Pour Philippe-Emmanuel Partsch, la décision de la Commission européenne n’est que le début d’un processus qui passera devant les juridictions européennes. (Photo: Arendt & Medernach)

Pour Philippe-Emmanuel Partsch, la décision de la Commission européenne n’est que le début d’un processus qui passera devant les juridictions européennes. (Photo: Arendt & Medernach)

Maître, sur quels textes se fonde la Commission pour rendre sa décision?

«Elle se fonde sur l’article 107 (ex-article 87) du Traité de fonctionnement de l’Union européenne qui interdit en principe les aides d’États, y compris sous la forme d’un traitement fiscal favorable à une entreprise ou une catégorie d’entreprises par rapport à d’autres entreprises situées à l’intérieur du même État.

Or, la Commission a fait évoluer son approche depuis 2013 en basant cette comparaison non plus strictement sur la jurisprudence adoptée en vertu du traité, mais sur ce qu’elle considère comme la pratique fiscale qui aurait dû être en vigueur dans l’État. Les juridictions européennes ne se sont pas encore prononcées sur ce changement de méthode.

Que peut faire Amazon?

«Amazon pourrait contester le principe même de l’approche de la Commission. On voit dans le communiqué de presse émis par la Commission qu’il est question de la réalité économique du groupe. Elle considère que les redevances payées à la société holding étaient trop importantes. La question est de savoir si l’administration luxembourgeoise aurait accepté un accord inapproprié quant au traitement fiscal des rapports intragroupes.

La décision de la Commission européenne concerne en effet la répartition des bénéfices entre les deux sociétés du groupe Amazon localisées au Luxembourg, à savoir d’une part Amazon EU et d’autre part Amazon Holding Technologies. La première est soumise à l’impôt et la seconde, en vertu des règles de droit fiscal international, bénéficiait d’une non-imposition.

Ce mécanisme est transparent fiscalement, ce que la Commission ne reproche pas. Elle critique en revanche l’importance des redevances versées par Amazon EU à la holding qui ont permis de limiter la charge fiscale au niveau du groupe. On entre donc dans le domaine technique de la valorisation des prestations entre sociétés dans un groupe de sociétés, autrement dit le ‘transfer pricing’.

Le Luxembourg n’était pas l’État le plus imaginatif ou le plus audacieux.

Philippe-Emmanuel Partsch, Arendt & Medernach

Ce cas est-il exceptionnel, outre son aspect médiatique?

«Nous sommes dans une situation classique dans la mesure où, depuis les années 60, la Commission européenne a poussé la réflexion pour considérer que toute mesure étatique pouvait potentiellement être assimilée à une aide. L’histoire a montré que la proposition de la Commission était souvent suivie d’un arrêt de la Cour de justice qui replace en quelque sorte l’église au milieu du village et tempère la Commission. Dans le cas qui nous occupe, il faudra donc sans doute attendre quelques années pour qu’une décision de la Cour de justice intervienne. J’ajoute que sur base de la jurisprudence encore en vigueur, les organisations de groupes semblables à celle d’Amazon étaient jugées tout à fait licites et qu’une série d’autres États membres connaissent ce mécanisme. Je dirais même que le Luxembourg n’était pas l’État le plus imaginatif ou le plus audacieux.

Que peut faire le Luxembourg dans la mesure où il va recevoir de l’argent en quelque sorte «non voulu»?

«L’État va être obligé de récupérer de l’argent par principe. Mais la décision de la Commission européenne laisse une marge d’appréciation à l’État, qui va recalculer l’imposition qui aurait dû être prélevée. Il est possible que les 250 millions mentionnés ne soient finalement pas demandés à Amazon, car ils sont mentionnés à titre d’information, l’évaluation réelle est à charge de l’État luxembourgeois. Il restera ensuite à l’État, en tant qu’autorité budgétaire, à allouer la somme perçue dans un investissement quelconque supplémentaire. Cette somme pourrait aussi permettre au gouvernement de diminuer la fiscalité pour les sociétés compte tenu de cette rentrée non attendue. Cette décision de Bruxelles montre probablement que certaines mesures dites sélectives ne peuvent plus être utilisées, mais le Luxembourg reste en droit de diminuer le taux d’imposition pour l’ensemble des entreprises dans la même situation.»