Les logements pourraient être construits par Polygone sur des terrains loués. (Illustration: Polygone)

Les logements pourraient être construits par Polygone sur des terrains loués. (Illustration: Polygone)

Comment faire pour répondre à la forte demande en logements sociaux et abordables? Les pouvoirs publics essaient de pallier ce manque criant, mais les solutions tardent à arriver. Et si la solution se trouvait dans les logements modulaires et abordables? C’est ce que proposent la députée déi Gréng Semiray Ahmedova et Gaby Damjanovic de l’asbl Inter-Actions.

Tout est parti d’une analyse et de réflexions que avait menées à l’occasion de son mémoire de fin de stage au département de l’aménagement du territoire en 2018. La question qu’elle s’était alors posée était: «Comment répondre à la demande en logements au Luxembourg?» Depuis, la situation ne s’est pas améliorée, et l’urgence est devenue encore plus forte. Cette situation alerte et inquiète tout particulièrement la jeune femme qui, entre temps, est devenue présidente de la Commission du logement à la Chambre des députés.

«À l’occasion de mon mémoire, j’avais identifié les zones potentiellement constructibles», explique Semiray Ahmedova. «Rien que dans le périmètre constructible, il y a 2.846 hectares qui sont exploitables, dont 1/3 (soit 941 hectares) sont des ‘Baulücken’. Or, la très grande majorité de ces terrains est entre les mains de propriétaires privés. Se pose alors la question de la manière de mobiliser ces terrains dormants, qui sont pourtant «prêts à l’emploi». Comme les prix du foncier continuent de croître sans avoir besoin de ne rien faire, de nombreux propriétaires préfèrent les conserver pour les générations à venir de leur famille, plutôt que de s’en séparer. L’acquisition de ces terrains n’étant pas une option, il fallait trouver une autre option.»

Lors de son parcours, elle rencontre Gaby Damjanovic, également membre de déi Gréng et présidente de l’association Inter-Actions, dont la vocation est d’améliorer les conditions de vie des personnes socialement défavorisées. Gaby Damjanovic voit quotidiennement la situation se détériorer sur le terrain en ce qui concerne l’accès au logement. Discutant de cette situation avec Semiray, les deux femmes tentent de trouver des idées à mettre en œuvre pour créer plus de logements abordables.

Louer le terrain

C’est dans cet objectif que Semiray Ahmedova étudie dans le détail la loi sur le bail emphytéotique. Or, cette loi permet un bail minimum de 50 ans, une proposition que Semiray Ahmedova n’estime pas attractive pour les propriétaires fonciers. «Par contre, rien n’empêche d’établir un contrat de location pour jouir d’un terrain sur une période plus courte», affirme la députée. L’idée est donc que la commune établisse un contrat avec un propriétaire privé pour réaliser une location du terrain sur une durée négociée de 3, 5, 10 ou 20 ans. «Le fait que la commune soit signataire du contrat met en confiance le propriétaire. La commune s’engage par ailleurs à rendre le terrain dans le même état que lors de sa prise en location. En échange, le propriétaire reçoit un loyer symbolique tous les mois, ce qui est tout de même un peu plus profitable que de laisser le terrain en jachère.»

Des logements modulables et abordables

 Une fois le terrain loué, l’idée est d’y installer du logement modulaire, mobile et abordable. Pour cela, Inter-Actions a un atout dans sa poche: Polygone. Cette sàrl travaille main dans la main avec l’association pour proposer une réinsertion sociale et professionnelle aux personnes socialement vulnérables. Et il se trouve qu’un des domaines de compétence de cette société est la construction et l’installation de bâtiments modulaires. «Les unités que proposent Polygone peuvent être de haute qualité et correspondre à des logements de classe AA ou AB, réalisés selon les principes de l’économie circulaire», assure Semiray Ahmedova. «Aussi, après avoir réussi à louer le terrain, nous pourrions construire en 8 à 10 semaines des logements adaptés à la demande, car modulables et réalisés à bas coût.»

Cette proposition permettrait en effet de répondre à la demande de logements sociaux ou à bas coût. «D’après le Statec, 40% de la population est locataire. Parmi les familles qui ont 2 enfants, 65% du revenu de la famille est utilisé pour couvrir les frais liés au logement et à l’alimentation. Et pour 40% d’entre eux, les revenus sont inférieurs à 3.000 euros. La demande de logements abordables est donc grande», confirme la députée.

«De plus, je crains que peu après la pandémie, nous ne devions faire face à une forte hausse du chômage et du surendettement», renchérit Gaby Damjanovic. «La situation sociale risque de se détériorer de manière très importante. Nous devons absolument anticiper cette situation et construire dès maintenant des logements abordables. Nous devons agir rapidement et le faire avant qu’il ne soit trop tard!»

Une gestion locative avec un bailleur social

Dans le cadre du nouveau Pacte logement 2.0, il est prévu que des postes de conseillers logement soient créés dans les communes. «Ces conseillers pourraient être des relais pour nous aider à mettre en place ce système de location de terrains et d’installation des unités modulables», explique Semiray Ahmedova. «Par la suite, la gestion locative peut être prise en charge par des organismes déjà existants et dont c’est la mission, comme la Gestion locative sociale», poursuit Gaby Damjanovic.

Les deux femmes ont plus précisément analysé les groupes cibles: «Tout d’abord, il y a les demandeurs de logement social, un secteur qui est en extrême pénurie de biens. À l’échelle nationale, seuls 2% des logements sont des logements sociaux. En 2018, le besoin de nouveaux logements sociaux était de 30.000 logements. Pour absorber ce besoin, nous devons mobiliser 1.000 hectares», détaille Semiray Ahmedova.

Le second groupe cible est celui des jeunes professionnels, ceux qui sont en fin de formation ou en début de carrière, avec un salaire modeste.

Le troisième groupe concerne les personnes en attente d’un logement de la SNHBM ou du Fonds du logement. Ces logements modulables pourraient être des habitations transitoires, en attendant que les nouveaux projets de ces promoteurs publics se construisent.

«Enfin, ces logements pourraient aussi devenir des logements d’urgence, pour répondre à un besoin suite à une catastrophe naturelle, comme nous en avons eu récemment avec les inondations ou la tornade», poursuit la députée. «Mais nous pourrions aussi très facilement imaginer que ces logements correspondent aux besoins des familles monoparentales, des personnes à mobilité réduite, ou des personnes qui ont dû quitter un logement insalubre. Mais au-delà de ces groupes sociaux, nous pourrions aussi imaginer de la colocation multigénérationnelle, de l’habitat participatif… Les utilisations peuvent être multiples et les besoins ne manquent pas! En fonction de la durée du bail proposée, différentes solutions et différents types d’habitats pourraient être envisagés et proposés.»

Un cercle vertueux pourrait alors se mettre en place: le propriétaire conserve son terrain tout en le rentabilisant encore un peu plus, la commune peut proposer plus de logements sur son territoire, et la Gestion locative sociale dispose de biens pour faire son travail.

Un projet pilote prochainement espéré

«Notre objectif maintenant est de lancer un appel aux communes pour qu’elles sensibilisent les propriétaires fonciers de leur territoire à mettre en location leur terrain. Si le Pacte logement 2.0 est accepté tel qu’il est prévu, nous aurons alors tous les outils pour mettre rapidement en œuvre cette solution. Les constructions pourront être assurées par Polygone, qui offre en plus de l’emploi et de nouvelles compétences à des personnes en voie de réinsertion. Il s’agit d’une utilisation rationnelle du terrain et des ressources», confirme Semiray Ahmedova.

Des marques d’intérêt de la part de communes dans le nord et le sud du pays ont déjà eu lieu et des négociations avec des propriétaires sont en cours. «Nous espérons qu’un projet pilote va rapidement voir le jour à présent», confie Gaby Damjanovic. «Cela ne résoudra pas tout le problème du logement au Luxembourg, nous en sommes bien conscientes, mais nous pourrons peut-être au moins essayer d’apporter une partie de la réponse pour un public identifié.»