Photo issue de la série sur l’Agrocenter par Christian Aschman. (Photo: Christian Aschman, Agrocenter Mersch, 2018-2019, Collection CNA)

Photo issue de la série sur l’Agrocenter par Christian Aschman. (Photo: Christian Aschman, Agrocenter Mersch, 2018-2019, Collection CNA)

Faisant suite à une commande passée par le Centre national de l’audiovisuel pour faire un état des lieux de l’Agrocenter avant sa destruction, Christian Aschman présente une exposition qui dévoile une sélection de photos de ce lieu méconnu à l’architecture étonnante.

En 2018, le (CNA) passe commande au photographe (né en 1966 à Luxembourg) pour dresser un inventaire visuel intra- et extra-muros de la zone industrielle dite Agrocenter construite à partir de 1959 à Mersch. Ce site est aujourd’hui en cours de démolition pour laisser place au projet mixte Rives de l’Alzette mené par et le groupe Cepal. Après un peu plus d’un an de travail solitaire, 800 photos ont été réalisées par Christian Aschman qui a choisi, avec l’aide de la commissaire d’exposition Marguy Conzémius, d’en présenter 87 dans l’espace dit Display au CNA.

Construit à partir de 1959, l’Agrocenter à Mersch est un lieu peu connu du grand public. Il était pourtant un centre agricole ambitieux et de grande envergure, puisqu’il s’étend sur plus de 30 hectares et qu’une vingtaine de bâtiments abritaient des fonctions diverses: abattoir, centrale de chauffage, silos à grains, bâtiment administratif, boulangerie, espace de vente… Un complexe atypique à l’architecture bien plus soignée que ce à quoi on pourrait s’attendre sur un site industriel. La tour des silos a d’ailleurs été, de 1959 à 1966, le plus haut bâtiment construit au Luxembourg, avant que la Héichhaus au Kirchberg ne vienne la détrôner.

 «L’exposition reprend un peu l’idée de la physionomie du site, avec une allée et une construction dans laquelle on entre», explique Christian Aschman. Une scénographie conçut comme une promenade sur ce site qu’il est «difficile de saisir au niveau du sol, par un simple regard». D’où le titre «Hors-Champs» et la raison pour laquelle le visiteur est accueilli dans l’exposition en faisant face à un mur. Un mur sur lequel est reproduite une photo grand format de la cantine VIP du site et dans laquelle se trouvait un décor panoramique peint à la main intitulée «Les vues d’Amériques du Nord» provenant de la manufacture alsacienne Zuber & Cie, et dont les planches sont classées monuments historiques par le ministère de la Culture français. Une préciosité tellement inattendue sur un site industriel qui témoigne de la personnalité cultivée et un peu fantasque du maître d’ouvrage et directeur du site, Mathias Berns, qui n’a pas hésité à s’entourer de l’architecte Arthur Thill, à qui l’on doit aussi le cinéma Eldorado ou l’hôtel Cravat à Luxembourg, et d’une société suédoise pour la construction – d’où la présence de briques ou de céramiques en provenance de ce pays. Des singularités architecturales qui n’échappent pas au regard affuté de Christian Aschman, familier de ces sujets.

Le regard face à la grande échelle

Au moment où Christian Aschman commence à photographier, en août 2018, le site est déjà partiellement abandonné et les bulldozers sont prêts à manœuvrer. «J’ai commencé par photographier les abattoirs, car c’était le premier bâtiment sur la liste pour être démoli», explique Christian Aschman. Il arpente le site, déambule dans les allées, cherche à comprendre les lieux, à en saisir son caractère. Mais difficile de faire face à ces grands espaces et constructions. Le choix de ses perspectives et de ses angles de vue en témoigne, tout comme l’accrochage où il n’hésite pas à juxtaposer côte à côte deux photos représentant le même sujet, mais avec un angle de vue différent ou procédant à des raccourcis visuels. Le site ne se laisse saisir que de manière parcellaire, mais avec une grande délicatesse sous le regard de Christian Aschman.

Machines, architecture, lumière

Après les immenses extérieurs et les perspectives de murs infinis, le photographe se concentre sur les intérieurs où les éléments architecturaux et les spécificités liés à la fonction de ces lieux attirent toute son attention. Les grands tuyaux qui conduisent les grains prennent des formes anthropomorphiques, des mains de fer aux longs doigts de couleur. Des balances dont l’aiguille est restée figée par le temps. Il saisit la lumière qui entre généreusement par les parties vitrées de cette architecture des années 1960. La poussière déposée par le temps confère un aspect presque velouté à la rudesse des machines. Les objets oubliés acquièrent un caractère sculptural. On ne peut s’empêcher de penser aux photos de Bernd et Hilla Becher. Les lignes architectoniques de certains bâtiments sont cadrées pour être mieux révélées. Un regard qui happe le visiteur, le mène de l’abattoir à la salle des fêtes en passant par les silos de stockage des grains. Une conduite visuelle dans un univers normalement inaccessible aux visiteurs et dont il ne restera que ce témoignage visuel après le passage des bulldozers. Des archives qui font désormais partie du patrimoine photographique du Luxembourg, puisqu’intégrées dans les collections du CNA.

Une publication pour cet été

Une publication complète l’exposition. On y trouve des textes d’Antoinette Lorang sur l’histoire de ce site, une sélection des photos de Christian Aschman bien entendu, ainsi que des photos d’archives réalisées par des amateurs tels que ce monsieur originaire de Mersch qui a inlassablement photographié le site au fil des années, ou cet ancien collaborateur d’Arthur Thill, ou encore un ancien ingénieur suédois ayant participé à la construction du site. Au total, plus de 400 photos sont regroupées dans cet ouvrage qui sera disponible cet été.

 «Christian Aschman, Hors-Champs», jusqu’au 29 novembre, au CNA, 1B, rue du Centenaire à Dudelange, www.cna.public.lu