Le Barreau perpétue la tradition du triumvirat composé du bâtonnier, Me François Prum (au centre), du bâtonnier sortant, Me Rosario Grasso (à droite), et du vice-bâtonnier, Me François Kremer (à gauche). (Photo: Sébastien Goossens)

Le Barreau perpétue la tradition du triumvirat composé du bâtonnier, Me François Prum (au centre), du bâtonnier sortant, Me Rosario Grasso (à droite), et du vice-bâtonnier, Me François Kremer (à gauche). (Photo: Sébastien Goossens)

Chaque rentrée est l’occasion de faire le point sur l’année passée et les projets en cours. Le Barreau ne fait pas exception. L’automne 2016 avait été marqué par les répliques du scandale Panama Papers: à l’époque, «l’Administration des contributions directes pensait pouvoir s’adresser aux avocats nommés dans les Panama Papers afin de leur demander des informations relatives à leurs clients», rappelle Me François Prum, bâtonnier de l’Ordre des avocats de Luxembourg.

«Lors d’une rencontre en toute courtoisie, nous avons essayé de les motiver à renoncer à des actions contre les avocats», poursuit-il, au nom de l’illégalité de la source d’informations, du secret professionnel et de l’interdiction faite aux fiscs de partir à la pêche aux informations. Mais l’ACD a adressé plusieurs menaces d’astreintes, suivies pour certains avocats d’astreintes.

Bras de fer avec l’ACD

Leurs récipiendaires ont informé le Barreau et déposé un recours hiérarchique – recours gracieux adressé au directeur d’une administration. Toutefois, le bâtonnier n’a nul doute que l’ACD campera sur ses positions et que ce sera au tribunal administratif de se pencher sur cette question délicate. «Entre 6 et 12» avocats sont concernés, à la connaissance du Barreau – d’autres attendant peut-être l’issue de leur recours avant de se manifester à leur tour.

Le Barreau se tient droit dans ses bottes à ce sujet, rappelant avoir reçu les félicitations de la délégation du FMI l’an dernier à propos de ses procédures en matière de lutte contre le blanchiment. Les avocats qui ne seraient pas «compliant» s’exposent à des mesures disciplinaires.

Deuxième dossier chaud de la rentrée 2016 qui rebondit en 2017: la question des exigences linguistiques à l’égard des juristes souhaitant rejoindre le Barreau. Ce dernier pousse depuis plus d’un an en faveur d’un assouplissement des règles, afin de permettre l’assermentation des aspirants qui n’auront jamais à «mettre les pieds dans un tribunal», selon les mots du bâtonnier, et n’auront donc jamais besoin de maîtriser le luxembourgeois et l’allemand. C’est le cas des avocats d’affaires – près de la moitié des avocats de l’Ordre –, dont les langues de travail sont principalement le français et l’anglais, alors que les pénalistes se doivent de maîtriser les trois langues officielles du pays.

La politique a toujours suivi les demandes du Barreau.

Me François Prum, bâtonnier de l’Ordre des avocats de Luxembourg

«Nous avons soumis un projet de loi au ministre de la Justice avant les vacances judiciaires», indique Me François Prum. La langue française serait la seule requise pour accéder au Barreau, tandis que le luxembourgeois et l’allemand rentreraient dans le cadre de spécialités à maîtriser pour traiter certains dossiers, en l’occurrence en matière pénale. Le Barreau déplace ainsi la question linguistique vers un registre de déontologie: un avocat s’engage à n’accepter que les dossiers dont il maîtrise la matière. Une mention dans le règlement intérieur de l’Ordre pourrait entériner cet état de fait.

La proposition du Barreau va-t-elle aboutir avant les élections législatives d’automne 2018? Pas sûr. Le projet est pour l’heure pour consultation auprès des juridictions – ce qui agace un peu le Barreau, résolu à «réglementer sa propre profession». «La politique a toujours suivi les demandes du Barreau, et j’espère qu’elle continuera, en faisant abstraction de toute autre considération», glisse Me Prum, ajoutant que «M. Braz est particulièrement réceptif» et peut-être plus à l’écoute que ses prédécesseurs, dont la Justice n’était pas l’unique portefeuille.

Le Barreau avait toutefois une bonne nouvelle en cette rentrée 2017: l’amélioration sensible de la procédure d’assistance judiciaire après plusieurs années difficiles. L’attente d’une demande d’assistance judiciaire pouvait durer 13 mois, délai qui a été réduit à deux semaines grâce à un effort du Barreau et du ministère de la Justice, payeur in fine de ce service public presté par l’Ordre des avocats. Même si le ministère ne prend en charge que les frais salariaux (400.000 euros) et pas encore les autres frais (300.000 euros) nécessaires à la bonne marche du service.

Une assistance judiciaire plus efficace

Le Barreau a soumis au ministère de la Justice une proposition de grille forfaitaire en matière d’assistance judiciaire, histoire de fixer ces coûts, et aussi d’assurer une revalorisation de la rémunération des avocats qui ne reçoivent, depuis 2009 et la fin de l’indexation de leur tarif horaire, que 58 euros HT pour les jeunes avocats, et 87 euros pour les avocats à la Cour. Une proposition que le ministère doit examiner.

Autre avancée dans ce dossier: une circulaire du Barreau met fin aux «abus» consistant pour un bénéficiaire à changer plusieurs fois d’avocat. Une pratique qui a pu être encouragée par certains avocats faisant en sorte de rallier de nouveaux clients de manière quelque peu déloyale. Désormais, les bénéficiaires ne pourront avoir que deux avocats pour la même affaire – sauf évidemment si c’est l’avocat qui a déposé son mandat de lui-même, ce que l’Ordre vérifiera avec soin.

Il ne s’agit pas d’une affaire de voile, mais de l’égalité et de l’indépendance des avocats devant les juridictions.

Me Prum

Dernier sujet, et le plus brûlant en ce mois de septembre: l’incident intervenu jeudi dernier à la Cour supérieure de justice, lorsqu’une aspirante avocate s’est présentée les cheveux couverts par un foulard à son assermentation. Le bâtonnier a pris soin de distribuer aux journalistes présents à la conférence de presse un texte mettant au clair la façon dont l’avocat doit être habillé. «Il ne s’agit pas d’une affaire de voile, mais de l’égalité et de l’indépendance des avocats devant les juridictions», souligne Me Prum, soulagé du soutien qu’il a pu recevoir notamment des juridictions, tout en refusant toute récupération politique à quelques semaines des élections communales. «La robe est l’uniforme de l’avocat lorsqu’il se présente devant les juridictions, en toute indépendance, sans signe distinctif d’appartenance à une communauté, une religion ou un courant philosophique ou politique.»

Et de rappeler un précédent très ancien, celui de l’abbé Majerus, auquel il a été refusé dans les années 1930 de prêter serment vêtu de sa soutane sous la robe d’avocat. «Et à l’époque, les croix trônaient encore en salle d’audience et l’on jurait sur la Bible», souligne Me Prum, qui se sent d’autant plus à l’aise avec cette histoire qu’il a reçu le soutien de plusieurs avocates de confession musulmane.