Entre des accusations américaines qu’elle dément et un gouverneur de banque centrale lui-même dans la tourmente, ABLV Bank traverse des turbulences qui devraient aboutir à son démantèlement. (Photo: Licence C.C.)

Entre des accusations américaines qu’elle dément et un gouverneur de banque centrale lui-même dans la tourmente, ABLV Bank traverse des turbulences qui devraient aboutir à son démantèlement. (Photo: Licence C.C.)

Chaque jour apporte son lot de développements dans l’affaire ABLV Bank, au niveau européen comme luxembourgeois. Les investisseurs se réveillaient lundi avec l’annonce de la CSSF concernant «l’indisponibilité des dépôts auprès d’ABLV Bank Luxembourg» et l’entrée en lice du Fonds de garantie auquel les déposants doivent s’adresser pour récupérer leurs billes à hauteur de 100.000 euros pour commencer.

Une indisponibilité due au fait que les comptes sont bloqués, souligne une source proche du dossier. ABLV Bank Luxembourg, dont les dirigeants soulignent la solidité malgré la tempête que traverse sa maison mère, serait tout à fait en mesure de rembourser tous ses clients s’ils venaient à réclamer leurs dépôts.

De Washington à Bruxelles

La filiale luxembourgeoise établie en 2012, qui emploie une vingtaine de personnes, apparaît comme victime collatérale du tourbillon lancé le 13 février dernier par le Trésor américain. Celui-ci a placé le groupe ABLV sur la liste des «institutions de blanchiment majeur» dans le cadre du Patriot Act, une loi antiterroriste née après le 11 septembre 2001. Motif: ABLV aurait permis à ses clients de contourner les sanctions contre la Corée du Nord et serait impliquée dans des transactions de Pyongyang pour se procurer des missiles balistiques.

Conséquence directe de cette annonce, les clients de la banque se sont précipités pour vider leurs comptes, ce qui a conduit la BCE, superviseur direct des banques systémiques de l’UE, à ordonner aux autorités lettones d’imposer un moratoire à la banque, avant de la déclarer en «faillite ou faillite probable» samedi dernier.

Une décision mal vécue par la banque privée luxembourgeoise, dont la maison mère rappelait dimanche dans un communiqué qu’«elle n’a été accusée de rien dans le récent rapport américain visant son actionnaire letton» et «n’a jamais été soupçonnée ou accusée d’un quelconque mauvais comportement ou violation à une législation ou à une régulation lui étant applicable». Ajoutant que sa licence bancaire était toujours valide, le siège letton précisait même que «notre filiale est capable de continuer ses opérations avec un nouvel actionnaire».

Des circonstances troublantes

C’est ce qu’une source luxembourgeoise confirme, assurant que «la reprise est un scénario qui est activement travaillé», même si toute décision en ce sens reviendra aux autorités de contrôle.

En attendant, ABLV navigue à vue, que ce soit au Luxembourg ou à Riga. «Le scénario à court terme n’est vraiment pas clair», constate une source proche du dossier. Prochaine étape devant la justice mercredi, qui doit trancher sur la nomination d'un administrateur - à moins que le tribunal ne reporte sa décision ou entérine la liquidation «en raison de considérations politiques», indique le siège d'ABLV Bank, lui aussi en plein brouillard, à Paperjam.

Car derrière l’enchaînement des décisions politiques et régulatoires, le doute grandit. ABLV Bank clame son innocence face aux autorités américaines et dément tout système de contournement des sanctions imposées à Pyongyang. Aucun membre de son comité de direction ni son responsable Compliance n’ont été limogés. D’autres voix, en interne comme dans la presse économique, s’interrogent également sur la qualification d’ABLV Bank comme une banque systémique en Lettonie.

D’abord parce qu’il ne s’agit pas d’une banque de détail, mais plutôt d’une banque d’affaires et de gestion de patrimoine, dont une grande partie des clients se trouve à l’étranger – en particulier dans les pays de l’ex-Union soviétique –, souligne Eric Dor, directeur des études économiques à l’IESEG School of Management de Lille.

Une banque réellement systémique?

Lequel relaie en outre une analyse du poids d’ABLV dans le secteur bancaire letton, pour en conclure qu’elle ne représente que 13% des actifs lettons en septembre 2017, incluant dépôts, obligations et prêts. «On observe que les dettes d’ABLV envers d’autres banques sont effectivement très limitées. Il est donc impossible qu’un défaut d’ABLV sur ces dettes puisse menacer la solidité d’autres banques, qu’elles soient nationales ou étrangères», précise M. Dor. Il pointe encore «des imprécisions et lacunes dans les publications statistiques de la banque centrale de Lettonie», et ce au moment où Ilmars Rimsevics, gouverneur de cette institution depuis 2001, a été arrêté après interrogatoire par le bureau anticorruption du pays.

Autant de développements a priori étrangers à la petite banque privée luxembourgeoise, mais qui auront un impact décisif sur son avenir.