Manuel Maleki est économiste chez  Edmond   de Rothschild . (Photo: Edmond de Rothschild)

Manuel Maleki est économiste chez  Edmond   de Rothschild . (Photo: Edmond de Rothschild)

À la fin du mois de juillet, la secrétaire au Trésor, Janet Yellen, a envoyé une lettre aux parlementaires américains les exhortant à trouver un compromis sur une augmentation du plafond de la dette du pays.

En effet, en août 2019, le Congrès s’était mis d’accord pour suspendre le plafond de la dette des États-Unis, celui-ci correspond au montant maximum que l’État américain et les agences fédérales peuvent emprunter. C’est en 1939 que les parlementaires décident de mettre en place ce plafond. Avant, ils votaient l’acceptation ou le refus de chaque dette, mais face à la complexité grandissante de ce processus, il est décidé de voter pour un plafond général.

Le plafond de la dette: une vieille tradition de la politique américaine

Ainsi, en 2019, ce plafond avait été annulé pour une période de deux ans grâce à un accord budgétaire bipartisan qui permettait d’accroître les dépenses sans la contrainte d’un plafond de dettes. Cet accord a pris fin le 31 juillet 2021, reposant donc la question du plafond de la dette américaine. À la fin du mois de juillet, ce dernier a été augmenté de manière à intégrer la dette de ces deux dernières années, soit environ 6.500 milliards de dollars pour atteindre 28.500 milliards, mais rien n’a été décidé pour les dettes futures. 

Les parlementaires ne se sont donc pas encore mis d’accord sur le niveau de plafond de la dette, faisant ressurgir le spectre d’une période d’incertitude qui pourrait être longue de plusieurs mois et qui pourrait, dans le pire des scénarios, aboutir à un défaut de paiement sur les dettes publiques américaines. 

Historiquement, depuis 1939, le plafond a été relevé 99 fois. Jusqu’en 2013, le processus était toujours le même, la proposition d’augmentation du plafond était présentée aux deux Chambres et ratifiée par le président des États-Unis. Toutefois, cette année-là, les parlementaires décidèrent de changer d’approche et de ne pas proposer un montant, mais une date «butoir», date à laquelle il serait nécessaire de renégocier entre Démocrates et Républicains une nouvelle date. Ainsi, ce n’est pas le montant de la dette qui est discuté, mais la durée de la période.  

Le Trésor peut gagner un peu de temps

Toutefois, même si la date butoir a été atteinte, le Trésor américain dispose de «mesures exceptionnelles», qui consistent principalement à couper dans des dépenses, qui peuvent lui permettre d’aller au-delà du plafond, une de ces mesures adoptées début août par le Trésor est de ne pas investir dans les fonds de pension publics, comme celui de la poste américaine par exemple. Le Trésor peut aussi décider de donner priorité au remboursement de sa dette plutôt qu’à d’autres dépenses. Ces mesures pourraient permettre aux États-Unis d’honorer leurs dettes jusqu’au mois d’octobre 2021. Notons que la question du plafond de la dette n’a rien à voir avec le «shutdown» budgétaire qui, lui, est le résultat d’un désaccord entre parlementaires au sujet de l’affectation de budgets.  

Sans accord politique sur le plafond de la dette, les États-Unis ne pourraient plus emprunter et se retrouveraient en incapacité, par exemple, de payer les fonctionnaires ou bien les intérêts de leur dette. 

Dès lors, il apparaît que la question de la dette est un enjeu politique majeur et un puissant levier de négociation pour chaque parlementaire, en particulier pour les sénateurs, du fait qu’ils sont moins nombreux que les représentants à la Chambre et que la majorité démocrate n’est que d’une voix. Ceci explique qu’il n’existe pas de solution irénique et que la question de la dette est une source de conflit important entre parlementaires.

Des impacts possibles sur le marché monétaire, obligataire et in fine sur l’économie

Une incapacité à trouver un accord pourrait avoir de lourdes conséquences sur l’économie et les marchés financiers puisque cela pourrait, au pire, être synonyme de défaut de paiement pour la première économie du monde. Toutefois, avant même d’arriver à une telle situation, les incertitudes qui entourent la question du plafond et d’une possible date d’accord peuvent générer des tensions sur les marchés. Ainsi, en 2011, face à des mois de blocage, l’agence de notation Standard & Poor’s avait décidé d’abaisser la note de la dette souveraine américaine, qui était passée de AAA à AA+. Même si une dégradation de note n’a pas automatiquement de conséquence sur les marchés obligataires, elle peut générer des tensions sur le marché des dettes, comme une hausse des taux par exemple.   

Une autre conséquence du blocage sur le relèvement de la dette est qu’à l’approche de la date de fin du plafond, le Trésor américain réduit ses émissions de dettes amenant à une raréfaction de la dette à court terme, les T-Bills, sur le marché monétaire, ce qui provoque une baisse des taux sur ces maturités. L’approche de la fin des mesures exceptionnelles, quelques mois plus tard, a aussi des conséquences pour le marché obligataire. En effet, l’incertitude pousse les investisseurs à se débarrasser des obligations qui arrivent à échéance peu après la date butoir: ils craignent que ces obligations ne soient pas remboursées par le Trésor et dès lors, ils cherchent à les vendre. Ainsi, il apparaît que le marché monétaire américain est doublement impacté à quelques mois d’intervalle. 

Défaut de paiement technique

Enfin, si aucun accord n’est trouvé au Congrès avant la date butoir, les États-Unis ne pourraient rembourser leur dette à échéance et ils entreraient dans une situation de «défaut de paiement technique» signifiant que le remboursement serait repoussé dans le temps. Le pays a fait face à cette situation au printemps 1979, où le Trésor a repoussé trois remboursements en arguant de problèmes techniques, mais qui semblent avant tout avoir été en lien avec les négociations à propos du plafond de la dette. À noter qu’un très léger retard de paiement n’affecte pas les obligations qui échoient à plus long terme. 

 Toutefois, à la vue des expériences passées, nous considérons qu’il est hautement improbable qu’une situation de défaut technique puisse se produire et nous considérons que les parlementaires feront le nécessaire pour assurer le bon fonctionnement de l’État américain. 

D’autant plus qu’il est aussi important de considérer la particularité du moment. En effet, ces discussions au Congrès ont lieu alors que l’économie américaine se remet peu à peu de la crise du coronavirus et que des incertitudes demeurent avec le risque de voir l’épidémie repartir à cause de différents variants. Toutefois, au vu de la situation actuelle, il semble très peu probable que les autorités décident d’adopter des mesures de distanciation sociale aussi forte que celles qui ont été mises en place durant l’année 2020. Il faut espérer que les incertitudes qui entourent le rétablissement de l’économie américaine et mondiale poussent le Congrès a vite trouver un accord sur le plafond de la dette de façon à apporter aux agents économiques un peu plus de visibilité sur l’avenir dans cette période particulièrement trouble.