Camille Thommes, directeur général de l’Alfi, témoigne de la stupéfaction de l’industrie devant une proposition qui n’avait jamais été évoquée par la Commission. (Photo: Mike Zenari / archives)

Camille Thommes, directeur général de l’Alfi, témoigne de la stupéfaction de l’industrie devant une proposition qui n’avait jamais été évoquée par la Commission. (Photo: Mike Zenari / archives)

C’est la stupeur qui régnait jeudi à l’Alfi au lendemain de la communication par la Commission européenne de sa proposition de règlement concernant la supervision des fonds cross-border. Tout comme parmi les députés de la commission des finances la veille.

«La proposition de la Commission est tombée [mercredi] soir», explique Camille Thommes, directeur général de l’Alfi, joint par Paperjam.lu jeudi. «Nous sommes en train d’analyser en détail ses 283 pages pour voir quels seraient les impacts et les conséquences pour l’industrie de la gestion collective dont celle du Luxembourg.»

À première vue, la proposition de la Commission induit un renforcement des pouvoirs des autorités européennes de surveillance, en particulier l’Esma chargée de la supervision des marchés de capitaux.

«L’Esma aurait le droit d’autoriser et de surveiller en direct certains produits de fonds, dont les Ucits, et d’obliger les autorités nationales à notifier l’Esma chaque fois qu’elles prévoient d’autoriser des modèles de délégation ou d’outsourcing vers des activités domiciliées dans un pays tiers», résume Camille Thommes. «L’Esma reprendrait également en direct les pouvoirs d’autorisation des cotations sur les bourses européennes.»

La proposition actuellement sur la table porte un risque d’isolement pour l’Europe.

Camille Thommes, directeur général de l’Alfi

L’Alfi tombe des nues à plusieurs égards. «Nous sommes surpris par la volonté de la Commission de renforcer substantiellement les pouvoirs des autorités de surveillance pour, d’après eux, résoudre des problèmes qui à nos yeux n’existent pas du tout», souligne M. Thommes. «Le modèle qui prévoit la possibilité de déléguer des activités à un acteur domicilié à l’intérieur de l’UE et au-delà vers des pays comme les États-Unis ou la Suisse existe depuis presque trois décennies et a fait ses preuves.»

En l’absence de risque systémique dans le secteur de la gestion collective et des assurances comme ce fut le cas dans le secteur bancaire durant la crise, «il n’y a pas de raison de s’orienter dans la direction d’un renforcement des autorités européennes de surveillance, ajoute le directeur général de l’Alfi. Nous soutenons pleinement les initiatives visant à établir un marché des capitaux uni, mais nous pensons que la proposition actuellement sur la table est contraire à cette finalité et porte un risque d’isolement pour l’Europe. Les émetteurs pourraient réfléchir à l’utilité de coter leurs produits sur les bourses européennes. Les acteurs risquent de tourner le dos à l’UE pour leurs activités de financement et opérationnelles sur le territoire européen s’il s’avère au bout du compte qu’ils ne peuvent intervenir aussi en tant que délégataires dans l’activité journalière. Cette proposition porte potentiellement un risque de moindre compétitivité et de moindre attractivité pour l’industrie financière en Europe. Elle pourrait décourager les investisseurs et réduire le choix des investisseurs européens pour accéder à des marchés en dehors de l’UE.»

La proposition va bien au-delà de ce qui a été discuté ou soumis à consultation.

Camille Thommes, directeur général de l’Alfi

Cette proposition qui «pêche par excès et par précipitation», ni l’Alfi ni le gouvernement luxembourgeois ne l’avaient vue venir. Tout simplement parce qu’elle ne figurait pas dans les «opinions» publiées par l’Esma — quatre documents en tout entre juillet et mi-août —, qui se concentraient principalement sur la relocalisation possible des activités basées au Royaume-Uni vers l’UE. «La proposition va bien au-delà de ce qui a été discuté ou soumis à consultation», insiste M. Thommes.

Et la volonté d’éviter que cette relocalisation ne donne lieu à des «coquilles vides» — ce sur quoi les autorités de surveillance ont fait preuve de vigilance ces derniers mois — n’explique pas en totalité ce qu’on pourrait qualifier de fuite en avant. Y aurait-il derrière tout cela la main d’un grand pays européen, possiblement celui qui accueille l’Esma? Le Luxembourg, champion des fonds et premier touché si un tel règlement était finalement adopté, est-il singulièrement visé?