Étienne Schneider se voit bien Premier ministre mais n’exclut pas que son parti, le LSAP, aille dans l’opposition en 2018. Ce qui compte pour lui, c’est le programme. (Photo: Maison Moderne)

Étienne Schneider se voit bien Premier ministre mais n’exclut pas que son parti, le LSAP, aille dans l’opposition en 2018. Ce qui compte pour lui, c’est le programme. (Photo: Maison Moderne)

M. le ministre, les partis gouvernementaux DP, LSAP et Déi Gréng présentent régulièrement des bilans positifs de la politique des quatre dernières années. La coalition estime avoir modernisé le Luxembourg, avoir ouvert grand la fenêtre. Que reste-t-il donc à faire, au-delà de la période législative?

«Évidemment chaque gouvernement est confronté à de nouveaux défis. Pour nous, pour le LSAP, le plus important est que, maintenant que le pays se porte mieux, les gens puissent participer davantage à la croissance économique. Nous observons que depuis 2008, et pas seulement au Luxembourg, moins de monde participe à la croissance qu’avant. En particulier ceux qui vivent du salaire social minimum. Nous avons franchi une première étape avec la réforme fiscale, focalisée sur les petits et moyens revenus, mais nous estimons qu’il faut aller plus loin, notamment en exonérant le salaire social minimum et en augmentant les petits et moyens revenus. Nous avons pris des initiatives au niveau social avec le Revis (anciennement RMG, ndlr) et avec l’allocation de vie chère, et nous avons entrepris des choses pour les familles monoparentales, même si nous n’avons pas encore terminé. Il faut continuer à travailler dans ce domaine.

Il faudra traiter chaque secteur différemment et il faudra songer à différents modèles

Étienne Schneider, vice-Premier ministre et ministre de l’Économie

Un autre sujet qui occupera le prochain gouvernement c’est l’organisation du temps de travail et la digitalisation de l’économie. Il faudra savoir comment veiller à ce que tout le monde trouve un emploi dans une économie qui se digitalise et se robotise, sans oublier le développement de l’intelligence artificielle. Et puis il y a la mobilité. Nous avons lancé de grands investissements, mais il faudra des années avant que tout soit en place.

Je pense que le prochain gouvernement ne pourra pas chômer.

Vous évoquiez l’organisation du temps de travail, un sujet sur lequel le LSAP et le DP ne partagent pas le même avis. Vous estimez qu’il faudrait redistribuer davantage les gains de productivité sous forme de rémunération supplémentaire ou sous forme de réduction du temps de travail. Mais si la quantité de travail ne diminue pas, à quoi cela servirait-il de diminuer le temps de travail?

«L’idée n’est pas de simplement réduire le temps de travail ou de vouloir copier le modèle français (du 35 heures hebdomadaires, ndlr) qui ne fonctionne pas. L’idée est de réfléchir dans le contexte du débat d’avenir et de l’étude Rifkin à l’avenir de l’organisation du temps de travail. Le régime actuel des 40 heures hebdomadaires remonte à il y a 40 ans. Or, de nombreux experts estiment que la troisième révolution industrielle qui est en cours, sera la première révolution industrielle qui détruira plus d‘emplois qu’elle n’en créera. La digitalisation, la robotisation, l’intelligence artificielle: comment voulons-nous gérer cela?

Grâce aux nouvelles technologies, le patron gagne en productivité. Il a besoin de moins de personnel pour faire plus de bénéfice. En tant que politiciens responsables nous devons nous demander comment on répartit cela. Comment ferons-nous pour donner du travail à tout le monde? Si la quantité de travail diminue il faut la répartir, et donc le temps de travail doit être réduit.

Il faudra traiter chaque secteur différemment et il faudra songer à différents modèles. Parlons-nous du temps de travail quotidien, hebdomadaire, mensuel, annuel ou même au cours de toute la vie? Il est envisageable qu’on parte en pension plus tôt. Une autre possibilité est de songer à plus de jours de congé.

Quels modèles sont donc envisageables dans les prochaines cinq, six années?

«Je ne veux pas préjuger le processus Rifkin qui est en cours. Tout ce que je peux dire, c’est que nous ne pourrons pas définir un système pour tous. Le principe du ‘one size fits all’ ne fonctionnera plus à l’avenir. Nous devrons traiter chaque secteur différemment car la robotisation, par exemple, n’affecte pas chaque secteur de la même manière.

Je ne veux pas imposer quoi que ce soit, mais aucun parti n’a le luxe d’ignorer ce débat.

Vous annoncez régulièrement l’arrivée de nouvelles entreprises au Luxembourg. Outre Google, dont une éventuelle arrivée est en cours de préparation, quelles annonces sont encore dans les tuyaux?

«En septembre au plus tard nous annoncerons un investissement industriel de plusieurs centaines de millions d’euros. C’est un projet important car il s’inscrit dans l’industrie 4.0. D’autres projets sont dans les tuyaux, mais je ne peux pas me prononcer sur un calendrier car ils ne sont pas encore définis.

Toutes les entreprises qui vont s’implanter au Luxembourg remplissent les derniers standards écologiques

Étienne Schneider, vice-Premier ministre et ministre de l’Économie

En général nous observons que nos efforts pour développer l’industrie et lui donner une place plus importante dans l’économie portent leurs fruits. C’est une bonne nouvelle, car nous constations par le passé un déclin de la part de l’industrie dans le PIB. Nous renversons la tendance et j’en suis ravi, car une économie ne peut uniquement être dépendante des services. Nous devons aussi produire.

Toutes les entreprises qui vont s’implanter au Luxembourg remplissent les derniers standards écologiques, que ce soient leurs installations de filtrage, leurs chaines de production, une efficience énergétique, etc. Cela dit, aujourd’hui nous n’avons même plus besoin d’imposer ces conditions aux patrons, car ils voient eux-mêmes qu’ils ont intérêt à appliquer ces standards. Personnellement c’est une expérience très satisfaisante, car je me souviens encore de l’époque avant que je ne sois ministre, pendant laquelle il était pénible de demander aux entreprises d’appliquer les meilleures normes. Le changement de mentalités a eu lieu et c’est devenu beaucoup plus agréable de travailler ensemble.

Pouvez-vous quantifier la diversification de l’économie?

«Ce qui est sûr c’est que le nombre d’entreprises et d’emplois ont augmenté dans les autres secteurs que la place financière. Rien que dans le secteur de la logistique, nous employons désormais 13.000 personnes. En ce qui concerne l’économie circulaire nous employons 2.000 personnes. Nous employons également des milliers de personnes dans le secteur automobile.

La diversification de l’économie connaît cependant des difficultés dans certains domaines. Prenez la logistique: il nous a fallu des années pour libérer des terrains et implanter le grand centre sur l’ancien site de la WSA à Bettembourg/Dudelange. Ensuite cela a duré des années avant que ne commencent les constructions. Il a fallu investir beaucoup, un milliard environ, pour arriver à un résultat 10 ans plus tard.

Si j’observe notre initiative spaceresources je vois qu’un an après le lancement de l’initiative, nous sommes submergés de demandes d’entreprises alors que nous n’avons dépensé que 25 millions d’euros. Je tiens à souligner d’ailleurs qu’il s’agit là d’investissements.

L’initiative spaceresources demandera certainement encore plus d’investissements de la part de l’État, notamment avec la création d’une agence spatiale luxembourgeoise…

«En fait, cette agence sera rattachée au ministère de l’Économie. L’agence sera formée de mon équipe actuelle qui est en charge de l’espace. Certes elle recrutera, mais elle travaillera aussi en étroite collaboration avec l’université et avec Luxinnovation.

D’autre part nous allons créer un fonds d’investissement qui, sous forme de partenariat public/privé, investira dans des start-up qui souhaiteraient s’établir au Luxembourg. Là encore ce ne sont pas des subsides mais des investissements dans des entreprises qui, de préférence, opèreront ici.

La loi sur l’exploitation de ressources dans l’espace vient d’être votée le 12 juillet. Quelles sont les prochaines étapes?

«La loi entrera en vigueur le 1er août et la prochaine étape est la création de l’agence spatiale cet automne. Début 2018 nous voudrions activer le fonds d’investissement dédié.

J’observe cependant, indépendamment de notre fonds, un fort intérêt du secteur privé pour investir dans l’initiative spaceresources. Si ces investissements se concrétisent nous parlerons d’un milliard d’euros. Nous ne nous attendions vraiment pas à un tel succès.

J’en viens à la question de la répartition des richesses, un sujet présent dans l’ADN du LSAP. On n’a rien entendu ces derniers temps sur l’idée d’un impôt sur la succession en ligne directe évoquée par votre collègue, le député Franz Fayot. Quelle est la position actuelle des socialistes?

«La position reste la même (contre, ndlr). Franz Fayot, évoquait cette idée à titre personnel.

L’idée part de la question de la croissance des inégalités. À titre d’exemple, une personne qui hérite d’une maison aura à la fin de sa vie peut-être deux maisons, tandis qu’une personne qui en hérite de dix, en appliquant la même méthode, en aurait 100 à la fin de sa vie.

«Je ne pense pas qu’il faille enlever quoi que ce soit à qui que ce soit. Ce qui me paraît important, c’est de donner la possibilité à tout le monde de se procurer une propriété. Vous parlez de maisons: pour moi, il faut qu’une personne puisse s’acheter une maison et qu’au moment où elle prend sa retraite elle ait remboursé son prêt.

Nous avons toujours essayé de soutenir la classe moyenne et d’aider les plus faibles

Étienne Schneider, vice-Premier ministre et ministre de l’Économie

Ainsi elle aura assuré son crépuscule et ne sera pas redevable de loyer ou tributaire d’une dépense significative. Nous voulons mettre l’accent sur l’accès à son propre logement. Il faut aider les gens à constituer un capital, plutôt que de dire ‘si les uns n’ont rien, on va enlever aux autres’.

Venons-en au débat sur la croissance: jusqu’à où et quand grandira le Grand-Duché?

«Ça dépend de l’idéologie d’un gouvernement et de son orientation politique. Le CSV veut freiner la croissance accompagnée d’une augmentation de la population. Je trouve cela assez opportuniste, car ils remettent en question une politique qu’ils ont poursuivie eux-mêmes pendant des années. Ils jouent sur la crainte d’un État à 1,2 million d’habitants? Je réponds simplement que la Sarre a le double d’habitants pour la même taille et je n’ai jamais entendu que les Sarrois seraient mal à l’aise dans leur État.

Ce qui compte davantage, c’est que la croissance que nous allons générer sera de plus en plus une croissance technologique: augmentation de l’efficience, robotique, intelligence artificielle, etc., donc moins de création d’emplois et moins d’augmentation de la population. Je pense que l’un amortira l’autre. Nous pouvons continuer à croître, sans pour autant avoir les effets négatifs. D’où l’importance de mener le débat sur l’organisation du temps de travail.

Estimez-vous que le Luxembourg puisse maintenir son niveau de vie élevé? Sachant que le monde entier ne peut pas se le permettre…

«Nous n’avons jamais poursuivi le principe que si les autres nations ne veulent pas croître, alors nous non plus. C’est un reflexe normal pour tout le monde. Chaque État veut faire de son mieux pour son pays.

Nous pouvons évidemment essayer de vivre sans croissance, mais alors regardez ce qui s’est passé depuis 2008. Regardez les mesures drastiques que le gouvernement a dû entreprendre, parce que les caisses étaient vides et que d’importantes sources de recettes avaient disparu. Le dernier gouvernement a dû tripler l’endettement de l’État. Combien d’années croyez-vous qu’on aurait pu continuer avant d’être obligés d’augmenter les impôts ou de réduire les dépenses sociales? Nos voisins ont dû le faire, car la croissance était absente. Pour moi il n’y a pas d’option à la croissance. Mais il y a une option pour une croissance durable. Voilà pourquoi nous avons lancé l’étude Rifkin et la digitalisation, et voilà pourquoi nous voulons débattre des modèles de temps de travail.

Malgré les mesures d’austérité, les grandes fortunes se sont enrichies…

«C’est le défaut du capitalisme: les plus riches arrivent toujours à retourner une situation négative et arrivent toujours à gagner. Vous savez vous avez des modèles d’affaires qui permettent de gagner quand l’économie va bien et quand elle s’écrase, car il faut liquider les entreprises. Ça c’est malheureusement dans la nature du capitalisme mais je ne pense pas qu’au Luxembourg ce soit aussi dur, car nous avons toujours essayé de soutenir la classe moyenne et d’aider les plus faibles.

Je pense que nous devrons d’ailleurs entreprendre davantage, car un pays comme le Luxembourg ne peut pas se permettre d’avoir tant de monde en difficulté. Il y a de la pauvreté dans notre pays et nous ne pouvons pas l’accepter. Nous avons des temps durs derrière nous et nous avons désormais entrepris des premières mesures avec la réforme fiscale et des mesures sociales. Mais il ne faut pas s’arrêter là. Pour le LSAP, il faudra entreprendre encore des initiatives lors de la prochaine période législative.

Vous avez récemment exprimé votre préférence pour continuer avec le DP et Déi Gréng après les élections de 2018...

«Je peux m’imaginer une coalition avec tout parti démocratique. Mais vous connaissez le principe ‘never change a winning team’ (anglais pour ‘on ne change pas une équipe qui gagne’), et j’estime que ce gouvernement fonctionne très bien. Il y a trois ans tous les observateurs annonçaient que l’économie luxembourgeoise ne grandirait plus jamais de plus de 2%, que le chômage ne descendrait plus en dessous des 7% et que nous ruinerions les finances publiques. Mais c’est exactement le contraire qui s’est produit. Le gouvernement a réussi en quatre ans à réformer le pays et à lui rendre des perspectives. Il faut ajouter que la collaboration entre les trois partis est ‘tip top’.

La seule règle est: il faut avoir une majorité

Étienne Schneider, vice-Premier ministre et ministre de l’Économie

Maintenant il faut d’abord voir si, à condition que les trois partis aient une majorité, nous arriverons à trouver un nouvel accord gouvernemental sur la base des programmes des trois partis. Au début de cette période législative nous étions en situation de crise et nous étions tous d’accord sur le fait qu’il fallait entreprendre ce que nous avons fait. Maintenant que nous ne sommes plus en crise, la discussion est différente. Le LSAP a ses revendications, que j’ai d’ailleurs évoquées, et il faudra voir si nous arrivons à nous mettre d’accord avec nos partenaires.

Je n’exclus pas une coalition avec le CSV, je n’exclus pas que le LSAP aille dans l’opposition si l’électeur ne le plébiscite pas.

Et si les DP, LSAP et Déi Gréng ne récoltent pas une majorité et que le CSV – incontournable dans ce cas de figure – n’acceptait qu’un partenariat avec le LSAP sans Étienne Schneider et Alex Bodry, à leurs yeux ceux qui ont chassé le CSV et Jean-Claude Juncker du pouvoir… (interrompu)

«Nous n’avons chassé personne, les électeurs ont puni le CSV. Même s’il est toujours le parti avec le plus de mandats, ils avaient perdu massivement lors des élections de 2013. Les électeurs étaient clairs: ils voulaient affaiblir le CSV.

Je n’avais d’ailleurs jamais caché ma préférence pour une coalition avec le DP et Déi Gréng. Aucun parti ne l’avait affiché aussi clairement que le mien et personne ne peut me reprocher de ne pas l’avoir annoncé.

Par ailleurs je ne pense pas qu’il faille promouvoir de telles rancunes. Dans la politique il faut se débrouiller avec les principes démocratiques. La seule règle est: il faut avoir une majorité.

Mais que feriez-vous si le CSV proposait une coalition avec le LSAP avec Jean Asselborn?

«Je ne pense pas que le CSV demanderait cela. Jamais un parti n’a ingéré dans la désignation des ministres du partenaire.

D’autre part, je connais bien les gens du CSV, car j’ai affaire à eux tous les jours, et je ne sens pas de telles animosités. Je comprends que pour un parti habitué à gouverner le passage dans l’opposition est un peu plus difficile, mais vous savez, cela arrive aussi assez souvent à mon parti. Mais ce n’est pas pour autant que nous sommes fâchés.»