«Written by Water» saisit le visiteur lors de la découverte du pavillon luxembourgeois à la Biennale de Venise. (Photo: Paperjam)

«Written by Water» saisit le visiteur lors de la découverte du pavillon luxembourgeois à la Biennale de Venise. (Photo: Paperjam)

À l’occasion de la 58e Biennale de Venise, c’est l’artiste Marco Godinho qui représente le Luxembourg dans le nouveau pavillon à l’Arsenal avec l’exposition «Written by Water», une exposition qui oscille entre poésie et géopolitique.

C’est au premier étage de la salle d’Armes de l’Arsenal que l’exposition «Written by Water» de Marco Godinho est présentée. Réalisée par le Casino Luxembourg, elle est «curatée» par Kevin Muhlen. Fidèle à ses recherches précédentes, l’artiste montre ici une exposition dans la continuité de sa démarche tout en précisant son propos et en affinant la monstration de son travail.

Direction le Sud

Pour marquer et se faire remarquer dans cette immense biennale internationale, Marco Godinho a choisi une voie plutôt poétique. Depuis de nombreuses années, cet artiste interroge, entre autres, la thématique de la migration, du déplacement; des questionnements qui touchent de près l’artiste lui-même, d’origine portugaise et ayant vécu depuis son enfance au Luxembourg.

Mais pour cette exposition à la Biennale de Venise, c’est en particulier les liens de l’Homme à la mer qu’il a souhaité traiter, porté par un déplacement vers le sud, de Luxembourg vers Venise, à contre-courant des flux migratoires actuels en Méditerranée.

La vidéo «Left to Their Own Faith (Odyssey)» accueille les visiteurs à l’entrée de l’exposition. (Photo: Paperjam)

La vidéo «Left to Their Own Faith (Odyssey)» accueille les visiteurs à l’entrée de l’exposition. (Photo: Paperjam)

En entrant dans le pavillon, le visiteur est accueilli par une projection monumentale d’un film où l’on voit un jeune homme, face à la mer, lire «L’Odyssée» d’Homère, texte éminemment fondateur de notre culture occidentale tout en étant lié à la mer, à la poésie, à l’oralité. Au fur et à mesure de sa lecture, il arrache chaque page lue et l’offre à la mer.

Une vague de récits invisibles

Pour découvrir la suite de l’exposition, il faut contourner une haute structure qui monte jusqu’au plafond, réaliser une petite marche, action si chère à l’artiste, pour aller en direction des fenêtres où la structure descend progressivement.

Une fois arrivé au bout, le visiteur se retrouve face à une immensité de cahiers ouverts, aux pages qu’on devine ondulées par l’eau et qui portent encore des traces de sable.

«Between Two Waves» est comme une grande vague qui vient à la rencontre des visiteurs, ou un bloc de glace qui fondrait progressivement en se dirigeant vers le Sud. Car, heureux hasard, le pavillon luxembourgeois est orienté vers le sud, les fenêtres donnant vers le Lido, vers la mer.

Ces cahiers forment comme un paysage intérieur, un organisme vivant qui a été composé grâce aux éléments naturels: l’eau, la lumière, le vent.

Cette bibliothèque de cahiers, qui ont donné son titre à l’exposition, est le résultat d’un rituel mis en place depuis 2013 par Marco Godinho: à l’occasion de ses déplacements autour de la Méditerranée – à Gibraltar, Lampedusa, Palerme, Marseille, en Grèce –, il achète des cahiers d’écoliers dans les villes visitées et les plonge dans la mer pour qu’elle écrive son histoire.

«En pratiquant ainsi, je capte la mémoire de l’eau, j’y inscris un nouveau langage, comme une écriture invisible qui relève plus du toucher que de la vue. Cette action souligne aussi l’idée du manque qui est inévitable lors du déplacement», explique l’artiste.

Confrontation avec la mer

Lorsqu’on est face à cette œuvre, on pourrait ressentir une impression comparable à celle ressentie lors d’un premier face-à-face avec la mer. C’est précisément cette question qui est au cœur de la seconde vidéo présentée dans l’exposition.

«À mon retour au Luxembourg, j’ai rencontré différentes personnes qui m’ont témoigné de leur première impression face à la mer. Sauf que ces personnes sont aveugles et aussi issues de l’émigration», explique Marco Godinho.

«Ces vidéos sont plus méditatives, comme des mantras qui permettent une introspection. Un imaginaire mental de la mer.» Pour y parvenir, la vidéo présente alternativement le rituel des cahiers plongés dans l’eau et les témoignages de ces personnes qui ne sont pas filmées, mais dont seule la voix est diffusée, sur un écran aveuglément blanc.

Les fruits de l’oubli

En sortant de la projection, ingénieusement placée derrière une vitre fortement teintée, une fiole de liqueur est exposée. Il suffit de peu pour ne pas la voir, pour l’oublier. Un acte volontaire, puisque cette bombonne contient un mélange d’eau-de-vie de Luxembourg, du Portugal et de jujube, qui pourrait être ce «fruit de l’oubli» cité dans «L’Odyssée» lors de l’épisode de l’île des Lotophages.

Sauf que ces fruits proviennent de Corée du Sud, pays d’origine de la compagne de l’artiste, Keong-A Song. Toute l’histoire de Marco Godinho se retrouve donc dans cette concoction, une boisson qui ferait tout oublier, y compris les stéréotypes et les préjugés, permettant ainsi d’être totalement disponible pour accueillir l’Autre.

En sortant, les visiteurs croiseront peut-être Alberto, le gardien de l’exposition, qui portera un des T-shirts sur lesquels sont imprimés des petits poèmes écrits par l’artiste, mais en écriture miroir. 201 poèmes, autant que de jours d’exposition, qui commencent tous par «See Another Sea». Un retour à cette poésie bercée par la Méditerranée.

«Written by Water», à l’Arsenal, salle d’Armes, 1er étage, du 11 mai au 24 novembre 2019.