Jean-Marc Chiaradia: «La définition de la croissance à long terme reste un exercice extrêmement difficile.» (Photo: CapitalatWork Foyer Group)

Jean-Marc Chiaradia: «La définition de la croissance à long terme reste un exercice extrêmement difficile.» (Photo: CapitalatWork Foyer Group)

Depuis la nuit des temps, l’Homme a eu besoin d’instruments d’échange pour fonctionner en communauté. Le troc primitif permettait d’échanger un service ou un bien contre un autre bien. Plus le produit était rare et utile, plus sa valeur d’échange était grande. Pour des raisons de facilité, l’histoire de la monnaie évolua vers un système de biens intermédiaires, moins consommables et plus durables dans le temps. L’or, l’argent et les terrains devinrent les biens permettant de définir la richesse d’un individu. Les Chinois furent les premiers à émettre un système basé sur la confiance, la monnaie devenant une créance papier convertible en or, argent ou soie, et basée sur le concept d’une convertibilité en emprunt à intérêt fixé. Le temps et la valeur d’un bien étaient de plus en plus liés.

Plus un bien évolue favorablement, plus sa valeur, à offre égale, s’apprécie dans le temps. La monnaie n’échappe pas à ce principe, et la garantie de conserver ou accroître son pouvoir d’achat augmente sa valeur, le taux d’intérêt devenant la variable d’ajustement. 

L’inflation

La définition du taux d’intérêt commence donc par l’évolution et la stabilité de l’inflation. Une inadéquation du loyer de l’argent vis-à-vis de son inflation présente et anticipée est synonyme d’instabilité monétaire. Les banquiers centraux veillent à assouplir les conditions financières lorsque l’inflation est très basse et à augmenter les taux lors de tensions sur les prix. Plus une banque centrale est garante d’une évolution modérée des prix, plus sa fiabilité est grande et plus les opérateurs acceptent une prime inférieure. Les perspectives émises par les banquiers centraux américains et européens permettent d’apporter la transparence nécessaire et de limiter les interprétations faites par le marché. Dès lors, la volatilité s’atténue, et par conséquent, les primes aussi. 

Malgré une règle de Taylor qui préconise aujourd’hui un taux d’intérêt supérieur à 4%, le resserrement ne sera cependant pas aussi violent.

Jean-Marc Chiaradia, CapitalatWork

L’évolution des prix peut s’évaluer sur base du taux d’exploitation et de la productivité des ressources humaines, financières, industrielles et des matières premières. Sans aucun choc exogène (une guerre, par exemple), les hausses des prix demeurent habituellement modérées si les capacités en ressources sont élevées et pas assez exploitées. Aux États-Unis, l’économie est actuellement proche d’avoir atteint son potentiel, et la relance fiscale prévue par le président américain devrait conduire à une surchauffe de l’activité de l’Oncle Sam. Il n’est dès lors pas étonnant que Jerome Powell poursuive son resserrement monétaire et que la Fed souhaite augmenter rapidement ses taux (aujourd’hui entre 1,5%-1,75%), afin d’atteindre un niveau supérieur au niveau d’inflation actuel de 2,5%. Malgré une règle de Taylor qui préconise aujourd’hui un taux d’intérêt supérieur à 4%, le resserrement ne sera cependant pas aussi violent, car la productivité technologique n’est pas suffisamment prise en compte dans le calcul de John Taylor. Par ailleurs, l’inflation attendue aux USA par le marché est relativement stable pour les prochaines années, et devrait avoisiner les 2,2%. Un resserrement trop violent provoquerait une récession. C’est pourquoi le second mandat de la Banque centrale américaine est de veiller à maintenir un niveau maximum et soutenable du taux d’emploi. 

La croissance

Le rendement réel des obligations d’état à 10 ans est plus ou moins égal à la croissance réelle à long terme. Le coût marginal du capital trouve son équilibre dans le bénéfice marginal de son utilisation. Ce concept basé sur les travaux de K. Wicksell ne trouve pas toujours écho sur le plan empirique, mais la relation est plus évidente sur une longue période. Un niveau de rendement réel trop bas permet de relancer l’économie, car les projets peuvent dégager plus aisément une rentabilité supérieure au coût du crédit. Par contre, la destruction créatrice de Schumpeter s’opère plus lentement. Les entreprises non compétitives, appelées «zombies», restent sur le marché car l’accès aux capitaux est aisé.  

La définition de la croissance à long terme reste un exercice extrêmement difficile. Selon les travaux réalisés par Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff, eux-mêmes confortés par l’étude de 2010 de Checherita et Rother, une économie fortement endettée voit son potentiel de croissance diminuer. 

Dans un contexte d’endettement élevé et de faible taux d’intérêt, la productivité de la dette est faible. Le potentiel de croissance réelle à long terme devrait être en dessous du niveau moyen des 100 dernières années. Actuellement, le taux réel à 10 ans est de 0,8%, alors que les attentes de croissance américaine se situent autour de 2,5%, contre une valeur moyenne historique de 3%. Le niveau de croissance nominale devrait se situer dans les 4,7%, soit les attentes de croissance réelle de 2,5% additionnés de l’inflation attendue de 2,2%.

Une tentative de réconciliation entre les deux

Afin de simplifier, partons du postulat que les taux américains à 10 ans sont définis à 50% par la politique monétaire de la banque centrale et à 50% par les prévisions de croissance nominale à long terme. Une estimation théorique des taux américains à 10 ans devrait s’inscrire aux alentours de 3,6%, contre 3% actuellement. 

Le term premium

Compte tenu de l’incertitude des paramètres, une prime de risque est souvent nécessaire afin de compenser cette imprévisibilité. L’action du «quantitative easing» pourrait être considérée comme une prime négative, car il s’agit aussi d’une action sur la demande d’obligations émises. La Réserve fédérale américaine a désormais décidé de réduire son bilan, et par conséquent, cette prime négative devrait s’estomper dans le temps. 

Le postulat actuel peut s’appliquer à l’économie américaine. Elle a peu de contraintes sur sa balance courante, car la balance des paiements la solde par sa propre devise. Les autres pays sont contraints de se procurer des devises étrangères pour effectuer les mêmes opérations, et la définition du taux prend donc d’autres paramètres en compte.    

La crédibilité de la devise trouve sa source dans sa rémunération et son utilisation, les taux américains à 10 ans devraient continuer à progresser selon cette démonstration.