Jean-Marc Chiaradia: «Les derniers chiffres de production américaine font état d’une hausse de deux millions de barils par jour, et pourtant, il existe des goulots d’étranglement sur le pipeline entre le golfe du Mexique et le Bassin permien.» (Photo: CapitalatWork)

Jean-Marc Chiaradia: «Les derniers chiffres de production américaine font état d’une hausse de deux millions de barils par jour, et pourtant, il existe des goulots d’étranglement sur le pipeline entre le golfe du Mexique et le Bassin permien.» (Photo: CapitalatWork)

L’entente ou la discorde entre ces pays engendre des mouvements de prix, c’est pourquoi l’or noir est souvent au centre de la géopolitique et peut s’avérer être un élément perturbateur pour l’économie mondiale. La décision de Donald Trump de se retirer de l’accord sur le nucléaire iranien et d’imposer un embargo sur les exportations de brut en provenance d’Iran pourrait bouleverser l’équilibre de l’offre et de la demande mondiales.

Les chocs pétroliers

Les années 70 ont vu le prix du pétrole multiplié par 13 en valeur absolue, et par 10 en termes réels. Deux chocs pétroliers se sont succédé. Le premier intervient en 1971, lorsque les USA atteignent leur pic de production qui, combiné à la forte demande des Trente Glorieuses, épuise leur approvisionnement disponible.

Le changement monétaire faisant suite à l’abandon des accords de Bretton Woods conduit à une hausse du prix du pétrole face à un dollar affaibli. La guerre du Kippour engendre un embargo sur les livraisons destinées aux pays soutenant Israël, dont font partie les États-Unis et les Pays-Bas. Les prix du pétrole sont multipliés par quatre sur une période de six mois, entre octobre 1973 et mars 1974.

Le second choc pétrolier débute avec la révolution iranienne en 1978. La production du pays chute et entraîne l’offre mondiale dans son sillage. La guerre Iran-Irak en 1980 provoque aussi une hausse du prix du baril suite à l’arrêt des exportations iraniennes de brut. Le prix de l’or noir est multiplié par 2,7 entre 1978 et 1981. Durant toute cette période, le prix du pétrole est principalement influencé par des facteurs liés à l’offre plutôt qu’à la demande.

Les améliorations en termes d’efficience énergétique et les préoccupations écologiques sont aussi des éléments de pression sur le prix du baril.

Jean-Marc Chiaradia, head of portfolio management, Luxembourg, CapitalatWork Foyer Group

L’envolée des prix du brut à partir de 1998 s’inscrit au contraire dans la dynamique de la croissance mondiale et du développement du commerce international. La Chine accède à l’Organisation mondiale du commerce en 2001. La phase d’expansion de l’économie mondiale s’intensifie malgré l’invasion de l’Irak en 2003. Les prix sont multipliés par 14 en l’espace de 10 ans. La bulle spéculative alimentée pendant les 18 derniers mois, faisant tripler le prix du baril, finira par éclater en l’espace de six mois fin 2008.

Face à un coût d’extraction pétrolière en hausse, des alternatives se sont créées, et le gaz de schiste est devenu un réel concurrent pour le pétrole du Moyen-Orient. D’un marché limité à quelques intervenants, la compétition augmente lorsque le prix dépasse le niveau du coût marginal d’extraction du gaz de schiste, soit à partir de 50 USD.

Les améliorations en termes d’efficience énergétique et les préoccupations écologiques sont aussi des éléments de pression sur le prix du baril. La croissance de la demande de pétrole s’est d’ailleurs limitée à la moitié de la croissance économique sur les cinq dernières années. 

Les sanctions à l’encontre de l’Iran

Le 5 novembre dernier, Washington a rétabli des mesures contre les secteurs du pétrole, des banques et des transports iraniens. La menace présente depuis plusieurs mois est telle que les exportations de la République islamique sont déjà tombées à 1,88 million de barils par jour en septembre, contre environ 2,72 millions de barils par jour un an auparavant.

Afin de ne pas faire vaciller le marché mondial du pétrole, huit pays (Chine, Italie, Grèce, Corée du Sud, Inde, Japon, Taiwan, Turquie) sont exemptés de sanctions américaines pour une période de six mois. L’Union européenne a vivement regretté cette décision unilatérale des États-Unis et veut essayer de trouver un mécanisme pour contourner les sanctions.

À l’instar de Total, les entreprises se montrent déjà très réticentes à l’idée de prendre ce risque et de potentiellement se priver du marché américain. La Chine semble aussi déterminée à continuer ses achats de pétrole d’Iran, et en aurait déjà accumulé des stocks importants ces derniers mois.

Les répercussions sur les prix

Il est difficile d’évaluer la répercussion de ces sanctions sur les prix. Lors des deux premiers chocs pétroliers, une contrainte sur l’offre avait fait exploser les cours du baril. Il serait naturel de penser que les sanctions américaines puissent conduire à des prix plus élevés, surtout dans un marché où l’offre et la demande se rencontrent de manière presque parfaite.

Donald Trump a réussi à tempérer la hausse grâce au sursis offert à huit pays, et il affaiblit ainsi Téhéran sans provoquer de flambée des prix. À première vue, ces huit pays représentent une demande de deux millions de barils par jour de pétrole iranien sur les trois offerts en temps normal. La Chine et l’Inde représentent quant à elles les deux plus gros clients et leur attitude devra être surveillée dans les prochains mois.

Les derniers chiffres de production américaine font état d’une hausse de deux millions de barils par jour, et pourtant, il existe des goulots d’étranglement sur le pipeline entre le golfe du Mexique et le Bassin permien. Une fois les infrastructures libérées, 1 million de barils seront quotidiennement disponibles à l’exportation. Le nombre de plates-formes pétrolières n’a cessé de monter.

Les six prochains mois seront intéressants.

Jean-Marc Chiaradia, head of portfolio management, Luxembourg, CapitalatWork Foyer Group

Dès que les prix permettent la rentabilité, les investissements sont effectués. La correction récente sur le pétrole devrait à nouveau mettre certains projets et certaines plates-formes en stand-by. Malgré un temps de réaction assez court, le marché se trouve aujourd’hui confronté à une offre excédentaire.

D’autant plus que Donald Trump a appelé plusieurs fois le prince héritier, Mohammed Ben Salmane, afin de lui demander d’augmenter la production. La Russie a également accru son offre en prévision des sanctions américaines. Du côté de la consommation, l’Agence internationale de l’énergie a revu à la baisse ses projections de demande de pétrole.

Autant de facteurs qui ont généré une baisse de 25% du prix du pétrole en l’espace d’un mois et demi, alors que les sanctions sur l’Iran sont désormais en vigueur.

Les six prochains mois seront intéressants. Premièrement, le sursis donné aux huit pays importateurs de pétrole iranien tombera à échéance et la demande pourrait s’orienter vers d’autres pays producteurs déjà en pleine capacité. Deuxièmement, l’Arabie saoudite a d’ores et déjà menacé de baisser la production et la Russie pourrait choisir de se diriger dans la même direction.

Troisièmement, comme évoqués plus haut, à 55USD, certains projets ne sont plus rentables et devront être mis en stand-by. La correction actuelle semble exagérée et les prix du baril devraient rester volatils durant les six prochains mois. Cela pourra animer l’agenda politique, déjà tendu, et apporter son lot de surprises sur le marché des devises et pour l’économie mondiale.