Pour les trois élus frontaliers, la mobilité sera l’un des principaux enjeux du futur gouvernement luxembourgeois. (Photo: Patricia Pitsch / Maison Moderne)

Pour les trois élus frontaliers, la mobilité sera l’un des principaux enjeux du futur gouvernement luxembourgeois. (Photo: Patricia Pitsch / Maison Moderne)

Les travailleurs frontaliers représentaient 42,6% de l’emploi intérieur total au Luxembourg au 29 décembre 2017 (chiffres de l’Adem). Et pour Pierre Cuny, maire de Thionville (33% de frontaliers), Alain Casoni, maire de Villerupt (70%), et Vincent Magnus, bourgmestre d’Arlon (57%), il s’agit également d’une population quelque peu à part sur leurs territoires, et pour laquelle «il y a un retard à rattraper dans certains domaines».

Mobilité

«Il faut repenser la mobilité au sens large. La question n’est pas ‘comment les frontaliers vont au travail’, mais bien ‘comment le travail évolue au sein de la Grande Région’», appuie le maire de Thionville. 

«Les études prédisent plus de 260.000 frontaliers à l’horizon 2035, c’est colossal», insiste-t-il, plaidant pour l’augmentation du télétravail (dont la tolérance est déjà passée de 20 à 29 jours par an à l’occasion de la visite d’État à Paris en mars dernier), des voies de covoiturage, et renouvelle l’idée d’un monorail entre Luxembourg et Thionville, émise par Anne Grommerch (ancienne maire de la ville décédée en 2016). 

Les deux élus français saluent le cofinancement de plusieurs projets de mobilité, à hauteur de 240 millions d’euros, décroché lors du séminaire intergouvernemental. «C’est une première et je m’en réjouis», confirme Pierre Cuny. «Mais il faut aller plus loin.»

L’A31 bis dans les cartons depuis plus de 20 ans 

François Bausch, ministre du Développement durable et des Infrastructures, a annoncé en juin dernier l’arrivée d’un «tram rapide» entre la capitale et Esch-sur-Alzette à l’horizon 2035. «Mais pourquoi ne pas le faire continuer jusque Villerupt?», questionne Alain Casoni. «Voire Thionville?», renchérit Pierre Cuny.  

Le Grand-Duché a également acté la mise en place de 2x3 voies sur l’A3 – dont l’une sera réservée au covoiturage aux heures de pointe, «et nous, notre projet d’A31 bis est dans les cartons depuis les années 1990 sans que l’on arrive à se décider», concède Pierre Cuny.

Les travaux sur la E411 «déplacent les bouchons» 

Côté belge, d’importants travaux ont débuté courant septembre sur la E411. «Une troisième voie va être créée sur 11 kilomètres. Le chantier doit durer jusque début 2019», confirme Vincent Magnus. Cette troisième voie sera à destination des transports en commun et du covoiturage.

Le P+R de Viville qui n’avance pas

Le bourgmestre d’Arlon admet l’intérêt de ces travaux, «mais arrivée au Luxembourg, cette troisième voie disparaît, donc cela ne fait que déplacer les bouchons», regrette-t-il. 

Il faut que les ministres belges et luxembourgeois se parlent.

Vincent Magnus, bourgmestre d’Arlon

C’est au moins un projet qui a abouti en Belgique sur la mobilité transfrontalière, car du côté du P+R de Viville, près d’Arlon, les choses, elles, n’avancent pas. Il devrait pourtant être d’une capacité de plus de 1.000 places, mais est désormais annoncé pour 2020 au plus tôt.  

«Il faut que les ministres belges et luxembourgeois se parlent. Actuellement, ils communiquent par presse interposée, je les invite donc à échanger en direct», insiste Vincent Magnus.

Des trains belges qui doivent être homologués

Il faut aussi que le train arrive jusqu’au P+R de Viville, la voie ferrée devrait donc être augmentée depuis Arlon. Autre problème fondamental, les trains belges ne pourront bientôt plus arriver à Luxembourg-ville. «La SNCB (Société nationale des chemins de fer belges) doit équiper son matériel pour répondre aux normes de sécurité européennes, ce qui représente un investissement important.  

Le Luxembourg les homologue ensuite afin qu’ils puissent arriver dans les gares du pays. Dans une récente interview accordée à L’avenir.net, François Bausch expliquait que le régulateur chargé de l’homologation au Grand-Duché «a été très indulgent pour prolonger les délais».

Rétrocession fiscale

Le Luxembourg a mis en place dès 2002 un «fonds de compensation», appelé «Fonds Reynders», avec la Belgique, «dont le montant forfaitaire, après être descendu à 15 millions d’euros, atteint désormais 30 millions d’euros», rappelle Vincent Magnus, qui insiste sur le fait qu’«il faut que cet argent aille aux communes, et non pas que le gouvernement régional se l’approprie».

Un geste en faveur des communes frontalières belges qu’appelle de ses vœux depuis plusieurs années Alain Casoni pour son territoire. «Pourquoi refuser une rétrocession fiscale aux villes lorraines?», s’interroge-t-il. «Les frontaliers vivent sur nos territoires, leurs enfants vont à l’école, font du sport, etc. Et nous n’avons pas toutes les ressources nécessaires pour financer ces infrastructures.»

Nous défendons l’idée d’une rétrocession fiscale qui se situerait aux alentours de 3,5% de la masse salariale brute des travailleurs frontaliers français.

Alain Casoni, maire de Villerupt

Un sujet qui avait été abordé par les élus du sillon lorrain lors de la visite d’État de mars dernier, sans que le gouvernement luxembourgeois n’y réponde favorablement. «Nous défendons l’idée d’une rétrocession fiscale qui se situerait aux alentours de 3,5% de la masse salariale brute des travailleurs frontaliers français, ce qui est pratiqué entre la France et le canton de Genève. Par exemple, pour 2018, sur la base de 100.000 frontaliers français, cela représenterait 160 millions d’euros», explique le maire de Villerupt.

Zones franches

Le ministre luxembourgeois du Développement durable et des Infrastructures a encore récemment réaffirmé sa ferme opposition à une rétrocession fiscale avec la France, rappelant que le projet de codéveloppement qui remporte ses faveurs reste celui des zones franches. 

Pierre Cuny a, lui, un avis pour le moins différent: «Je suis contre. Pour moi, c’est déshabiller Pierre pour habiller Paul. C’est reculer la frontière dite économique. Avec les zones franches, le Luxembourg repousse les problèmes de 30 kilomètres, cela n’a aucun sens.»

Autre constat du maire de Thionville à ce sujet: «Comment ces exonérations fiscales vont être financées? On va demander aux collectivités locales, qui sont déjà exsangues, de renoncer à un certain nombre de leurs ressources pour améliorer la fiscalité?» Une question qui n’a, pour l’heure, pas été tranchée par François Bausch.

Le Luxembourg vu par les communes frontalières

Pour Vincent Magnus, «avoir le Luxembourg est une chance pour nous, si nous ne l’avions pas, ce serait une catastrophe». Et le bourgmestre d’Arlon d’imager par une métaphore: «Si le Luxembourg s’enrhume, je crois que nous, frontaliers, avons déjà la grippe et sommes au lit.» 

Les élus de la Grande Région sont déjà régulièrement en contact, par le biais de Tonicités, réseau réunissant six villes – Luxembourg, Esch-sur-Alzette, Longwy, Arlon, Metz et Thionville. «Le réseau représente aujourd’hui un bassin de vie de 1,4 million d’habitants, avec environ 180.000 travailleurs frontaliers», ajoute Vincent Magnus. 

Il y a encore 10 ou 15 ans, nous n’échangions pas beaucoup.

Pierre Cuny, maire de Thionville

«Cela nous permet d’avoir des échanges réguliers entre nous, et d’avancer sur la coopération au sein de la Grande Région», complète Alain Cuny. «Il y a encore 10 ou 15 ans, nous n’échangions pas beaucoup. Certains élus lorrains n’allaient quasiment jamais au Grand-Duché. Désormais, on a vraiment la sensation d’être tous dans le même bateau.»

Les législatives vues par les élus frontaliers

«La question des frontaliers ne doit pas être balayée pendant la campagne», insiste le maire de Thionville. «Le Luxembourg ne s’arrête pas à la frontière.» Après avoir passé en revue les programmes des principaux partis en lice, Alain Casoni fait quant à lui un constat: «Si j’ai un regret à formuler, c’est qu’à aucun moment la problématique des enjeux frontaliers ne transparaît. Or, tous nos territoires y sont confrontés.»  

Et pour parler d’une seule voix sur ces «sujets essentiels à notre avenir, mais également à celui du Grand-Duché», un pôle métropolitain frontalier sera créé à partir du 1er janvier 2019, regroupant les neuf EPCI (établissements publics de coopération intercommunale) nord lorrains frontaliers. 

«Aujourd’hui, ce sont l’État et la Région qui règlent les problèmes de relation avec le Luxembourg. Le pôle va transformer les rapports que l’on a avec le Grand-Duché», affirme Pierre Cuny.