Le triumvirat des deux prochaines années, composé de François Kremer, François Prum et Rosario Grasso, s’attache à défendre une profession qui compte 2.400 membres. (Photo: Sven Becker)

Le triumvirat des deux prochaines années, composé de François Kremer, François Prum et Rosario Grasso, s’attache à défendre une profession qui compte 2.400 membres. (Photo: Sven Becker)

S’adapter, mais aussi se protéger, voilà l’objectif du triumvirat autour de François Prum, composé traditionnellement de l’ancien bâtonnier et du vice-bâtonnier qui lui succèdera dans deux ans – en l’occurrence Rosario Grasso et François Kremer.

«Nous n’avons pas de programme spécifique», précise d’emblée François Prum, soulignant le principe de «continuité» qui régit la gouvernance du conseil de l’ordre. Certaines questions restent latentes depuis plusieurs années et se poseront encore dans les prochaines.

C’est le cas du contrôle de l’accès à la profession d’avocat, avec une inégalité criante entre les aspirants avocats qui passent par le cours complémentaire en droit luxembourgeois après leurs études de droit à l’étranger, les avocats européens automatiquement admis à exercer sur leur titre d’origine et les juristes pouvant passer un certificat d’aptitude auprès du ministère de la Justice à l’issue de leurs études.

C’est à nos yeux une perversion aux dépens de ceux qui font l’effort supplémentaire d’apprendre la langue.

François Prum, bâtonnier de Luxembourg

Car seule la première catégorie se voit imposer de maîtriser le luxembourgeois et l’allemand «à un niveau supérieur à celui requis pour obtenir la nationalité», souligne François Prum. «C’est à nos yeux une perversion aux dépens de ceux qui font l’effort supplémentaire d’apprendre la langue.»

Le Barreau a déjà soumis sa solution au ministre de la Justice. Il s’agirait de ne pas imposer d’épreuve de langue aux aspirants avocats à la fin de leur stage tout en comptant sur le respect d’une règle déontologique fondamentale: un avocat ne doit pas s’engager à prendre une affaire dont il ne maîtrise pas la matière. Et la connaissance de la langue luxembourgeoise entre dans ce cadre puisqu’elle reste indispensable en matière pénale, les témoins s’exprimant souvent dans cette langue.

«Ce n’est pas un barrage à la profession mais une question de faute déontologique, y compris de la part d’un patron» qui enverrait un avocat stagiaire sur un dossier s’il ne maîtrise pas la langue, précise François Prum. En attendant la modification de la loi régissant la profession d’avocat, le Barreau a mis en place avant l’été une solution provisoire.

Pour nous, juristes, l’idée n’est pas nécessaire et n’apporte rien.

François Kremer, vice-bâtonnier

Actualité oblige, les trois avocats ont été interrogés sur le succès retentissant de la pétition réclamant que le luxembourgeois devienne la première langue administrative. «Une telle initiative est ridicule», tranche François Prum à titre personnel. «Nous parlons en français, nous plaidons en français. Lorsque nous plaidons en luxembourgeois, nous devons utiliser le français pour tout ce qui est technique.» Et de rappeler que tous les textes, de la Constitution aux lois, sont rédigés en français. «Le luxembourgeois n’est pas une bonne langue pour cela – ce ne sera pas mieux pour le droit ni pour les gens», renchérit François Kremer. «Pour nous, juristes, l’idée n’est pas nécessaire et n’apporte rien.»

Sans compter les conséquences pratiques. «Beaucoup de lois sont aussi d’origine européenne, or le luxembourgeois n’est pas une langue officielle de l’Union européenne», ajoute François Kremer. Traduire les textes existants et à venir reviendrait à une tâche colossale et extrêmement coûteuse.

Deuxième thème cher au nouveau bâtonnier en cette rentrée: l’indépendance de la profession. «Il est plus important que jamais pour le justiciable que les avocats restent un club sui generis», indique François Prum, faisant allusion à une clause de la récente loi Macron en France qui ouvre la porte aux associés ou actionnaires de cabinets d’avocats qui ne seraient pas eux-mêmes de la profession. «C’est pour nous forcément une perte d’indépendance économique et financière, il ne doit pas y avoir de capital d’un non-avocat dans un cabinet.» Le conseil de l’ordre s’est ainsi opposé à la constitution au Luxembourg d’un cabinet allemand mêlant comptables et avocats.

Avocats d’affaires et avocats plaideurs, même combat

C’est enfin l’unicité de la profession que le triumvirat a choisi de mettre en exergue. Une unicité qui ne va pas de soi tant les matières témoignent de pratiques différentes, avec une distinction naturelle entre les avocats d’affaires et ceux qui fréquentent les tribunaux. «Le conseil de l’ordre est extrêmement représentatif de toute la profession», que ce soit au niveau des matières, de l’origine des avocats ou encore de leur âge, souligne François Prum. Le conseil de l’ordre a d’ailleurs accueilli l’ancien président du Jeune Barreau, Benjamin Bodig, dans ses rangs à l’issue des élections du mois de juillet.

«Les intérêts sont les mêmes», appuie le bâtonnier, évoquant le secret professionnel et la relation entre l’avocat et son client, qui se résume à une question: «Comment aider juridiquement son client?». Et si une perquisition, comme cela a pu se produire dans le passé et notamment dans le contexte des Panama Papers, intervient dans un cabinet d’avocats, «elle doit se dérouler en présence du bâtonnier qui vérifie si les documents sont couverts par le secret, auquel cas il peut inscrire une remarque sur chaque pièce et s’opposer à ce qu’elle soit saisie, ce qui permettra à l’avocat de faire un recours pour récupérer cette pièce», explique Rosario Grasso, ancien bâtonnier.

Le triumvirat affiche sa confiance dans l’avenir d’une profession qui compte aujourd’hui plus de 2.400 avocats – un chiffre qui ne semble pas devoir fléchir. «Il y a un besoin de juristes dans le pays», insiste François Prum. Et le Brexit ne devrait pas se traduire par une pénurie de la demande. «La sortie du Royaume-Uni nourrit de grandes inquiétudes et pose d’immenses questions juridiques, mais de là à dire que les avocats anglais ne viendront plus, ce n’est pas si sûr», intervient François Kremer. «Il y a toujours des clients anglais qui veulent rester dans l’Union européenne et les cabinets d’affaires ont besoin d’avocats anglophones. L’anglais est très important dans les affaires.» Rosario Grasso ne manque pas de rappeler que la même crainte avait émergé au moment de l’abandon du secret bancaire avant de se révéler infondée.