François Bausch, qui se dit «clairement de gauche», appelle de ses vœux la poursuite de la coalition. (Photo: Patrick Galbats)

François Bausch, qui se dit «clairement de gauche», appelle de ses vœux la poursuite de la coalition. (Photo: Patrick Galbats)

François Bausch, quel bilan tirez-vous de la première participation des Verts au gouvernement?

«Je crois que nous avons réussi à éliminer beaucoup de préjugés ou d’idées reçues qui n’étaient pas surprenants pour un parti qui n’avait jamais été au pouvoir, même si nous avions des expériences très diverses au niveau local. Dans un récent sondage cet été, 59% des sondés disaient vouloir que Déi Gréng fasse partie du prochain gouvernement, presque autant que pour les chrétiens-sociaux. C’est une sacrée reconnaissance!

Comment les Verts étaient-ils vus auparavant? 

«Comme des utopistes surtout. Les gens se demandaient si on avait les idées, les capacités, mais aussi le personnel pour gérer le pays pendant cinq ans. Ils se demandaient aussi si nous allions réussir à ne pas perdre de vue nos objectifs tout en faisant preuve de pragmatisme. Pendant cinq ans, nous avons fait un travail sur dossiers, essayé d’éviter les polémiques, ce qui nous a permis de mettre en place beaucoup de projets dont le plus emblématique, pour moi, reste le tram. C’est amusant de constater que tous les partis exigent aujourd’hui six ou sept extensions alors que ce n’était pas le cas quand je suis arrivé au gouvernement… Moi, je peux vous dire que sans Déi Gréng au sein de la coalition, le tram n’aurait jamais été construit. 

Le projet était pourtant déjà dans les tiroirs…

«Oui, mais on oublie un peu vite qu’avant le vote de la première loi de financement, une pétition avait été déposée pour stopper le projet et qu’il y avait une énorme pression. Il nous a fallu garder notre ligne politique mais lancer toute une série de débats avec la population pour convaincre. Cette démarche, tous les ministres Verts l’ont appliquée, ce qui leur a permis de garder leur cap, tout en étant capables de faire des compromis aussi.

Nos idées ne sont pas aussi utopiques que certains le pensaient.

François Bausch, ministre du Développement durable et des Infrastructures 

Justement sous couvert de pragmatisme, ne risque-t-on pas parfois de perdre son âme? 

«Ce risque existe évidemment. Mais je crois que pour un parti qui n’avait récolté en 2013 que 10% des suffrages, nous avons réussi à imprimer notre marque et à défendre nos idées phares sur le développement durable et la mobilité, notamment. Et surtout, nous sommes parvenus à convaincre beaucoup de gens que nos idées ne sont pas aussi utopiques que certains le pensaient.

Au point que tous les partis défendent désormais des valeurs écologiques… 

«Je me réjouis que d’autres formations politiques découvrent la question écologique, mais la différence c’est que, chez nous, c’est la colonne vertébrale. Il faut avoir une sensibilité vraiment bien ancrée pour résister aux différentes pressions et faire passer ces projets, sinon c’est l’échec assuré. La démission de Nicolas Hulot en France en est un bel exemple. Il a échoué parce qu’il était seul et qu’il n’avait pas de parti derrière lui. C’est la même chose ici dans les autres formations: quelques représentants peuvent être convaincus de la justesse de la démarche, mais ils sont souvent isolés dans leur propre mouvement.

La coalition Gambia doit-elle se poursuivre?

«Ce serait naturel et logique. Nous avons fait du très bon travail avec le grand avantage de faire partie d’une première, celle d’un gouvernement à trois partis. Nous avons démontré que cela fonctionnait. Faire travailler ensemble trois partis n’est finalement pas plus compliqué que deux. Au contraire, puisque souvent l’un des trois peut servir d’arbitre dans un éventuel conflit entre les deux autres. 

Qui sont vos alliés naturels aujourd’hui?

«Les Verts n’ont pas d’alliés naturels. Nous sommes une force politique autonome. Je n’aime pas évoquer les hypothèses de coalition avant les élections. Le plus important pour nous est de ressortir renforcés de ces législatives. 


Matthieu Croissandeau, directeur éditorial de Maison Moderne, Jean-Michel Hennebert et François Bausch. (Photo: Patrick Galbats)

Vous êtes de droite ou de gauche?

«Clairement de gauche. 

Sur quoi portaient les différends au sein du gouvernement? 

«Ce gouvernement n’a pas eu trop de conflits, plutôt des confrontations journalières sur des questions spécifiques. L’exemple de l’installation de Knauf était une opposition classique entre une vision productiviste classique et la nôtre. Pour Déi Gréng, le Luxembourg doit continuer à se développer. Mais nous souhaitons mener une réflexion sur ce qui a été réalisé au cours des 30 dernières années et aussi sur les problèmes qui existent aujourd’hui et sur les opportunités à saisir.

C’est-à-dire, concrètement?

«Je suis déçu que nous n’ayons pas réussi à finaliser l’étude que le ministère de l’Économie avait proposé de lancer et qui consistait à analyser en détail le bénéfice, le coût et les opportunités pour le pays des emplois créés au cours des 15, 20 dernières années, dans tous les secteurs d’activité. C’était une très bonne idée. Aujourd’hui, on ne sait donc toujours pas si tous les emplois créés ont été réellement bénéfiques pour le pays. Avec la dynamique actuelle, à savoir accepter toutes les entreprises qui souhaitent s’implanter, nous subissons une pression énorme sur l’immobilier ou les infrastructures. Poursuivre dans cette voie signifie que tous les 10 ans nous aurons 100.000 emplois supplémentaires et que tous les sept ans la population résidente augmente de 100.000 habitants. Cela pose d’énormes problèmes.

Il faut créer moins d’emplois?

«Non, mais nous ne sommes plus dans les années 1980. À cette époque, le défi était de combler le déclin de la sidérurgie et la perte d’emplois dans le Sud. Ce n’est plus le cas. Nous avons créé énormément d’emplois mais qui ont été occupés à 80% par des frontaliers. Je n’ai bien évidemment rien contre les frontaliers, qui sont les bienvenus, mais on peut quand même se demander si cela a encore du sens. Ne faut-il pas plutôt discuter d’un modèle tourné vers la Grande Région qui aiderait à développer des sites industriels qui se trouvent côté français par exemple? Avec peut-être une gestion commune si on a des industries des deux côtés de la frontière. Utilisons notre attractivité pour développer non seulement le Luxembourg, mais aussi la Grande Région. Ce qui doit permettre de faire émerger d’autres modèles dont le pays tirera bénéfice. 

Quels sont les modèles que vous avez en tête?

«Rifkin est parvenu à mettre dans un même schéma toutes les potentialités économiques existantes à l’heure actuelle et au niveau mondial. Cette stratégie dévoile un énorme potentiel pour le Luxembourg, mais cela sera forcément différent de ce qui a été développé jusqu’à présent. Il faut donc faire des choix. Une entreprise qui ne remplit pas les critères définis ou qui n’est pas à la hauteur des défis décrits dans le processus Rifkin ne mérite pas que l’État fasse des efforts particuliers pour l’attirer. C’est le cas notamment de Fage ou Knauf...

Vous avez donc le luxe de pouvoir choisir…

«Ce n’est pas un luxe. Nous avons plutôt l’obligation d’être sélectifs dans notre prospection économique. Cela ne veut pas dire pour autant qu’une entreprise qui achète des terrains prévus pour une industrie et qui répond aux critères ne peut pas s’implanter. Mais il existe une différence entre le libre choix d’une entreprise de venir au Luxem­bourg pour différentes raisons et la prospection préventive réalisée par le ministère de l’Économie. Cela ne sert à rien d’aller chercher une entreprise comme Knauf.

Le développement durable et les défis qui se cachent derrière représentent d’énormes opportunités pour un petit pays comme le Luxembourg.

François Bausch, ministre du Développement durable et des Infrastructures 

Certains écologistes européens vont plus loin que la croissance raisonnée et plaident pour la décroissance…

«Je ne suis pas un adepte de la décroissance, même si je crois que la description que font ses partisans de l’évolution de la société et des risques encourus est correcte. On peut gérer le développement via la croissance. Si on veut réaliser tous les investissements nécessaires pour la sauvegarde du climat, le changement énergétique ou la mise en place d’une autre mobilité, nous générerons de la croissance au moins pour les prochaines décennies. C’est pour cela que le développement durable et les défis qui se cachent derrière représentent d’énormes opportunités pour un petit pays comme le Luxembourg, qui peut servir de laboratoire pour ces secteurs. 

L’idée de faire du Luxembourg un laboratoire n’est pas nouvelle. Quels seraient les domaines précis ou les projets concrets pour lesquels le pays serait le plus qualifié?

«Je crois fermement à l’idée d’utiliser le Luxem­bourg pour développer des modèles de mobilité différents. L’un des éléments les plus intéressants du processus Rifkin tient dans le concept de mobilité en tant que service. C’est-à-dire l’idée selon laquelle tous les éléments de la mobilité sont combinés. Aujour­d’hui, tous les grands acteurs technologiques, comme Apple ou Google, font pression sur les constructeurs automobiles car ils se sont rendu compte que c’est non seulement une opportunité de mieux organiser la mobilité via des véhicules autonomes notamment, mais aussi une manière de gagner beaucoup d’argent.

Concrètement, que dit votre programme sur ce sujet?

«Nous souhaitons développer ce concept justement avec toutes les composantes digitales mais aussi matérielles que cela implique. Que ce soit le soutien à l’électromobilité ou les autres systèmes de propulsion qui seront amenés à se développer dans les années à venir. J’ai vu au cours des deux dernières années une très grande firme américaine qui travaille beaucoup avec la géolocalisation, qui offre des systèmes de déplacement en temps réel mais aussi de simulation, et qui est très intéressée par une implantation justement pour cela. Reste maintenant à le concrétiser au cours des cinq prochaines années.»

Retrouvez la deuxième partie de cette interview ici.