La CJUE examine l’épineuse question de la qualification des services d’Uber, start-up californienne qui fait sensation à travers le monde, tout en provoquant une levée de boucliers des chauffeurs de taxi traditionnels soumis à une réglementation autrement plus stricte. (Photo : Sebastien Goossens)

La CJUE examine l’épineuse question de la qualification des services d’Uber, start-up californienne qui fait sensation à travers le monde, tout en provoquant une levée de boucliers des chauffeurs de taxi traditionnels soumis à une réglementation autrement plus stricte. (Photo : Sebastien Goossens)

Pour la deuxième fois en quelques mois, la société Uber se retrouve dans la grande salle d’audience de la CJUE face à un gouvernement européen – en l’occurrence français –, mais soutenue par d’autres.

Les juges du Kirchberg siégeant en grande chambre (à 15) avaient écouté en novembre dernier Uber Spain dans le cadre d’une question préjudicielle posée par un juge espagnol quant à la qualification à donner au service UberPop, mettant en relation les clients et les conducteurs disponibles au moyen d’une application.

Comme l’Espagne, la France a adopté une législation restrictive considérant comme illégale toute plateforme électronique de ce type à l’origine du transport tarifé par un conducteur ne possédant pas de licence comme les chauffeurs de taxi. Une interdiction assortie d’une peine pénale lourde.

On a pris un marteau pour écraser un moustique alors que les consommateurs ont plébiscité ce service.

Me Hugues Calvet, avocat d’Uber France

En l’espèce, un chauffeur lillois, Nabil Bensalem, a saisi le tribunal de grande instance de Lille afin d’attaquer UberPop en vertu de la loi dite Thévenoud du 1er octobre 2014. C’est au cours de ce procès que le juge français a estimé pertinent de questionner la CJUE sur la conformité de cette loi au droit européen – et au fond sur cette question: le service proposé par Uber relève-t-il du domaine des transports ou de la société de l’information?

Les règles européennes applicables en la matière diffèrent en effet, comme l’ont rappelé les diverses parties dans la grande salle d’audience de la Cour lundi.

«UberPop est un service qui permet en réalité à des dizaines de milliers de personnes, de façon totalement innovante, de proposer ou de commander un service, et c’est un service qui en soi n’existait pas», s’enthousiasme Me Calvet, défenseur d’Uber France. «C’est l’un des services les plus caractéristiques de la société de l’information.» Et de comparer UberPop à d’autres sites de mise en relation qu’on ne saurait confondre avec les prestataires comme Booking.com. «On a pris un marteau pour écraser un moustique alors que les consommateurs ont plébiscité ce service», souligne-t-il.

Un «moustique dont la valorisation équivaut au budget annuel de l’Estonie, de la Lituanie et de la Lettonie rassemblées», ironise Me Ismi-Nedjadi, l’avocat du chauffeur de taxi lillois.

Trois pays et la Commission contre la France

Pour le gouvernement français, UberPop doit être considéré comme un service de transport et se voir appliquer la réglementation correspondante, à savoir principalement l’exigence d’un agrément pour les conducteurs.

Comme pour le cas Uber Spain, d’autres pays européens ont choisi d’intervenir en faveur d’Uber – ou plutôt d’une compréhension plus souple de ses services, et ce au nom d’une économie numérique à manier avec des pincettes. Les services numériques «favorisent le développement économique et améliorent la qualité et l’accessibilité des services, il faut réduire ou supprimer les obstacles pour les services de cette nature», plaide l’Estonie. Les Pays-Bas – pays de résidence de la société Uber BV – se positionnent sur la même ligne, comme la Finlande.

Quant à l’Autorité de surveillance de l’Association européenne de libre-échange (AELE, représentant l’Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse), elle considère que l’affaire relève du droit contractuel qui peut être différent d’un pays à l’autre, et est donc à apprécier en fonction de la réalité matérielle des activités d’Uber dans chaque pays.

Le gouvernement français se défend peu et mal.

Joanna Hottiaux, représentante de la Commission

La Commission porte la charge la plus cinglante à l’encontre de la France. «Le gouvernement français essaie de vous faire croire que sa législation est très large et concerne d’autres plateformes électroniques», alerte Joanna Hottiaux, représentant la Commission. «Mais il se défend peu et mal. Les travaux préparatoires de la loi montrent que ses rédacteurs avaient principalement à l’esprit Uber.» Et de toute façon la France aurait dû notifier sa législation à Bruxelles.

Service de transport ou simple application logicielle? La CJUE devra se prononcer dans un dossier ultrasensible. L’avocat général Maciej Szpunar livrera ses conclusions mi-mai dans l’affaire Uber Spain et début juillet concernant Uber France.

161,9 millions de dollars envolés en justice

Une procédure de plus pour Uber, qui les collectionne, avec des issues diverses. La société a récemment gagné une bataille en France face à l’Urssaf, l’organisme collectant les charges sociales des entreprises, qui réclamait 5 millions d’euros de cotisations et la requalification des chauffeurs en salariés. La justice a considéré qu’Uber ne pouvait être accusée d’exercice illégal de la profession de taxi ou chauffeur. Alors qu’un tribunal du travail britannique a condamné la société pour ce même chef d’accusation.

Uber avait été condamnée fin 2015 à 150.000 euros d’amende par la Cour d’appel de Paris pour pratique commerciale trompeuse pour avoir présenté UberPop comme un service de covoiturage urbain. En juin 2016, Uber a été condamnée à 800.000 euros d’amende pour «organisation illégale d’un système de mise en relation de clients» avec des chauffeurs non professionnels, au titre de la loi Thévenoud d’octobre 2014. Deux de ses dirigeants ont également écopé d’amendes de 20.000 à 30.000 euros. Uber a depuis déposé deux plaintes contre la France auprès de la Commission européenne.

Selon un décompte du Guardian, Uber a été condamné des dizaines de fois depuis son lancement en 2009 pour un total de 161,9 millions de dollars versés en amendes ou en indemnités.