Jacques Chahine: «Les premiers grands bénéficiaires de cette chute du baril sont la zone euro et le Japon qui ne produisent pas une goutte de pétrole et qui doivent tout importer.» (Photo: archives paperJam)

Jacques Chahine: «Les premiers grands bénéficiaires de cette chute du baril sont la zone euro et le Japon qui ne produisent pas une goutte de pétrole et qui doivent tout importer.» (Photo: archives paperJam)

Qui l’eût cru? Le baril de Brent était à 115 dollars fin juin. Six mois plus tard, il n’est plus qu’à 69 dollars, une chute vertigineuse de 40% de son plus haut. Le Moyen-Orient à feu et à sang n’y a rien fait. Au contraire, l’Arabie Saoudite a mis de l’huile sur le feu en ne jouant pas son rôle de stabilisateur en réduisant sa production. Elle a réalisé qu’elle n’avait plus tous les atouts en main pour maîtriser les cours de l’or noir. L’arrivée massive des hydrocarbures aux États-Unis via la fragmentation hydraulique, et l'arrivée concomitante de plusieurs extractions comme le pétrole canadien des sables bitumineux ont fini par étancher la soif d’une planète à la recherche d’hydrocarbures. Ceci d’autant plus que la soif avait bien reculé en raison du ralentissement économique généralisé. Par ailleurs, les énergies alternatives, à force de croître à des rythmes effrénés à partir d’une base minuscule, ont fini par couvrir une part de plus en plus significative des nouveaux besoins, et surtout la productivité a saisi le secteur qui peut maintenant se développer sans subventions dans plusieurs coins du globe.

Les cotations futures à l’horizon 2020 tournent autour de 80 dollars pour le baril de Brent, et, ce qui est remarquable, le même graphique fait en juin où le baril était à 115 dollars anticipait aussi un futur étonnant à 85 dollars pour 2020. Le marché avait vu juste sur le long terme, mais n’imaginait pas que le krach allait se produire aussi brutalement.

La stratégie de l’Arabie Saoudite est d’attendre que la chute des prix entraîne par elle-même une chute de la production de toute une série de puits devenus peu rentables au cours de 80, 70, 60 ou même 50 dollars. Le balancier va alors se retourner et un nouveau prix d’équilibre finira par s’établir. Le marché semble croire qu’il sera néanmoins en dessous des 100 dollars.

Les premiers grands bénéficiaires de cette chute du baril sont la zone euro et le Japon qui ne produisent pas une goutte de pétrole et qui doivent tout importer. Merci pour la balance commerciale de la France. La Chine est également favorisée, car elle va profiter non seulement du prix du baril mais de la sévère correction sur l’ensemble des matières premières dont elle est très friande. Le cuivre, l’étain, le coton, le soja… sont tous en forte baisse. La hausse du dollar par rapport à l’ensemble des devises mondiales est largement compensée par la chute du baril. Les États-Unis sont dans une position mitigée, car si la baisse a des effets favorables sur les consommateurs, l’industrie pétrolière, très développée, va souffrir et on peut craindre quelques faillites de certaines sociétés très endettées.

Les grands perdants sont la Russie qui cumule tous les malheurs (elle les a un peu cherchés) avec des recettes très diminuées, une devise qui a explosé avec des sociétés endettées en dollars et un boycott pour couronner le tout. Mais l’Europe va aussi indirectement marquer le coup, et notamment l’Allemagne pour qui la Russie est un grand partenaire commercial.

Dans les perdants, on trouvera bien entendu les grands producteurs membres de l’OPEP et des pays comme le Brésil qui comptent également sur leurs exportations de matières premières. D’un autre côté, ces pays importent beaucoup et vont être amenés à restreindre ces importations.

Du point de vue sectoriel, le secteur du transport est un grand bénéficiaire comme les compagnies aériennes en hausse de 33% en dollars depuis le début de l’année. La pétrochimie est un autre exemple.

Il nous semble que l’Eurozone moribonde devrait profiter le plus de cette manne de 300 millions de dollars par jour, d’autant plus qu’une autre manne est tombée du ciel avec la dépréciation de l’euro qui atteint 11% en 2014. Cela doit ainsi satisfaire les pays de l’Europe du Sud qui appelaient une dévaluation compétitive de leurs vœux. Ceci vient s’ajouter au coup d’adrénaline que Draghi va injecter dans un QE qu’il a promis imminent. L’Eurozone va en outre bénéficier de la reprise vigoureuse aux États-Unis, illustrée par un marché de l’emploi qui s’est envolé le mois dernier.

Non seulement les créations d’emploi étaient à un plus haut quasi historique, mais on voit – enfin! – les salaires moyens croître au-delà de l’inflation à 2,4% sur un an et on voit même des revendications salariales dans l’important secteur des fast foods.

Le plan Juncker de 300 milliards d’euros pour relancer l’investissement n’est qu’une ébauche pour le moment, mais les exemples donnés concernent les infrastructures familières au Luxembourg mais dont la rentabilité économique est douteuse. Nous aurions aimé voir des grands projets par exemple dans le domaine des bases de données intégrées pour la santé au niveau européen.

On n’est pas à l’abri d’une aggravation de la situation, car la déflation guette et il faut la combattre énergiquement. Les mauvais élèves de la classe comme l’Italie et la France attendent toujours le salut de l’extérieur sans pouvoir entreprendre sérieusement les réformes de structure dont on voit l’efficacité en Espagne.

Sur le plan des profits des sociétés, les révisions à la baisse se poursuivent, accélérées par les réductions significatives des profits des sociétés pétrolières. Ce sont des croissances de profits à un chiffre qu’il faut espérer, 7% en 2014 en Europe et aux États-Unis, et il faut surtout ne pas croire les chiffres toujours optimistes du consensus pour 2015.

Nos premières valorisations des marchés pour 2015 donnent un S&P 500 à 2.070 points si on retient 3,25% pour les taux à 30 ans et 2.202 points si on retient un taux instantané de 2,95%. Pour le Stoxx 600, l’objectif est à 400 points pour des taux à 2,5% et beaucoup plus si on retient les taux observés à 2%. Nous réduisons légèrement notre allocation 'actions' en faveur de l’immobilier. Nous pensons que l’Europe présente un aspect recovery intéressant.