Jacques Chahine est président de la Sicav Digital Funds. (Photo: Étienne Delorme / archives)

Jacques Chahine est président de la Sicav Digital Funds. (Photo: Étienne Delorme / archives)

Nous avions affirmé à plusieurs occasions que le marché européen était nettement sous-évalué, parfois un peu trop tôt. La conjonction de trois facteurs favorables majeurs au sein de l’eurozone a déclenché l’étincelle qui a démarré le moteur et fait envoler les marchés, en récompensant ceux qui ont su garder leur patience. Ces trois facteurs sont:

  1. le lancement d’un vrai QE de 1.100 milliards d’euros par Mario Draghi qui a surpris le marché par son ampleur;
  2. la chute de l’euro face au dollar, au franc suisse, à la livre, au yuan… grâce à la BCE;
  3. la manne céleste de la baisse du prix du baril (et accessoirement des matières premières).

Suite à l’annonce de la BCE, les emprunts d’État allemands à 30 ans sont descendus en dessous de 1%, et les emprunts à un an sont négatifs, car la BCE charge les banques pour déposer l’argent. La spirale déflationniste a précipité l’action de la BCE, car il y avait péril dans la demeure avec une inflation négative à -0,6% dans l’Eurozone et négative même hors effet pétrole. Tout ceci paraît tellement étrange au citoyen moyen, qui ne trouve plus aucun placement sûr avec un peu de rendement. D’où une recherche frénétique de placements plus risqués avec une bonne rentabilité. Les actions offraient cette opportunité, car beaucoup de sociétés avaient un cash flow stable, comme les valeurs liées à la santé, les valeurs de consommation ou les utilities.

Un décalage important dans le cycle économique avec les US

Pendant que l’Europe se débattait dans le marasme, l’économie américaine ne cessait de se redresser, attestée par un marché de l’emploi qui a créé un million d’emplois nouveaux les trois derniers mois. En quelques jours suivant cette annonce, les taux longs américains se sont tendus dans l’attente d’une action de la Fed.

Emprunt d'État à 30 ans

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Mais Mme Yellen semble avoir beaucoup de «patience» pour agir et à chaque fois qu’elle prononce ce mot, le marché prend 1% de hausse, à se demander où va s’arrêter la spirale.

La politique monétaire de la BCE vient avec beaucoup de retard en raison des dissensions internes au sein de la zone. Elle est devenue graduellement de plus en plus agressive et culmine avec un véritable QE, ce qui est miraculeux sachant que la zone euro est loin d’être intégrée. Draghi, en fin stratège, a justifié son action par la mission de la BCE de maîtriser l’inflation, mais les législateurs à l’époque n’avaient pas anticipé qu’il fallait maîtriser aussi la déflation. Tous les pays de la zone finissent par profiter de cette politique avec une diminution sensible de la prime de risque par pays. Ainsi, les taux à 10 ans de l’Italie et l’Espagne sont tombés en dessous de 1,5%.

La politique de la BCE fait décrocher l’euro

Comme dans le cas du Japon, l’inondation de la planète en euro par la BCE a porté atteinte à sa valeur par rapport au dollar, mais également par rapport à la livre ou au yuan chinois. La Suisse n’a pas pu résister et a décroché soudainement son Peg, donnant un avantage compétitif de 15% à l’euro.

Valeur de l'euro face aux principales devises

Cette dévaluation massive de l’euro par rapport au dollar a entraîné un retour en masse des investisseurs anglo-saxons qui pouvaient acheter les mêmes actifs 17% moins chers avec leur dollar. Et comme ces investisseurs se sont protégés contre la baisse de l’euro, cela n’a fait que précipiter la chute de la devise. Ainsi, les indices de l’Eurozone ont progressé en moyenne de 12,8% sur 2015 contre 3,1% pour les États-Unis. Mais ramenée en dollar, la hausse de l’Eurozone n’est que de 5,8%. Ces progressions procurent un effet richesse qui influence le moral des entrepreneurs.

La manne pétrolière inversée

Pour corser le tout, la chute du baril est venue donner un pouvoir d’achat au ménage moyen de la zone, qui ne produit pas une goutte d’or noir. On estime ainsi que l’économie réalisée pour l’Europe est de 160 milliards de dollars par an, répartie entre ménages et industries.

Conclusion

La compétitivité retrouvée et la baisse de l’énergie mettent en bonne position les sociétés de l’Eurozone pour amorcer un retour vers les profits. Après une année 2013 qui était dans le rouge, les sociétés de la zone euro affichent une timide hausse de 6% de leurs profits en 2014, malgré l’impact négatif des sociétés pétrolières. Mais 2015 s’annonce meilleur avec un consensus à +13% contre seulement 2,1% aux États-Unis, où la chute de 50% des profits des pétrolières réduit considérablement la masse des profits.

Les frémissements se font sentir dans l’économie et les instituts et les analystes révisent timidement à la hausse les perspectives de croissance de la zone, chose qu’on n’avait pas vue depuis longtemps.

Restent bien entendu les risques sur une zone qui doit faire face au problème géopolitique de l’Ukraine et le stress permanent en provenance de la Grèce, qui devrait retenir l’actualité pour un moment, même si fondamentalement le pays émerge de la très forte dépression.

En termes de valorisation, le marché de l’eurozone reste encore à des niveaux raisonnables comparé aux États-Unis, d’autant plus que les marges des entreprises restent encore déprimées. Nous pensons qu’il n’est pas trop tard pour rentrer sur le marché si ce n’est pas déjà fait.