Bruno Colmant, professeur auxiliaire à la Luxembourg School of Finance et head of macro research chez Banque Degroof Petercam.  (Photo: Degroof Petercam)

Bruno Colmant, professeur auxiliaire à la Luxembourg School of Finance et head of macro research chez Banque Degroof Petercam.  (Photo: Degroof Petercam)

Dans sa chronique de cette semaine, l’économiste Bruno Colmant s’interroge sur le rapport qui existe encore entre la création de monnaie et les activités de prêts et dépôts des banques.

La monnaie est une expression symbolique qui représente le rapport d’échange de biens et des services. Mais il y a plus, et c’est l’objet principal de ce texte: c’est à la fois un flux, créé par le multiplicateur du crédit bancaire, c’est-à-dire la séquence des dépôts et emprunts, et un stock (constitué par les pièces et les billets qu’on appelle la monnaie de base ou la monnaie «banque centrale») créé par les instituts d’émission.

La confusion d’un stock et d’un flux est l’attribut premier de la monnaie dont le stock crée le flux. Plus précisément, la monnaie ne vaut rien en tant que telle: elle n’est valeur que par sa propre reproduction. Elle n’est pas uniquement un stock, car elle ne vit que par sa circulation. C’est incidemment cette confusion qui conduit certains à contester la détention des banques par des actionnaires privés puisqu’elles fabriquent un bien public.

La création monétaire des banques privées fonctionne grâce à ce que les économistes qualifient de multiplicateur du crédit bancaire ou de ce que les Anglo-saxons désignent par l’adage «loans make deposits». L’octroi d’un prêt exige de récolter un dépôt. Ce même prêt suscitera d’autres dépôts qui entraîneront de nouveaux octrois de prêts, etc. En d’autres termes, les banques privées créent la monnaie qui constitue son propre flux. Les banques privées sont des entreprises qui fabriquent elles-mêmes leur matière première.

Les banques privées sont des entreprises qui fabriquent elles-mêmes leur matière première.

Bruno Colmanthead of macro researchBanque Degroof Petercam

Le rôle des banques privées consiste d’ailleurs, de manière contre-intuitive, à accélérer la déthésaurisation de la monnaie qui leur est confiée. Le flux de monnaie est alors une fonction de la variation de la thésaurisation/déthésaurisation des banques privées. Le multiplicateur du crédit bancaire est donc influencé par l’accélération/décélération de la vitesse du flux.

L’effet multiplicateur est un effet inhérent à l’émission de crédit. Toute création de monnaie par les banques centrales aboutit normalement à un processus itératif de création de monnaie supplémentaire. Dans ce système, la hausse de la base monétaire dépend de la hausse du crédit bancaire.

Le principal frein contemporain au dispositif est le niveau des capitaux propres des banques privées, qui oblige, chaque fois qu’un crédit est octroyé, à en geler une quote-part sous forme de capitaux propres (ou, précédemment, à imposer un coefficient de réserves fractionnaires sur lequel il sera fait de nombreuses références).

La pompe bancaire refoule. C’est un indice de récession et de déflation.

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Incidemment, aujourd’hui, la demande de crédit est extrêmement faible. Les prêts ne suscitent pas d’exigences de dépôts, d’autant que ces derniers s’accumulent dans les banques privées, même au prix d’une rémunération dérisoire. L’adage «loans make deposits» n’est plus vérifié. On devrait plutôt écrire «deposits do not make loans». La pompe bancaire refoule. C’est un indice de récession et de déflation.

À une époque où cette pratique était plus commune, les banques privées devaient constituer des réserves (qualifiées de fractionnaires), prélevées sur leurs actifs, à la banque centrale. Plus le coefficient de réserves fractionnaires était faible, plus la monnaie créée par les banques centrales se créait facilement puisqu’elle «glissait» fluidement d’un bilan bancaire à un autre. La multiplication du crédit en était ainsi accrue.

Inversement, une majoration du coefficient des réserves fractionnaires diminuait la vélocité de la monnaie en la divisant plutôt qu’en la multipliant. On estime d’ailleurs que ce mécanisme a contribué à aggraver les effets de la crise de 1929. De nos jours, les régulateurs bancaires modulent la création de monnaie bancaire en imposant des exigences en matière de capitaux propres. La rapidité de la monnaie est davantage calibrée par le passif plutôt que l’actif des banques privées.

En effet, le multiplicateur du crédit, m, qui mesure la quantité de monnaie par rapport à la monnaie «banque centrale» s’écrit m = 1/(b+r. [1-b]), avec b qui est la propension moyenne des agents non financiers à détenir de la monnaie fiduciaire et r qui est le coefficient de réserves fractionnaires.