Jean-Lou Siweck, président du Conseil de presse, et Melody Hansen, secrétaire de l’Association luxembourgeoise des journalistes professionnels, l’ALJP. (Photo: Mike Zenari/Delano)

Jean-Lou Siweck, président du Conseil de presse, et Melody Hansen, secrétaire de l’Association luxembourgeoise des journalistes professionnels, l’ALJP. (Photo: Mike Zenari/Delano)

Au cours des sept dernières années, le Luxembourg est passé de la quatrième à la douzième place au classement mondial de la liberté de la presse. L’État est-il aujourd’hui la plus grande menace pour la liberté des médias?

Récemment, un porte-parole du ministre du Logement Henri Kox (déi Gréng) a demandé à Reporter.lu de retirer un article. Dans quelle mesure pensez-vous qu’il s’agissait d’un cas isolé?

Melody Hansen. – «Un ministre qui demande à un média de retirer un article est un cas extrême, je n’ai rien vécu de si grave. À un niveau moins extrême, des requêtes comme celle-ci se présentent fréquemment, par exemple lorsque des personnes demandent à ce que des choses qu’elles ont dites lors d’une interview soient retirées. Parfois, elles demandent de réécrire l’intégralité de l’entretien. Certains politiciens tentent d’intimider les journalistes. En tant que journaliste locale couvrant les conseils municipaux, il m’est arrivé qu’un membre discrédite publiquement mon travail au micro parce qu’il n’aimait pas ce que j’écrivais. C’est un bon exemple d’utilisation du pouvoir et de la manière dont on profite du fait qu’un journaliste ne peut pas répondre.

Jean-Lou Siweck. – «Au-delà du mépris total du principe de la liberté de la presse, c’est aussi une démonstration de l’amateurisme de gens qui ne sont pas à la hauteur de ces métiers. Un ministre est dans un tribunal public, payé par l’argent public et c’est la vie qu’il a choisie. Cela étant dit, il est normal que vous ayez des intérêts qui se heurtent. Vous avez des politiciens et d’autres acteurs de la vie publique qui ne vous parlent évidemment pas parce qu’ils vous aiment bien. Ils vous parlent parce que c’est dans leur intérêt de vous parler, et cela présente des avantages et des inconvénients pour eux. Ils veulent vous parler sans les inconvénients. Il en va de même pour les journalistes, nous dépendons des sources. Nous préparons les sources et il y a des choses dans les médias où vous savez que c’est essentiellement le résultat d’un arrangement. C’est en partie un jeu entre professionnels.

Certains pourraient soutenir que dans une démocratie, nous devrions pouvoir défier les institutions, et cela inclut les médias. Que diriez-vous à ces personnes?

J.-L. S. – «Dans l’histoire, les médias avaient un quasi-monopole sur le discours public dans le sens où il fallait d’abord investir plusieurs millions d’euros pour acheter une imprimerie afin de pouvoir publier. Il y avait alors des lettres à l’éditeur qui arrivaient pour vous défendre, prendre une autre position ou vous attaquer. Mais les médias gardaient un grand contrôle de tout cela. Cela a changé. Cela va de journalistes qui ne se sentent pas très à l’aise et doivent vivre avec, à des abus envers des journalistes au niveau individuel ou des titres de médias sur les réseaux sociaux et d’autres formats. Aujourd’hui, je ne pense pas qu’on puisse dire qu’on est encore dans cette tour d’ivoire dans laquelle on était avant. La réduction des coûts de production des médias signifie que nous sommes mis au défi. Parfois, c’est mauvais pour la qualité du journalisme, mais cela a aussi des aspects positifs parce que nous ne pouvons pas nous en sortir avec de la paresse et de la superficialité.

M. H. – «Je pense que les journalistes devraient être capables d’accepter les critiques. Écouter les autres devrait faire partie de la vie de chacun, en particulier d’un journaliste. Tout bon média a une culture de l’erreur, un droit de réponse existe et des corrections sont possibles. Et puis il y a le Conseil de presse, auprès duquel vous pouvez déposer une plainte si vous vous sentez maltraité par un média. 

Dans quelle mesure y a-t-il des obstacles pour les journalistes à la recherche d’informations spécifiques et pourquoi pensez-vous que c’est le cas?

M. H. – «Les attachés de presse peuvent faciliter le travail des journalistes... J’ai l’impression qu’ils jouent aussi le rôle de gardien. Puisque Xavier Bettel (DP) a demandé à tous les fonctionnaires de ne parler à la presse qu’après avoir contacté un attaché de presse, il est parfois difficile d’obtenir des informations. Je ne parle pas d’informations secrètes ou de tout ce qui pourrait porter atteinte à la réputation d’un ministre. Juste des questions simples. Vous devez appeler l’attaché de presse et parfois vous avez affaire à une personne différente de celle que vous aviez demandée. Ce n’est pas normal. Quant l’attaché de presse devient un  interlocuteur unique, cela peut être un problème pour les journalistes du quotidien qui doivent obtenir des réponses rapidement, car parfois elles ne sont pas si rapides à parvenir… Parfois, vous ne pouvez pas attendre. Vous avez un délai imposé.

J.-L. S. – «L’augmentation du nombre de personnes chargées des relations publiques par rapport à la réduction du nombre de journalistes en dit long sur la façon dont les gens essaient aujourd’hui de contrôler l’image publique et ce qu’on dit d’eux. Une grande différence entre le public et le privé est que dans le secteur public, les informations dont ils disposent ne sont pas les leurs. Vous avez besoin d’une raison pour ne pas publier, car tout est payé par le public. L’un des principaux éléments dont nous débattons dans le secteur aujourd’hui est qu’il n’y a pas de règles claires quant à l’endroit où cette ligne entre les choses qui devraient être publiques et les choses où vous pourriez accepter qu’elles soient confidentielles se dessine.

De nos jours, vous avez une barrière dans le sens où il y a des fonctionnaires prêts à vous parler, qui ont les connaissances, et ils n’y sont pas autorisés. Ils s’exposent à des mesures disciplinaires formelles ou informelles s’ils parlent à la presse. Nous avons vu des cas où il n’y avait pas seulement des chasses aux sorcières, mais des chasses légales avec des ressources investies pour découvrir qui avait parlé à la presse. Nous sommes maintenant dans une situation où, pour tout ce qui touche à la police et à la justice, il est impossible d’obtenir des informations en dehors des porte-parole officiels de la police.

L’ALJP milite pour une loi sur la liberté d’information au Luxembourg. Dans quelle mesure est-ce réaliste pour le Luxembourg et à quoi pourrait-elle ressembler?

J.-L. S. – «Aujourd’hui, le règlement vous permet de demander l’accès à certains documents, et c’est là que le problème trouve sa source, car vous devez d’abord savoir que ce document existe. Ce n’est pas vraiment une loi qui s’adresse spécifiquement aux journalistes, ce n’est pas non plus une loi qui est pratique pour les journalistes parce que les procédures sont très longues. Un politicien dira ‘Nous faisons tout ce que nous pouvons’, mais en fin de compte, ils décident de répondre ou non à vos questions et il n’existe aucune règle juridique connue à laquelle un journaliste peut faire appel… Tout le monde était sous l’eau au début de la pandémie. Ils ne pouvaient pas donner d’informations parce qu’ils ne les avaient pas eux-mêmes. Cela a montré ce qui pourrait se passer le jour où ils décideront, en raison de leur volonté politique, de ne pas divulguer d’informations. Il n’y a aucun recours légal pour changer cela. Et ce n’est pas très sain dans une démocratie.»

M. H. – «Je pense que nous devons encore parler de la manière exacte dont cela pourrait être mis en place. Hambourg a l’une des lois les plus progressistes sur la liberté de la presse. Ils vont jusqu’à dire que même les institutions privées travaillant avec de l’argent public sont également liées par la loi. Donc, dès qu’il y a de l’argent public en jeu, il faut qu’il y ait une une obligation de rendre de comptes.»

Cet article a été initialement publié dans l’édition de juillet 2021 de Delano Magazine.