Diane Heirend: «Je trouve que les femmes ont moins de danger de s’endormir. Elles ne restent jamais sur leurs acquis.» (Photo: Maison Moderne)

Diane Heirend: «Je trouve que les femmes ont moins de danger de s’endormir. Elles ne restent jamais sur leurs acquis.» (Photo: Maison Moderne)

Madame Heirend, quel a été votre parcours?

«J’ai toujours voulu faire quelque chose en relation avec les gens, créer un univers où les gens se sentent bien. J’essaie de garder ce fil.

Quand je me suis décidée à aller étudier l’architecture à Paris, le conseiller d’orientation a bien essayé de me dissuader: les Luxembourgeois allaient étudier à Strasbourg ou à Nancy. Et puis, l’architecture, ce n’est pas pour les femmes! Mais j’ai tenu bon et j’ai opté pour une seule option dans mon dossier d’admission. C’était Paris, et j’ai été acceptée.

Je n’avais pas imaginé revenir au Luxembourg, mais je voulais quitter Paris pour retrouver ma double culture germanophone. Après un an passé à Zurich, je suis rentrée. J’ai travaillé comme free-lance chez Paul Bretz: il m’a confié d’entrée le chantier d’une école. Je me suis lancée dans cette aventure sans réaliser l’ampleur de la tâche! Mais j’ai beaucoup appris avec ce chantier, et notamment qu’il faut avoir de bons contacts dans le secteur de la construction pour être au courant des nouveautés dans le domaine, car tout va très vite.

Je me suis lancée à mon compte en 1995.

Est-ce qu’être une femme a changé le cours de votre carrière?

«Je trouve que les femmes ont moins de danger de s’endormir. Elles ne restent jamais sur leurs acquis, surtout quand on crée son propre bureau. Mais j’avoue que, me concernant, j’ai surtout fait de mon mieux, car je ne sais pas comment ça se passe ailleurs, finalement. Créer de l’univers, c’est la seule chose qui m’intéresse.

Dans les cabinets d’architecte, la parité aux postes de direction est-elle plus avancée qu’ailleurs?

«Il y a de plus en plus de femmes architectes, ça va dans le bon sens. Nous ne sommes pas des ovnis sur un chantier. D’ailleurs, je me suis retournée récemment sur une femme qui manipulait une bétonneuse. Les femmes sont plus rares dans le secteur du bâtiment. Quand il y a overdose de testostérone, je peux m’en sortir avec de l’humour. Mais ce que je ne supporte pas, c’est le sexisme, je suis intraitable sur ce sujet.

Les clichés sexistes qui sont véhiculés dès l’école sont très graves.

Diane Heirend, architecte

Quelle mesure concrète faudrait-il mettre en place pour favoriser l’accès des femmes aux fonctions dirigeantes en entreprise?

«Tout part de l’éducation, c’est vraiment fondamental. Les clichés sexistes qui sont véhiculés dès l’école sont très graves, que ce soit les dires de certains enseignants, mais aussi dans les ouvrages eux-mêmes. Je me souviens de ma fille revenant de l’école qui m’avait dit avoir appris que papa partait au travail pendant que maman allait faire les courses, c’est consternant.

Mais quand ma fille était à la crèche ou au précoce, j’étais la seule maman qui travaillait. Ensuite, j’ai été rejointe par des mamans à temps partiel, mais j’étais toujours la dernière à venir chercher ma fille. Du précoce au lycée, on véhicule des stéréotypes sur les filles, qui ont un impact réel à long terme. C’est de là que viennent une bonne partie des problèmes.

Est-ce que votre statut de maman a posé problème dans votre carrière?

«Mon mari est comédien, il a passé huit ans en Suisse. J’étais seule à la maison pour élever notre fille. J’ai été ensevelie sous un océan de mauvaise conscience, comme beaucoup de femmes qui travaillent, mais le résultat est que ma fille est très débrouillarde. Elle a 17 ans aujourd’hui, mais à l’époque où elle était en précoce, les horaires n’étaient en rien faits pour que la maman travaille. J’ai essayé de mettre en place des déjeuners tournants avec d’autres mamans, mais une seule, travaillant aussi, a répondu à mon initiative. Mon travail m’a permis d’être plus flexible, mais rien n’était fait pour m’aider.

En grandissant, j’ai vu mes deux parents enseignants qui se partageaient équitablement les tâches. Mon père cuisinait et faisait la vaisselle, tout était très naturel. J’ai appris à ma fille que le monde ne s’est pas arrêté de tourner à sa naissance, il faut rester vigilante car la culpabilité est toujours là.

Le jour où les femmes pourront dire autant de bêtises que les hommes sans conséquence, c’est qu’on aura gagné.

Diane Heirend, architecte

Que pensez-vous du quota de 40% de représentants du sexe sous-représenté dans les conseils d’administration?

«Il faut passer par là sans que ça revienne aux femmes comme un boomerang. Cependant, le jour où les femmes pourront dire autant de bêtises que les hommes sans conséquence, c’est qu’on aura gagné.

Jugez-vous nécessaire que l’on consacre une journée aux droits des femmes?

«C’est trop peu, une journée. C’est tout au long de l’année qu’il faut se préoccuper des droits des femmes.

Je m’attache depuis des années à féminiser mon langage. J’utilise systématiquement féminin et féminin pour inclure les femmes. Pourquoi faudrait-il se résigner à ce que le masculin englobe le féminin? L’écriture inclusive, c’est difficile. Mais pour parler, c’est vraiment possible.»

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