Bertrand Schmeler, senior vice president au sein de CBP Quilvest. (Photo: Maison Moderne)

Bertrand Schmeler, senior vice president au sein de CBP Quilvest. (Photo: Maison Moderne)

À l’heure où la France s’apprête à rendre un hommage national à l’un de ses immenses acteurs, Jean-Paul Belmondo, deux films emblématiques de sa longue carrière reflètent avec un peu de poésie les incertitudes qui entourent les investisseurs sur les marchés financiers à l’heure actuelle.

En dépit d’une pandémie persistante et d’une reprise économique qui reste fragile, les indices boursiers continuent de battre des records. Aux États-Unis, l’indice phare S&P500 est en hausse de plus de 20% depuis de début de l’année (il a doublé depuis la forte correction de mars 2020); les indices européens participent eux aussi à la fête cette année, avec une hausse proche de 20%.

Pourtant, de nombreuses incertitudes demeurent, et l’ampleur de la hausse laisse les investisseurs sceptiques et prudents par rapport aux marchés, si on en juge les derniers sondages reflétant le positionnement actuel des investisseurs professionnels.

Au niveau de la pandémie, on sent que le front s’est à présent déplacé entre les diverses mutations du virus et l’efficacité des vaccins contre ces «variants». Alors que la proportion du nombre de «vaccinés» par rapport à la population totale atteint un plateau dans la plupart des pays développés, c’est l’issue de cette lutte qui déterminera l’environnement sanitaire de la fin de l’année et ses éventuelles répercussions sur la confiance des agents économiques.

Sur un plan macroéconomique, le discours des chefs d’entreprise est souvent identique aux quatre coins du monde: la demande est là, soutenue par les divers plans de relance et l’effet «sortie de crise»; toutefois, de nombreux déséquilibres apparaissent et empêchent les entreprises d’honorer leurs commandes comme elles le souhaiteraient: pénurie et tension sur le prix des matières premières, perturbations du transport de marchandises et difficultés de trouver de la main-d’œuvre.

Les marchés financiers restent très largement soutenus par l’abondance de liquidités disponibles, issue des politiques monétaires ultra-accommodantes des grandes banques centrales. Les taux d’intérêt – à court terme et à long terme – sont en effet à un niveau anormalement bas au regard du niveau de croissance mondiale et de l’inflation actuels: suite aux dernières déclarations de la Fed (Banque centrale américaine), on comprend que nous sommes entrés dans une nouvelle ère et que les priorités des banquiers centraux sont ailleurs: restauration du plein emploi, s’assurer que la sortie de crise est effective et que le rebond est durable.

C’est cette absence d’alternatives crédibles qui continue de pousser naturellement les marchés actions vers le haut. Les taux d’intérêt «réels» sont négatifs: pour une inflation de 5% par an, alors que le niveau des taux est proche de 0%, l’investisseur à taux fixe perd 5% de pouvoir d’achat en un an. Il n’en faut pas plus pour que les liquidités s’orientent vers les actifs dits «réels», tels que l’immobilier, les matières premières et les investissements en actions. Avec un volume d’USD 4.000 milliards depuis le début de l’année, les transactions de fusions et acquisitions sont proches du double de 2020 et largement supérieures à 2019 (2.600 milliards).

Quels phénomènes mettront fin à cet équilibre et pourraient faire dérailler la bonne tenue des marchés depuis trois ans? Historiquement, les fins de marchés haussiers sont rarement dues uniquement à des valorisations excessives; un autre facteur déclencheur est nécessaire: on pense en premier lieu à un fort ralentissement économique, comme cela avait été le cas en 2008, en 2011 ou durant les périodes de confinement du début de l’année 2020. C’est certes une éventualité très probable, tant l’économie mondiale reste dépendante des plans de relance, mais un tel scénario semble peu réaliste à horizon 12-18 mois: selon le FMI, une croissance mondiale de 6% en 2021 devrait laisser place à des niveaux plus raisonnables de l’ordre de 4,5% l’année prochaine; les plans de relance, qui jusque-là visaient à soutenir les entreprises et les ménages en difficulté, évoluent vers une tendance à des investissements structurels à long terme dans le domaine de la santé, des infrastructures et des énergies renouvelables.

Le deuxième risque le plus souvent évoqué par les experts est celui d’un retour de l’inflation: qu’ils s’en tiennent à extrapoler les tendances actuelles ou à soutenir que les conditions sont en place pour un retour inévitable de l’inflation à moyen terme (cumul d’incitations fiscales et monétaires de grande ampleur, hausse des coûts des matières premières, inflation des prix des actifs réels…), les risques mis en avant sont réels; ce retour de l’inflation entraînerait alors une forte hausse des taux et une importante correction des marchés, privés de leur principal facteur de soutien. Notre scénario central prévoit une persistance de ces effets inflationnistes (tensions sur les matières premières et le transport…) jusqu’au premier trimestre 2022; au-delà, un ralentissement économique graduel vers des niveaux plus soutenables (de l’ordre de 4%) devrait permettre à l’inflation de rester sous contrôle.

Ainsi, même s’il est retardé au maximum par les banques centrales, on sent bien qu’un phénomène de «normalisation» – certes lent et graduel – des conditions monétaires est inévitable: on parle ici d’un ralentissement progressif des achats d’actifs des banques centrales, avant d’envisager les premières hausses de taux dans la seconde moitié de 2022, si les prévisions économiques mentionnées ici se réalisent. Dans ce contexte, les marchés financiers vont à présent entrer inévitablement dans un environnement moins favorable, plus volatil, plus incertain, où le potentiel de gain est moins élevé, et les risques de pertes en capital accrus: finalement, un environnement de marché plus «normal»…

Plus de risques ne signifient pas pour autant absence d’opportunités, et aussi longtemps que les conditions décrites plus haut prévalent, nous continuons d’être exposés aux actions – avec un degré d’engagement moindre que précédemment: notre préférence va aux actions européennes et aux pays émergents, sensibles à la reprise économique; les secteurs que nous privilégions sont liés à la santé, à l’énergie verte, aux changements des habitudes de consommation et aux «disruptions» technologiques.