L’investisseur est aujourd’hui davantage soucieux des impacts sociaux et environnementaux de ses investissements, constatent les professionnels du secteur bancaire. (Photo: Shutterstock)

L’investisseur est aujourd’hui davantage soucieux des impacts sociaux et environnementaux de ses investissements, constatent les professionnels du secteur bancaire. (Photo: Shutterstock)

Investir pour faire fructifier son patrimoine, c’est une chose. Le mettre au service d’un monde plus durable, ou du moins veiller à ce que les inves­tissements ne soient pas nuisibles, c’est encore mieux. Toutefois, il n’est pas toujours évident pour l’investisseur de faire des choix. 

Dans un environnement où les taux d’intérêt restent bas, où l’inflation commence à se faire ressentir, un nombre croissant d’investisseurs cherchent à faire fructifier leur épargne en plaçant leurs capitaux sur les marchés. Ils agissent de plus en plus souvent en intégrant leurs valeurs à leur démarche, avec la volonté d’aligner leur politique d’investissement avec leurs engagements de citoyens responsables.

«Aujourd’hui, ces enjeux apparaissent de plus en plus fondamentaux aux yeux de nos clients», affirme Alexandre Schmitz, head of business development (Private Banking) au sein de Degroof Petercam Luxembourg. «Il y a peu, ces préoccupations émanaient d’investisseurs principalement jeunes. Désormais, la conscientisation est beaucoup plus large.» Cette évolution concerne tous les investisseurs, quels que soient les montants investis. ‘Depuis deux ans, on constate une demande active croissante émanant des clients, qui viennent vers nous avec un niveau de connaissance sur les enjeux bien plus élevé que par le passé’, confirme Claude Hirtzig, senior vice president, head of department Retail & Private Banking au sein de Spuerkeess. ‘C’est encore loin d’être la majorité de nos clients, mais la demande est croissante et nous oblige à faire évoluer l’offre pour y répondre.’ 

La banque Spuerkeess, dès 2010, s’était engagée dans la voie de l’investissement responsable, avec un premier fonds qui intégrait des critères d’exclusion éthiques et sociaux. Après l’avoir abandonné en 2016, faute de demandes, la banque remet aujourd’hui l’ouvrage sur le métier, en redéployant une offre mais sous une autre forme. 

Vers plus de transparence

Car la demande est désormais présente. L’investisseur est aujourd’hui davantage soucieux des impacts sociaux et environnementaux de ses investissements. Au-delà, le développement d’une offre de placement intégrant les critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) est aussi activé par l’évolution de la réglementation, qui traduit la volonté des autorités de réorienter les flux financiers au service des enjeux de transition. ‘La réglementation SFDR, qui est entrée en vigueur cette année, contraint à une plus grande transparence vis-à-vis des critères de durabilité des produits proposés’, explique Rudi Belli, head of department secretary general chez Spuerkeess. ‘Chaque acteur financier souhaitant se positionner sur le segment des investissements durables doit répondre à de nouvelles obligations vis-à-vis du client et du régulateur.’ 

La réglementation établit trois grandes catégories de produits: ceux sans objectif de durabilité, ceux intégrant les critères ESG (article 8) et les investissements poursuivant des objectifs de durabilité (article 9). «En établissant des normes, en obligeant chacun à se positionner sur le marché, une telle réglementation poursuit l’objectif d’emmener les acteurs vers des investissements plus responsables», indique Rudi Belli. Dans ce contexte, Spuerkeess a mis sur pied deux fonds verts, l’un intégrant les critères ESG (art. 8), le second menant des objectifs de durabilité (art. 9). «C’est une démarche semblable au Nutriscore, dans la grande distribution. Sur chaque fonds, il y aura une étiquette, avec pour objectif d’emmener les acteurs sur la voie de l’investissement responsable et de mettre en œuvre une finance qui se veut plus vertueuse», commente Alexandre Schmitz, dont l’institution a fait le choix stratégique en début d’année de proposer systématiquement une gestion discrétionnaire compatible avec l’article 8. 

Investir de manière responsable, ce n’est pas forcément soutenir le développement d’éoliennes ou de toute autre technologie verte.

Alexandre SchmitzHead of business development (Private Banking)Degroof Petercam Luxembourg

En contraignant les acteurs à mieux informer les investisseurs et à rendre des comptes au régulateur, l’Union européenne veut lutter contre la pratique du greenwashing. Toutefois, la difficulté à laquelle sont confrontées les institutions financières est de parvenir à consolider l’information permettant de démontrer que chaque investissement s’inscrit dans une démarche durable. Le législateur européen, bien conscient de cette problématique, complète progressivement son arsenal réglementaire avec l’élaboration d’une taxonomie ESG et l’obligation de divulguer de l’information à travers la réglementation SFDR. «La taxonomie, c’est la science de classer, précise Alexandre Schmitz. L’idée est, pour chaque activité, d’établir une série de critères qualitatifs et quantitatifs déterminant si une activité est durable ou non. Elle permettra de dire précisément si une société peut être qualifiée de ‘durable’ ou non.» Cette taxonomie, qui sera évolutive, doit offrir la possibilité de pousser les standards vers le haut et de limiter tout risque de dérive découlant d’une interprétation trop large de ce qui relève d’une activité responsable. «L’ensemble législatif est complété par la directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (SFDR), fixant les exigences relatives à l’établissement de rapports non financiers par les sociétés cotées», explique Rudi Belli.

Soutenir la transition

À moyen terme, ce nouveau cadre doit aussi emmener les acteurs économiques, du moins ceux qui cherchent à se financer sur les marchés, à s’inscrire dans une approche durable. «Les entreprises qui n’intégreront pas les critères ESG risquent, à terme, de rencontrer des difficultés à se financer au niveau des marchés», commente Claude Hirtzig. Avec la taxonomie, chacun devrait avoir la possibilité d’adopter une procédure de transition. «Investir de manière responsable, ce n’est pas forcément soutenir le développement d’éoliennes ou de toute autre technologie verte. Un groupe pétrolier, qui s’inscrit dans une démarche de transition, avec une feuille de route claire en faveur d’un modèle plus respectueux de l’environnement, pourra être considéré comme répondant à certaines exigences ESG, explique Alexandre Schmitz. Investir vert, c’est avant tout investir dans la transition.»

Le changement qui s’opère est aussi source de stress et d’incertitudes, de risques et d’opportunités, qu’il faut pouvoir appréhender et gérer.

Claude HirtzigSenior vice president, head of department Retail & Private BankingSpuerkeess

Ces réglementations, qui représentent des chantiers considérables, entreront en application dans les mois à venir. En attendant, il n’est pas forcément simple pour les investisseurs de séparer le bon grain de l’ivraie. «L’information disponible est aujourd’hui encore fragmentée, peu uniforme. Dans la perspective de soutenir l’investissement durable, il nous a dès lors fallu développer une expertise nous permettant d’aller chercher les bonnes données, de les questionner, pour nous assurer de la pertinence des investissements, déclare Claude Hirtzig. C’est ce qui nous permet d’offrir un conseil de qualité, de tenir compte des critères ESG dans notre offre de gestion discrétionnaire ou encore dans le développement de l’offre de fonds.»

Concernant le conseil, le responsable de la banque privée précise que celui-ci ne se limite pas à l’investissement sur les marchés. «Investir dans la rénovation énergétique de son habitation, avec l’aide d’un prêt par exemple, permet de contribuer à la transition tout en renforçant la valeur de son bien immobilier», indique-t-il. «Au sein de Degroof Petercam, on a commencé à considérer les indicateurs environnementaux et sociaux dès 2001. Aujourd’hui, toute notre offre intègre les aspects de durabilité, explique Alexandre Schmitz. L’expertise acquise au fil du temps nous permet d’apporter un meilleur conseil à nos clients, en toute transparence, en tenant compte de leurs aspirations. Le client peut connaître le degré ESG de son portefeuille. Mais la volonté est d’aller plus loin, en lui permettant à l’avenir de connaître le taux d’émission de CO2 associé à ses investissements en bourse.» 

Si l’investissement tient compte désormais des enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance, qu’en est-il de la performance? «Il y a quelques années, le client avait le sentiment de devoir choisir entre performance financière et contribution au changement», commente Alexandre Schmitz, dont la banque peut faire valoir une expérience d’une vingtaine d’années en matière d’investissement durable. Cela a évolué. On constate aujourd’hui qu’un portefeuille qui intègre les critères ESG résiste mieux aux chocs qui affectent les marchés, en raison souvent d’une stratégie qui traduit une vision à long terme, intégrant par exemple les risques climatiques, réglementaires ou encore sociaux. À long terme, les classes d’actifs durables devraient afficher de meilleures performances que celles qui ne le sont pas.» Jusqu’à devenir une norme. «Le mouvement est bien engagé. Si, à long terme, les acteurs durables devraient mieux s’en sortir, le changement qui s’opère est aussi source de stress et d’incertitudes, de risques et d’opportunités, qu’il faut pouvoir appréhender et gérer», conclut Claude Hirtzig. 

Cet article a été rédigé pour le supplément , paru le 27 novembre avec .

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