Nicolas Buck: «Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de crise qu’on ne peut pas travailler ensemble. Chacun a une réalité qui lui est propre, mais nous devons favoriser le dialogue et le compromis.» (Photo: Matic Zorman)

Nicolas Buck: «Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de crise qu’on ne peut pas travailler ensemble. Chacun a une réalité qui lui est propre, mais nous devons favoriser le dialogue et le compromis.» (Photo: Matic Zorman)

La «compétitivité et l’attractivité» des entreprises sont au centre de la vision du nouveau président de l’Union des entreprises luxembourgeoises (UEL). Nicolas Buck a été élu ce jeudi matin en assemblée générale. Revue des priorités.

Vous venez d’être officiellement élu à la présidence de l’UEL. Que représente le passage de témoin avec Michel Wurth, qui a exercé pendant 15 ans?

. – «Rappelons que l’UEL a été créée en 2000 sous l’impulsion de Joseph Kinsch, aidé par Norbert Friob et Paul Reckinger, pour unifier les positions du patronat autour des grandes questions importantes pour les entreprises et le pays.

est arrivé en 2004 et a accompli une grande œuvre, dans un contexte marqué par des crises et des changements profonds de l’économie. Tout en sachant que l’entreprise dans laquelle il occupe toujours des fonctions importantes s’est aussi transformée (ArcelorMittal, ndlr). Nous sommes tous les deux différents, mais nous entretenons une relation très forte. Cela fait trois ans que je l’ai tous les jours au téléphone.

Qu’avez-vous appris en le côtoyant depuis mars 2016 et votre arrivée à la présidence de la Fedil?

«La patience! Il a aussi un sens stratégique et tactique très aigu, ce qui lui permet d’estimer très rapidement les tenants et aboutissants d’une décision dans son ensemble, avec les conséquences à 5 ou 10 ans.

Je pense que je peux être utile dans le développement des organisations patronales.

Nicolas BuckprésidentUEL

La présidence de l’UEL est-elle une suite «logique» après la Fedil?

«C’est avant tout un concours de circonstances. Michel Wurth a souhaité passer la main, en exerçant ses responsabilités aussi longtemps que possible, en garantissant une succession organisée.

De mon côté, j’ai toujours estimé que les deux rôles, président de l’UEL et président de la Fedil, étaient difficilement compatibles. Mais quand l’opportunité s’est présentée, à la différence de la Fedil où on me l’a demandé, j’ai posé ma candidature.

Pourquoi?

«Je pense que je peux être utile dans le développement des organisations patronales. J’ai l’habitude de l’action et je viens d’une fédération. Cela m’a permis de me préparer pour une fonction bénévole qui implique du concret et pas simplement de la réflexion.

En résumé, quelle est votre vision pour l’UEL?

«Deux mots sont essentiels pour moi et ils sont d’ailleurs liés: compétitivité et attractivité. Nous devons préserver la compétitivité et l’attractivité de nos entreprises pour que les gens puissent s’épanouir et que nous soyons capables d’attirer des jeunes. L’économie sans les ressources humaines ne marche pas, c’est la base.

La fiscalité des entreprises devient une matière sur laquelle il faut dialoguer de façon intelligente, constructive et professionnelle.

Nicolas BuckprésidentUEL

Vous souhaitez ajouter la fiscalité des personnes physiques et morales aux sujets transversaux que traite l’UEL en tant qu’organisation faîtière du patronat. Pourquoi ce choix?

«La fiscalité n’est pas une fin en soi, mais un moyen d’attirer une certaine forme d’activité économique, de favoriser un type de comportement… La fiscalité est un levier pour assurer les recettes de l’État. Or, nous n’avons pas encore assez de compétences sur ce sujet au niveau des organes patronaux. Dans un monde où la transparence fiscale est un fait, il est évident que la fiscalité des entreprises devient une matière sur laquelle il faut dialoguer de façon intelligente, constructive et professionnelle.

Quelle tonalité souhaitez-vous pour les relations avec le gouvernement?

«Professionnelle. C’est ça, le vrai terme. Tous les autres ne veulent rien dire. ‘Professionnel veut dire travailler pour avoir des résultats.

L’enjeu sera aussi de rapprocher le monde politique du monde patronal?

«Ce sont des mondes différents. Notre objectif est d’accompagner de façon structurée le processus législatif. Or, les lois ou règlements ont un impact important pour les entreprises, pour les investisseurs, pour les salariés… Il est primordial que les entreprises puissent accompagner leur élaboration, qui doit se concevoir en fonction de la recherche d’efficience.

La représentation des sociétés doit être très proche de leur cœur de métier.

Nicolas BuckprésidentUEL

N’y a-t-il pas trop d’organisations professionnelles, compte tenu de la taille du pays?

«En aucun cas. Les entreprises tendent à se spécialiser dans des secteurs bien spécifiques. Leur représentation doit donc être très proche de leur cœur de métier. En parallèle à la spécialisation des associations sectorielles professionnelles, l’UEL a pour rôle la prise en charge des sujets transversaux.

Le dialogue social via la tripartite n’existe plus. Comment le structurer à nouveau? Comment le gouvernement doit-il considérer les corps intermédiaires?

«Les gouvernements Bettel I et II ont souhaité, consciemment ou non, ne plus procéder à des échanges en mode tripartite, probablement car nous ne connaissons pas de crise. L’option bilatérale, les patronats et le gouvernement ou les syndicats et le gouvernement, a été retenue.

Mais ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de crise qu’on ne peut pas travailler ensemble. Chacun a une réalité qui lui est propre, mais nous devons favoriser le dialogue et le compromis. Il ne faut pas nécessairement attendre une crise pour provoquer des accords ou, au moins, structurer le dialogue. Si vous ne dialoguez jamais, le jour où une crise survient, il est peut-être trop tard, car les automatismes de discussion sont moins évidents.

Le vent économique peut tourner. Et à ce moment-là, nous devrons être prêts pour faire ensemble les sacrifices qui s’imposent.

Nicolas BuckprésidentUEL

L’UEL n’existe en fait que dans le cadre du triangle formé avec le gouvernement et les syndicats. Nous ne pouvons nous préparer aux grandes décisions qui s’imposeraient en cas de pertes de recettes fiscales ou vis-à-vis du grand défi qu’est la réforme des pensions qu’en professionnalisant cette relation. Le vent économique peut tourner. Et à ce moment-là, nous devrons être prêts pour faire ensemble les sacrifices qui s’imposent.

La question des pensions pourrait être anticipée pour éviter des coupes trop douloureuses à l’avenir…

«Cette question ne peut être résolue qu’avec le consensus politique des grands partis. On la résoudra le moment venu, mais à minuit moins cinq…

Quel message souhaitez-vous lancer aux syndicats au début de votre mandat?

«Je les encourage à avoir une vue plus équilibrée du monde de l’entreprise et à ne pas voir dans les salariés uniquement des victimes. Nous devons considérer la différence croissante entre les différents parcours professionnels pour leur apporter une réponse adaptée.

Or, les entreprises doivent faire face à des adaptations importantes, tant au niveau réglementaire qu’en raison du développement technologique…

«Les entreprises ne peuvent répondre à ces changements qu’à travers le capital humain – disposer des ressources suffisantes – et le capital financier de leurs actionnaires – disposer des moyens nécessaires. Le véritable enjeu est l’organisation du ‘reskilling: la formation, se doter des bonnes et de nouvelles compétences, protéger les personnes au lieu de protéger les emplois comme le revendique un syndicat dans le cadre de la campagne des élections sociales.

Avez-vous visionné le clip de l’OGBL? Conçu aussi pour la campagne des élections sociales, il simule une réunion d’un comité de direction fictif dans lequel le chef d’entreprise ne veut visiblement pas entendre parler du bien-être de ses employés...

«Peut-être l’OGBL souhaite-t-il avoir plus de cadres parmi ses membres! C’est de bonne guerre... En revanche, l’acteur qui joue le chef d’entreprise est personnellement convaincu de cette vision du monde… Il n’y a, dans ce cas, pas de différence entre le personnage et l’acteur (Marc Limpach, ndlr).

Les dépenses apparaissent comme la solution privilégiée par la politique pour résoudre les problèmes du pays.

Nicolas BuckprésidentUEL

Que retenez-vous de la présentation du projet de budget 2019 faite mardi par le ministre des Finances, ?

«Je retiens avant tout l’étendue des chiffres. Nous commençons à frôler les 20 milliards de dépenses et de recettes. Qui l’aurait cru… Cela implique une énorme responsabilité des différents acteurs, politiques, économiques, des corps intermédiaires… Une fois qu’une telle machine est lancée, vous devez assurer les recettes. Elles apparaissent vraisemblablement comme la solution privilégiée par la politique pour résoudre les problèmes du pays.

Face à ces choix, je me pose la question de l’efficience. Est-ce qu’en dépensant plus, on résout, par exemple, les problèmes du système éducatif, qui produit des profils dont l’économie n’a pas toujours le plus besoin?

«Un des problèmes dont la politique ne parle pas – ou très peu – est d’ailleurs les jeunes en provenance de milieux défavorisés ou qui éprouvent des difficultés scolaires. Ces jeunes ont du mal à acquérir des compétences, ce qui crée des inégalités… que l’on essaie de résoudre par des transferts sociaux au lieu de s’attaquer aux causes profondes.

Quel est l’agenda de l’UEL dans les prochaines semaines?

«Nous sommes dans le très concret avec, par exemple, l’implémentation du crédit d’impôt, les 100 euros nets liés à la promesse du gouvernement d’augmenter le salaire social minimum. Comment avoir droit à ce crédit si on ne paie pas d’impôts? Ce qui pose la question de l’organisation du préfinancement par les entreprises qui seront ensuite remboursées par l’État. Je pense que la prudence devrait s’imposer quant à la date d’entrée en vigueur de la mesure, en sachant que tous les systèmes de calcul des salaires des entreprises devront être mis à jour. Cette mesure aurait pu être résolue plus facilement en impliquant le Centre commun de la sécurité sociale.

Allez-vous poursuivre la défense d’un Luxembourg qui se conçoit, plus que jamais, dans l’espace de la Grande Région?

«Nous devons nous demander comment une nation qui est tellement dépendante des contributeurs qui viennent de territoires sur lesquels elle n’exerce pas de souveraineté peut mettre en place et soutenir des politiques cohérentes en matière d’infrastructures, d’emploi, de sécurité sociale… c’est un sujet de grand intérêt que nous avons en commun avec les syndicats.»