«Les personnes qui ne peuvent exercer un travail doivent être actives autrement», souligne Corinne Cahen. (Photo Mike Zenari)

«Les personnes qui ne peuvent exercer un travail doivent être actives autrement», souligne Corinne Cahen. (Photo Mike Zenari)

Madame la Ministre, le LSAP et Déi Gréng ont exprimé une préférence pour la reconduction du gouvernement actuel, si les trois partis récoltent 31 mandats ou plus en 2018. Comment se positionne le DP?

«Pour nous, l’essentiel, c’est un programme qui fait avancer le pays et ses citoyens. Un programme qui facilite la vie aux gens et qui adapte la politique à la vie d’aujourd’hui. Nous voulons le faire avec le ou les partenaires qui le permettent.

C’était le cas en 2013: à l’époque, nous voulions être avec ces partenaires qui nous permettaient de sortir de notre sommeil. En 2018, nous aurons la même approche.

On observe depuis quelques mois certaines divergences d’opinions entre votre parti, le DP, et votre partenaire, le LSAP, sur différents sujets, comme l’organisation du temps de travail, l’expropriation, le salaire social minimum ou encore le congé de paternité. C’est pour ça que vous gardez toutes les options ouvertes?

«Nous savons exactement quelle politique nous voulons. En ce qui concerne l’augmentation des jours de congé de paternité, je tiens à clarifier que j’ai lancé l’initiative. Depuis 2009, je suis non seulement engagée pour plus de jours de congé de paternité, mais aussi pour la suppression du congé d’allaitement, afin de garantir l’égalité de traitement pour toutes les femmes. J’ai également milité pour davantage de moyens pour une organisation flexible de la vie familiale, avec entre autres les congés pour raisons familiales.

Ce que nous avons fait les quatre dernières années n’est que le début.

Corinne Cahen, ministre de la Famille et de l’Intégration

Je ne vois pas de divergences, mais plutôt une surenchère, parce que l’un ou l’autre voudrait encore faire plus. Nous voulons tous faire plus, mais il faut que ce soit en concordance avec nos partenaires sociaux. Il faut tenir parole. Cela dit, nous n’en sommes qu’au début du processus.

Nous sommes trois partis différents qui se focalisent sur des aspects différents et pour cette raison, nous avons un programme gouvernemental. Ainsi, certaines revendications ne sont pas réalisées.

Le DP fera campagne avec un programme très clair. Nous observons que le pays va beaucoup mieux qu’il y a quelques années, que le Luxembourg est désormais perçu comme beaucoup plus moderne et que de nombreuses entreprises veulent venir ici. Ce que nous avons fait les quatre dernières années n’est que le début.

Corinne Cahen, quelle politique devrait, selon vous, être poursuivie après 2018?

«Il est indispensable de poursuivre le chemin vers une garde des enfants gratuite. Le 1er octobre, nous allons appliquer la gratuité des 20 premières heures de garde par semaine, mais à terme, la garde des enfants ne devrait plus rien coûter. C’est comme l’école: il faut que l’État la prenne en charge.

Le gouvernement ne prévoyait-il pas d’augmenter la gratuité de la garde des enfants dans les prochains mois?

«Nous allons en effet augmenter les heures gratuites pour les ménages les plus faibles. C’est déjà échelonné, mais une fois de plus, je pense que nous n’en sommes qu’au début d’un processus.

Une autre mesure, que le gouvernement mettra en œuvre avant les prochaines élections, concerne les livres scolaires gratuits dans l’enseignement secondaire. Nous savons très bien qu’au lycée, les manuels coûtent très cher. Dans le fondamental, l’État finance les livres, alors il devrait en être de même pour les livres obligatoires au secondaire.

Une autre réforme très importante en cours est celle du «revenu d’inclusion sociale», le Revis, censé remplacer le RMG…

«Nous voulons renforcer l’activité. Les personnes qui ne peuvent exercer un travail doivent être actives autrement, en suivant notamment des cours de langues ou des cours de désintoxication. Contrairement à la situation actuelle, ils doivent aussi pouvoir gagner plus s’ils exercent un travail à temps partiel.

Il faut surtout aider les ménages les plus faibles.

Corinne Cahen, ministre de la Famille et de l’Intégration

La plus importante modification est celle qui permettra au deuxième adulte d’un ménage percevant le RMG d’être actif également. Actuellement, ce n’est pas le cas, et souvent on garde la femme à la maison. Après la réforme, le deuxième adulte pourra, devra, se rendre actif et le ménage pourra gagner jusqu’à deux fois le salaire social minimum pour salarié non qualifié. Cela représente 3.997 euros et une amélioration substantielle par rapport au régime actuel.

À mon arrivée au ministère, on me disait que le projet de réforme du RMG était dans le tiroir. Eh bien je peux vous dire qu’avec l’ancien projet, l’objectif était de maintenir les gens dans leur précarité.

Votre projet récolte néanmoins des critiques, non seulement de la part du CSV, mais également de la part des syndicats…

«Nous avons en effet constaté qu’un ménage monoparental dans lequel l’adulte ne serait actif que 20 heures par semaine percevrait légèrement moins après la réforme. Nous allons corriger cela par amendement. Cela dit, il est aussi vrai qu’une personne adulte qui refuse de travailler recevra légèrement moins qu’avec le régime actuel. Par contre, personne de tombera en dessous du montant minimum actuel de 1.401 euros.

Je ne comprends pas entièrement les syndicats, car nous avons consulté nos partenaires sur le terrain et j’ai visité moi-même nos partenaires, comme le CNDS et Co-Labor, par exemple, à maintes reprises. Nous avons réagi à leurs soucis. Ce qui ne va pas, c’est que certaines personnes qui sont dans une mesure pour l’emploi dans une entreprise privée sont à charge de l’État et elles restent donc dans la mesure. L’objectif doit être de sortir ces gens de ces mesures afin qu’elles soient embauchées par ces entreprises.

Je comprends que les syndicats soient fâchés parce qu’ils n’étaient pas nos premiers partenaires pour cette réforme. Nos partenaires, c’étaient les associations sur le terrain et les offices sociaux. Ils savent très bien où le bât blesse.

Toujours est-il que le montant du Revis, tout comme le salaire social minimum, se situe souvent en dessous du seuil de risque de pauvreté. Si l’on n’a rien de côté, on ne peut pas survivre au Luxembourg…

«Pour ce qui est du Revis, il existe des compléments, mais il ne faut pas se limiter à la vue d’une mesure. Nous avons introduit la ‘subvention loyer’, nous allons adapter l’‘allocation vie chère’, plein de mesures pour les enfants de ménages à faible revenu.

L’évolution des inégalités au niveau du revenu est néanmoins toujours augmentée sur l’échelle du temps, car les revenus plus élevés augmentent plus que les revenus faibles, notamment lors du déboursement d’une tranche indiciaire.

«Je pense qu’il faut surtout aider les ménages les plus faibles. Mon dada, c’est la fiscalité. Je ne comprends toujours pas comment un couple marié paie moins d’impôts qu’un ménage monoparental. Il faut traiter ce problème et loger tout le monde à la même enseigne. Il faudra songer à des abattements où les possibilités sont illimitées.

Quand on parle de justice sociale, il faut commencer par ça. Le rôle de l’État n’est pas de dicter aux gens comment ils vivent ensemble, mais le rôle de l’État est de garantir que tout le monde a un revenu qui permet de couvrir ses frais.

Il faut mettre un terme à cette guerre entre la fonction publique et le secteur privé.

Corinne Cahen, ministre de la Famille et de l’Intégration

Cela dit, nous ne voulons pas arroser le pays tout entier. On doit mettre un terme à l’époque de la ‘Strenz’ (luxembourgeois pour ‘arrosoir’). Tous les sous qu’on distribue à ceux qui n’en ont pas besoin manquent à la distribution sélective.

La politique de la «Strenz», l’opposition vous reproche de la faire. Notamment avec l’accord salarial dans la fonction publique…

«Il faut mettre un terme à cette guerre entre la fonction publique et le secteur privé. Tout le monde a sa raison d’être. Nous avons besoin d’un service public efficace et nous avons un secteur privé qui génère les recettes dont nous avons besoin pour financer les salaires des fonctionnaires.

Je trouve la surenchère permanente fatigante. Il n’y a pas le fonctionnaire qui gagne plus que l’employé privé et il n’y a pas l’employé privé qui gagne plus que le fonctionnaire. Tout cela dépend des carrières et du travail qu’on fait.

J’aime beaucoup cette citation: ‘Si Sigmund Freud était né au Luxembourg, il n’aurait pas écrit de thèse sur la sexualité, mais sur la jalousie’. Ce qui compte, c’est que les gens, les entreprises et l’État puissent s’organiser.

Sur un autre point, le CSV et l’ADR reprochent au gouvernement que, malgré une forte croissance économique, le budget de l’État central soit déficitaire…

«Je ne le vois pas comme ça. Si vous achetez une maison, vous empruntez de l’argent auprès d’une banque. L’argent que nous empruntons n’est pas utilisé pour des dépenses récurrentes, mais pour des investissements. Il faut tout de même admettre que ces investissements, qui sont nécessaires, ont été loupés avant. Qu’en était-il des années florissantes au début du millénaire? Quelles infrastructures furent construites à l’époque? Pourquoi y a-t-il tant d’embouteillages?

La raison pour laquelle je suis entrée en politique est que je me souviens de l’époque où je demandais à Claude Wiseler (ancien ministre CSV du Développement durable et des Infrastructures) quand il commencerait à construire le tram. Je ne voulais pas savoir quand il serait terminé, mais au moins quand les travaux commenceraient, afin que les entreprises et les commerces puissent s’organiser.

Le pire qu’on puisse infliger à son pays, c’est de ne pas prendre de décisions. On ne peut pas continuer à dire ‘oui’ puis revenir en arrière parce qu’une personne a râlé. Si les gouvernements, au début du millénaire, avaient investi convenablement dans les réseaux de transports, nous ne devrions pas le faire aujourd’hui. Nous continuerons après 2018, car il faut préparer le pays pour son avenir.

Lorsqu’on parle de flexibilisation du travail, il ne s’agit pas de donner plus de temps aux gens pour qu’ils le passent ensuite dans les embouteillages.

Dans ce contexte, il faut évoquer le débat sur la croissance et ses limites. Quelle est la position du DP?

«La croissance doit être qualitative. Il faut attirer ces entreprises qui apportent quelque chose au pays et qui créent de l’emploi. Il faut préparer les jeunes et leur proposer les formations qui leur permettent de participer à la croissance.

Nous avons beaucoup grandi, grâce à notre attractivité, liée à la stabilité sociale, le multilinguisme et la situation géographique du pays. Mais il faut avoir le cadre nécessaire pour cette croissance, car nous perdrons cette attractivité si nous n’éliminons pas les embouteillages ou si nous n’avons pas assez d’écoles.

Nous sommes ‘multi-tasking’, ‘multi-lingual’, ‘multi-tout’.

Corinne Cahen, ministre de la Famille et de l’Intégration

L’attractivité du pays nous permettra de choisir quelle part du gâteau nous voulons et quelles parts nous ne voulons pas. Comme le dit le ministre de l’Économie, Étienne Schneider, nous ne voulons pas d’industrie lourde qui pollue.

Quelle est votre vision du pays pour les prochaines années, voire décennies?

«Je pense qu’il faut éviter de parler en chiffres, car je me souviens encore très bien du scénario du ‘Luxembourg à 700.000 habitants’, évoqué par Jean-Claude Juncker (au début des années 2000, ndlr). Je pense qu’on essaie de faire peur aux gens. Il faut regarder la réalité en face: nous avons à peine 600.000 habitants et regardez donc combien de gens habitent sur les territoires de Paris, Berlin ou même Bruxelles? Le Luxembourg est loin d’être surpeuplé.

Je pense plutôt que la richesse du Luxembourg, c’est justement sa diversité. Nous sommes ‘multi-tasking’, ‘multi-lingual’, ‘multi-tout’. Cela fait du Luxembourg un pays unique au monde. Le plus beau, c’est quand les étrangers raffolent de notre pays.

Tout cela ne signifie pas qu’il ne faut pas préserver notre identité, et voilà pourquoi nous soutenons entre autres la promotion de la langue luxembourgeoise. Nous sommes fiers quand des étrangers apprennent notre langue et nous sommes fiers de savoir parler tant de langues différentes.

Le luxembourgeois se développe d’ailleurs et contrairement à il y a 10 ans, nous nous efforçons désormais de l’écrire correctement.

En tant que ministre de l'Intégration, vous êtes en charge de l’accueil et l’intégration des demandeurs d’asile et des réfugiés. Comment décririez-vous la situation actuelle, par rapport à la crise migratoire de 2015?

«Nous avons toujours beaucoup d’arrivées, mais également des départs de personnes qui n’ont pas le droit de rester. Nous avons toutes sortes de programmes, comme les relocalisations (dans le cadre des décisions européennes, ndlr), qui font que nous devons accueillir des réfugiés. Cela dit, nous sommes désormais plus stricts avec ceux qui tombent sous ‘Dublin’ (les demandeurs d’asile ayant déjà formulé une demande dans un autre état membre de l’UE, ndlr) et ces personnes doivent quitter le Luxembourg. Ce message dissuasif se répand.

Je dois ajouter néanmoins que les jeunes s’intègrent très bien. Nous avons 3.000 personnes qui ont déposé une demande de protection internationale, et je me rends compte qu’il y en a qui apprennent très rapidement la langue. C’est impressionnant.

Par ailleurs, 3.000 personnes, qu’est-ce que cela représente sur un flux migratoire total de 15.000?

Nous essayons d’encadrer tous ces gens avec le contrat d’accueil et d’intégration et les cours de langues. De plus en plus d’arrivants apprennent d’ailleurs le luxembourgeois. Nous souhaitons intégrer tout le monde, pas seulement les demandeurs d’asile, et je pense que nous y arrivons très bien au Luxembourg.

Quels nouveaux instruments envisagez-vous pour améliorer encore l’intégration?

«De manière générale, nous ne pouvons intégrer que les personnes qui font un effort. Il n’y a pas qu’une personne qui va vers l’autre, mais ce sont deux personnes qui vont l’une vers l’autre.

Il y a l’école, par exemple: j’ai rencontré des eurocrates qui envoient leurs enfants à l’école publique et quand je leur demande pourquoi ils en ont décidé ainsi, ils répondent: ‘Je ne veux pas que mon enfant pense que la vie n’est faite que de ‘Burberry et Jeeps’.’

En revanche, beaucoup de personnes qui viennent au Luxembourg pensent qu’elles ne sont que de passage. Parfois c’est le cas. D’autres disent pendant 35 ans: ‘L’année prochaine, je retourne chez moi.’ Au final, ils restent ici pour toujours. Je pense que l’école est un facteur d’intégration crucial.

Je n’ai pas l’intention de devenir Premier ministre.

Corinne Cahen, ministre de la Famille et de l’Intégration

Pour finir, Corinne Cahen, j’en reviens à la politique: vous ne souhaitez pas vous exprimer en faveur de la reconduction de la coalition avec le LSAP et Déi Gréng, même si la majorité actuelle préservait une majorité, car selon vous c’est le programme qui compte. Mais que feriez-vous si le DP perdait un ou deux mandats en 2018?

«Cela n’arrivera pas.

Mais si cela arrivait, seriez-vous toujours ouverts à une coalition avec le CSV ou iriez-vous volontairement dans l’opposition?

«Aucune idée. Nous n’en avons pas encore discuté. Ce qui compte pour nous, c’est d’élaborer un programme pour l’après-2018. Je suis encore trop jeune en politique, mais j’étais journaliste et je sais que ces spéculations sont très amusantes. En tant que politicienne, je ne veux pas participer à ces discussions. Il faut élaborer un programme et une vision d’avenir pour le pays.

Je suis sûre que les gens le voient aussi de la sorte et qu’ils votent pour un programme.

Mais je peux faire une déclaration: au fond, je n’ai pas l’intention de devenir Premier ministre. À moins que les électeurs le veuillent (rires).»