

Ces contrats indiquent également que les prestations de travail sont considérées comme effectuées en Irlande, puisqu’elles le sont à bord d’avions immatriculés dans ce pays. Et ce même si une «base d’affectation» est précisée dans chaque contrat, à savoir un aéroport dans lequel le personnel débute et termine sa journée de travail et à proximité duquel le personnel de cabine doit impérativement résider.

Six salariés ont toutefois saisi la justice belge en 2011, soutenus par des syndicats, en arguant que les sociétés étaient tenues de respecter les dispositions du droit belge. La Cour du travail de Mons a préféré en référer à la CJUE afin de vérifier si elle était ou non compétente pour recevoir cette affaire. Le droit européen indique en effet que la juridiction compétente est celle du «lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail». Mais cela vaut-il dans le secteur aérien? Et ce lieu peut-il être la «base d’affectation» des salariés?

La «nationalité» des avions n’est pas pertinente

Dans ses conclusions rendues en avril dernier, l’avocat général Saugmandsgaard avait estimé que les litiges relatifs aux contrats de travail d’hôtesses de l’air et de stewards relèvent bien de la compétence du juge du lieu «où ou à partir duquel» ceux-ci effectuent la majorité de leurs prestations.

Dans leur arrêt, les juges européens détaillent les indices qui peuvent permettre à une juridiction de déterminer le «lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail». «Dans le cas du secteur du transport aérien, il convient notamment d’établir dans quel État membre se situe le lieu à partir duquel le travailleur effectue ses missions de transport, celui où il rentre après ses missions, reçoit les instructions sur ses missions et organise son travail, ainsi que le lieu où se trouvent les outils de travail. En l’occurrence, il doit également être tenu compte du lieu où sont stationnés les aéronefs à bord desquels le travail est habituellement accompli.» 

Et la CJUE ajoute que la «nationalité» des aéronefs n’entre aucunement dans la batterie d’indices à analyser. «L’État membre à partir duquel un membre du personnel accomplit habituellement son travail n’est pas non plus assimilable au territoire de l’État membre dont les aéronefs de cette compagnie aérienne ont la nationalité.» Autrement dit, ce n’est pas parce que le personnel de cabine de Ryanair travaille à bord d’avions irlandais que l’Irlande doit être considérée comme son lieu de travail.

La victoire des salariés n’est pas assurée

La CJUE donne ainsi un éclairage déterminant sur la compétence des tribunaux des pays dans lesquels Ryanair détient des «bases d’affectation». La balle est maintenant dans le camp des juridictions belges, qui vont pouvoir se prononcer au fond sur le litige soulevé par les personnels de bord de Charleroi.

Une «grande victoire» pour les employés de Ryanair, selon Yves Lambot, du syndicat CNE. «Le droit du travail belge est plus favorable à l’employé que ne l’est le droit irlandais. Cela change donc beaucoup de choses, notamment en matière de congés, jours de récupération, heures de stand-by, etc.»

Rien n’est moins sûr. La CJUE a en effet confirmé que les juridictions belges étaient compétentes pour examiner le litige. Toutefois, les contrats de travail relevant expressément du droit irlandais, il n’est pas certain que le juge belge applique le droit belge. Ce qui permet à Ryanair d’indiquer, dans un communiqué publié jeudi, qu’elle «va continuer à employer ses équipes à bord selon des contrats de travail de droit irlandais». «Cette décision ne fait que mettre à jour les critères de détermination de la compétence des juridictions nationales en matière de cas locaux et n’altère pas le droit applicable au contrat qui est régi par le règlement Rome I (593/2008).»

Le casse-tête est loin d’être terminé.