Observateur avisé du marché du logement au Luxembourg, Julien Licheron était l’invité de la rédaction de Paperjam. (Photo: Patricia Pitsch / Maison Moderne)

Observateur avisé du marché du logement au Luxembourg, Julien Licheron était l’invité de la rédaction de Paperjam. (Photo: Patricia Pitsch / Maison Moderne)

Coordinateur de l’Observatoire de l’habitat, Julien Licheron a un regard particulièrement aiguisé sur les problématiques du logement, de l’habitat ou de la construction immobilière au Luxembourg. Il était l’invité de la rédaction de Paperjam pour un petit-déjeuner et un débat avec la rédaction.

Arrivé au Luxembourg voici dix ans, après une thèse quant à l’impact de la zone euro sur le marché immobilier à l’Université de Rennes, Julien Licheron est devenu coordinateur de l’Observatoire de l’habitat.

Celui-ci réalise depuis un peu plus de 15 ans des études pour le ministère du Logement et des analyses de problématiques nouvelles afin de l’aider dans ses prises de décision. «Voici dix ans, le logement était déjà à l’agenda du gouvernement et il y est toujours», souligne le chercheur. «Est-ce que ce problème est maintenant plus grave? Je ne sais pas. Sans doute que oui pour certains ménages.»

Désormais, le curseur est mis sur l’offre de logement et plus seulement sur les aides pour accéder au logement.
Julien Licheron

Julien Licheroncoordinateur de l’Observatoire de l’habitat

Un élément fondamental a néanmoins évolué: «Auparavant, la volonté était d’aider les gens à accéder à la propriété. Le curseur était donc mis sur les aides. Maintenant, il est mis sur l’offre de logement, c’est très différent.» Mais le logement est-il vraiment un problème? «Les chiffres le démontrent: il faudra de 6.000 à 6.500 logements en plus chaque année. C’est selon moi un objectif possible à atteindre car ce chiffre englobe les logements à rénover.»

«Comme l’avait aussi souligné la Fondation Idea, on a su loger, ces dernières années, les nouveaux venus dans le pays. Ce qui me fait dire que le problème se situe principalement au niveau du renouvellement du parc existant. On peut le constater notamment dans le sud du pays: des gens logent dans des immeubles dégradés. Le risque d’insalubrité est croissant, même si des campagnes de rénovation ont eu lieu ces derniers temps», soutient Julien Licheron.

Le travail appréciable de l’AIS

Le solde migratoire global étant positif, la demande en logement va perdurer. Julien Licheron est convaincu qu’on ne résoudra pas le problème via une seule réponse «sinon, j’ose croire que nous l’aurions trouvée depuis longtemps». Mais bien grâce à plusieurs solutions. Parmi celles-ci, il y a «la colocation, qui est une réalité mais qui n’est pas encore institutionnalisée».

Mais aussi les habitats collectifs et même d’éventuels logements semi-temporaires. Des projets sont en cours. «L’idée est de conclure un bail locatif avec des propriétaires de terrain qui ne veulent pas vendre. Le temps de la location, on installe sur les terrains des logements déplaçables mais de qualité. C’est un concept qui existe déjà dans d’autres pays.»

De même, le travail de l’Agence immobilière sociale (AIS) est appréciable. «En 10 ans, ils ont acquis environ 600 logements. Et des agences du même genre existent aussi au niveau de certaines communes associées, comme Kordall avec Differdange, Pétange...»

La priorité ne doit pas être d’augmenter les périmètres constructibles. On dispose déjà de 2.800 hectares.
Julien Licheron

Julien Licheroncoordinateur de l’Observatoire de l’habitat

est souvent pointée du doigt comme responsable de bien des maux. «C’est une hypothèse souvent entendue», confirme Julien Licheron. «Personnellement, je ne la soutiens pas. Selon moi, la priorité ne doit pas être d’augmenter les périmètres constructibles. On a déjà 2.800 hectares en réserve, soit de quoi bâtir 50 à 80.000 logements.»

La difficulté est que 90% du foncier luxembourgeois est entre les mains de privés. Et que 20% d’entre eux concentrent 75% des biens.

Comment arriver à mobiliser ces terrains? «Les pistes sont nombreuses: augmenter les impôts fonciers, taxer les terrains non bâtis, reclasser en zone non constructible celles qui sont constructibles mais restent vierges de bâtiments...», pointe Julien Licheron. Mais tordre le bras des propriétaires reste évidemment une prérogative des politiques. Qui n’en ont pas nécessairement envie.

Analyser l’impact du Luxembourg sur les pays voisins

Actuellement, une analyse du marché immobilier transfrontalier est aussi en cours, à la demande du ministère du Logement. «L’ambition est de voir quel est l’impact du Luxembourg sur les marchés voisins. Nous sommes au stade de la collecte des données, avec l’ambition de publier des résultats en 2020.

Il faudra aussi homogénéiser l’ensemble, car un m2 au Luxembourg n’est pas équivalent à un m2 en France par exemple. Au Luxembourg, on parle toujours de surface utile habitable, donc aussi avec les emprises des annexes, des cloisons, locaux techniques... En France non, on évoque toujours la surface habitable.»

Le Luxembourg n’est pas un cas unique en Europe en ce qui concerne la hausse des prix des logements.
Julien Licheron

Julien Licheroncoordinateur de l’Observatoire de l’habitat

Et si le Luxembourg cultive certaines particularités en matière de logement (des maisons et des appartements plus grands, mais une dispersion plus importante des surfaces, par exemple), «il n’est pas un cas unique en ce qui concerne la hausse des prix des logements. Mais il faut comparer le pays avec certaines agglomérations de 500 à 600.000 habitants pour que cela soit pertinent.»

«Là, on remarque que plusieurs villes d’Allemagne, de Suisse ou d’Autriche connaissent des phénomènes identiques. À Francfort par exemple, les prix sont peut-être légèrement plus bas, mais les augmentations des prix sont tout aussi fortes.»

Les hausses des prix? Pour Julien Licheron, elles se justifient évidemment par un décalage important entre offre et demande. (Photo: Patricia Pitsch / Maison Moderne)

Les hausses des prix? Pour Julien Licheron, elles se justifient évidemment par un décalage important entre offre et demande. (Photo: Patricia Pitsch / Maison Moderne)

Et encore une fois, c’est le foncier qui reste une composante essentielle de la hausse des prix. Au Luxembourg, chaque année, les logements augmentent leur valeur de 4,5%, les terrains de 7%. «Mais cela se justifie, notamment par le décalage entre offre et demande», note encore Julien Licheron. «En tout cas, tout est là pour que le marché reste stable: les taux bancaires sont bas, la croissance économique supérieure aux pays voisins, la démographie bonne, l’accès au crédit assez facile...»

7% de logements vides à Luxembourg

Quant au fait que les nombreux logements vides contribuent aussi à la hausse des prix, Julien Licheron tord le cou à cette idée reçue. «Pour la ville de Luxembourg, le taux de logements vides est de 7%, pour environ 50.000 logements. C’est comparable à ce qu’on constate ailleurs en Europe.»

C’est alors peut-être plus la sous-occupation des logements qui est inquiétante. «La mobilité résidentielle est en effet faible dans le pays, les ménages bougent peu au fil de leur vie», conclut le chercheur. Si le Luxembourgeois aime rester propriétaire du terrain qu’il possède, il est donc aussi peu enclin à quitter son logement, même si celui-ci est, au fil des années, devenu trop grand pour sa famille.