Antoine Deltour dit avoir perdu le contrôle de ses documents en les confiant à un journaliste. (Photo: Sven Becker)

Antoine Deltour dit avoir perdu le contrôle de ses documents en les confiant à un journaliste. (Photo: Sven Becker)

On a presque craint qu’Antoine Deltour rate l’occasion de parler qui lui avait été offerte par l’asbl Etika tant les préliminaires sur scène et dans la salle ont occupé de la place et du temps. C’en était presque gênant, voire impoli pour celui qui a été à l’origine du choc LuxLeaks lié aux révélations des centaines d’accords fiscaux entre les multinationales, cherchant l’évitement d’impôts, et l’Administration des contributions fabriquant les rulings à l’échelle industrielle.

Timide, modeste et réservé  c’est du moins l’impression qu’il donne à ceux qui l’ont déjà cotoyé –, Deltour fouillait dans son sac et cachait mal son malaise sur scène. Il a fini au bout de 50 minutes par avoir la parole à l'occasion de cette conférence organisée hier soir au CarréRotondes par Etika.

Si l’ancien auditeur de PwC, aujourd’hui fonctionnaire en France, s’est déjà beaucoup épanché dans les médias internationaux, il ne s’était pas exprimé jusqu’à présent au Grand-Duché. Il n’était pas venu, a-t-il dit, «pour faire de la provocation» ni «pour fanfaronner», alors qu’il a été inculpé au Grand-Duché, entre autres, de vol de documents, intrusion dans un système informatique et blanchiment, mais pour «clarifier» les motivations de son geste et «réajuster» certaines vérités sur ce qui l’a poussé à copier ces centaines de rulings chez son employeur, la veille de son départ de la firme d’audit.

Le nez dans ses notes, comme s’il craignait de dire un mot de travers qui pourrait lui être reproché par la suite par ses adversaires, il a décrit son parcours professionnel l’ayant amené à signer un contrat avec PwC après ses études en gestion et en audit, «relativement cohérent pour un Lorrain». Il est d’ailleurs pendant ses deux ans passés chez PwC un employé apprécié avant de démissionner en 2010 en raison des pratiques «radicales» qu’il désapprouvait.

La conférence modérée par la journaliste Michèle Sinner (Land) a fait salle comble au CarréRotondes.

La conférence modérée par la journaliste Michèle Sinner (Land) a fait salle comble au CarréRotondes.

Perte de contrôle

Il est parti en copiant des dossiers de rulings fiscaux, en libre-service sur le serveur de la firme d’audit et désormais en consultation publique sur le site du consortium de journalistes ICIJ. À l’époque de sa démission, il n’avait aucune idée précise de ce qu’il allait faire de sa découverte, bien qu’il a reconnu avoir pris contact avec des ONG pour leur faire bénéficier de ses trouvailles.

Mais ces contacts n’auraient pas débouché sur grand-chose, jusqu’à sa rencontre, sur un blog, avec un journaliste français. Il lui a confié ses documents, mais dit-il avec les instructions précises de ne pas citer le nom de son ancien employeur ni celui des sociétés concernées.

C’était plutôt raté: la chaîne France 2 publie des extraits floutés des accords fiscaux, que PwC ne mit pas longtemps à identifier grâce aux techniques ad hoc et l’aide d’experts. Deltour est rapidement identifié et PwC dépose plainte. Il a fallu attendre les révélations de LuxLeaks deux ans plus tard pour que le jeune homme soit inculpé par un juge d’instruction luxembourgeois. Il s’est d’ailleurs refusé jeudi soir à évoquer l’enquête pénale qui le vise et campe sur sa position selon laquelle son geste, en copiant les documents, n’était pas prémédité.

Je ne veux pas donner l’impression de me dédouaner.

Antoine Deltour, à l'origine de LuxLeaks (épisode 1).

Antoine Deltour – et c’est sans doute l’unique nouveauté de son message de jeudi soir – a assuré avoir perdu la maîtrise de ses documents. «Je ne veux pas donner l’impression de me dédouaner, a-t-il assuré, mais j’ai perdu le contrôle de mes documents et je désapprouve en partie ce qui en a été fait.»

Vindicte contre le Luxembourg «pas justifiée»

Car sa motivation  était de «dénoncer des pratiques systémiques» ainsi que leur radicalité, et moins de jeter à la vindicte la place financière du Luxembourg. «Mon regret, a-t-il poursuivi, est que les enquêtes journalistiques aient pointé du doigt le Luxembourg, ce qui n’était pas justifié.»

L’homme a d’ailleurs assuré que les pratiques des tax rulings ont «une certaine légitimité» en apportant une sécurité juridique à des investisseurs. «Les rulings ont une raison d’être», a-t-il précisé. On aurait alors presque pu interchanger Deltour avec le ministre des Finances Pierre Gramegna sur la scène tant leurs discours étaient proches.

Si Deltour regrette le galvaudage qui a été fait de ses découvertes, il estime que LuxLeaks a eu des effets finalement «pas si négatifs» pour le Luxembourg, bien qu’il y ait eu pour le pays un sérieux dommage de réputation d’ailleurs «pas forcément très justifié». 

LuxLeaks a finalement servi d’accélérateur de la transparence fiscale du Grand-Duché et suscité le débat sur la substance économique des multinationales qui y sont implantées.

Cerise sur le gâteau, Antoine Deltour a assuré que les multinationales n’étaient pas à Luxembourg que pour sa fiscalité avantageuse, mais que sa «bonne situation géographique, sa main-d’œuvre multilingue et ses compétences dans les activités financières» contribuaient aussi à leur présence.

Bref, la conférence de jeudi a eu des allures de séance de rattrapage pour Antoine Deltour qui n’a pas dit un seul mot de travers sur les cabinets d’audit, qui ne font, à ses yeux, qu’appliquer la loi.