Le Conseil d’État, dans son avis sur le projet de loi 7093 sur l’exploration et l’utilisation des ressources de l’espace, ne cache pas ses réticences devant les ambitions du législateur souhaitant instaurer un cadre juridique sécurisé. «L’exploitation des ressources de l’espace extra-atmosphérique ne bénéficie actuellement pas d’un cadre normatif international qui la réglemente, de sorte qu’on peut douter que le projet de loi sous avis permette d’atteindre l’objectif de la ‘sécurité juridique’ que les auteurs de la loi en projet entendent établir», écrit la Haute Corporation.

Les deux seules références internationales touchant à la question sont le Traité sur l’espace signé en 1967 (dont l’intitulé complet est: «Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes») et ratifié par la grande majorité des États; et l’Accord sur la Lune de 1979, entré en vigueur en 1984, mais ratifié par seulement quelques États dont ne fait pas partie le Luxembourg.

S’il est dit, en substance, que les États ne peuvent pas obtenir et exercer une quelconque souveraineté dans l’espace extra-atmosphérique, il peut être admis, en fonction de l’interprétation des textes, que les ressources de cet espace, considérées comme des biens communs, puissent être utilisées par des personnes «privées», sans qu’une autre puisse les en empêcher, mais ne peuvent pas être appropriées.

Oppositions en rafales

Les États-Unis, en 2015, ont pourtant mis en œuvre leur propre «Space Act» dans lequel est prévu qu’une personne privée peut s’approprier – et donc se voir reconnaître – un titre juridique sur des ressources extraites de corps célestes. Dans son avis, le Conseil d’État «tient à souligner certaines conséquences d’une telle reconnaissance qui risquent d’affaiblir encore la ‘sécurité juridique’ (pour reprendre les termes des auteurs du projet de loi) nécessaire pour les personnes désirant investir dans les activités d’exploitation des ressources de l’espace extra-atmosphérique».

Publié en fin de semaine dernière, l’avis de 24 pages du Conseil d’État se montre pour le moins sévère avec le texte initial. Les oppositions formelles y pleuvent presque comme des météorites… Pas question, par exemple, d’omettre dans le libellé de la loi la durée limite de l’agrément délivré aux sociétés désireuses de mener des missions d’exploration (une remarque également formulée par la Chambre de commerce dans son avis rendu début janvier).

Un texte à revoir

Pas question non plus de ne pas préciser le montant des assises financières minimales que l’exploitant désirant être agréé doit remplir, ainsi que la répartition entre capital social et police d’assurance (ou garantie comparable). Pas question, enfin, d’introduire un système de concession, via un cahier des charges, qui entrerait alors en contradiction avec le Traité sur l’espace interdisant une quelconque appropriation nationale sur l’espace extra-atmosphérique.

Les Sages brandissent également à six autres reprises la menace d’une opposition formelle si le libellé de certains articles ou paragraphes n’est pas modifié.

Étienne Schneider avance

Ils constatent, en outre, que les auteurs du projet de loi n’ont aucunement abordé la question de la pollution, aussi bien celle de l’espace extra-atmosphérique en raison des activités d’extraction, que celle de la Terre en présence de telles ressources et de leur exploitation. Le Traité sur l’espace prévoit pourtant, en la matière, la tenue de consultations internationales appropriées entre États avant d’entreprendre toute activité ou expérience susceptible de causer une gêne potentiellement nuisible aux activités d’autres États.

Vu que ce n’est pas clair, ce n’est pas interdit non plus!

Étienne Schneider, ministre de l’Économie

Actuellement en mission économique sur la côte ouest des États-Unis, le ministre de l’Économie, Étienne Schneider, a pris acte de cet avis du Conseil d’État, retenant notamment le caractère «pas très clair» de la situation. «Cela ne doit pas nous empêcher de légiférer», a-t-il expliqué lors d’un point presse. «Vu que ce n’est pas clair, ce n’est pas interdit non plus! Notre idée de légiférer dans ce contexte est double: d’un côté, sensibiliser les Nations unies pour agir et réviser le traité de 1967 et créer ainsi un cadre légal qui permettrait à toutes les entreprises, partout dans le monde, d’agir dans ce domaine et, d’un autre côté, attirer au Luxembourg les entreprises en leur donnant ce cadre juridique.»

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