La voiture connectée, un enjeu commercial en Europe, et pas seulement sécuritaire. La 5G permettrait d’aller plus loin que le wifi. Mais cette technologie est déjà prête. (Photo: Shutterstock)

La voiture connectée, un enjeu commercial en Europe, et pas seulement sécuritaire. La 5G permettrait d’aller plus loin que le wifi. Mais cette technologie est déjà prête. (Photo: Shutterstock)

L’Europe fait-elle vraiment le mauvais choix en préférant l’ITS-G5 au C-V2X? Derrière le choix d’un standard de communication pour les voitures connectées se cache une vision défendue par l’Union européenne, là où elle devrait rester neutre technologiquement. Un enjeu à 86 milliards d’euros.

Au volant de l’Union européenne, la Commission européenne n’a pas de technologie embarquée qui l’aurait avertie qu’elle franchissait la ligne jaune de la neutralité technologique. C’est de cela qu’il s’agissait, mi-avril à Strasbourg, au Parlement européen, dans le texte – l’objection – présenté par le vice-président de la commission Transports, Dominique Riquet, aux propositions de Bruxelles.

Même pas de choisir entre le wifi (ITS-G5 dans les documents officiels) et la 5G (C-V2X). Seulement, justement, de ne pas choisir, pour laisser aux deux technologies le temps d’évoluer et de s’imposer à l’autre. 

Il y a plus de 10 ans que l’Union européenne a commencé à travailler sur les systèmes de transport intelligents coopératifs (Stic). Les Stic? Des acronymes incompréhensibles pour le grand public: V2V pour la communication de véhicule à véhicule; V2I pour celle de véhicule à infrastructure; I2I pour celle d’infrastructure à infrastructure; et V2X pour celle de véhicule à toute autre situation, comme les piétons, par exemple.

Tous ces dispositifs doivent fonctionner sans interruption, en temps réel, et si possible communiquer les uns avec les autres, afin de donner aux conducteurs les meilleurs éléments pour décider de leurs parcours.

Quatre fois moins d’investissements que de coûts

L’enjeu n’est pas anodin. Selon l’étude d’impact du développement des Stic, d’ici 2035, pour diminuer le nombre d’accidents, les coûts en carburants et les temps de trajet, qui coûtent jusqu’à 128,9 milliards d’euros aux États membres, ces systèmes ne nécessiteraient «que» 32,3 milliards d’euros d’investissement. Soit un bénéfice de 86 milliards d’euros.

Pour la commissaire européenne aux Transports, Violeta Bulc, l’argumentaire se limite à deux points: le wifi suffira pour lutter contre les 25.000 morts et 137.000 blessés graves par an sur les routes européennes, et il n’y a pas de véhicule en 5G sur le marché et à bon marché qui puisse démontrer ce que prétendent certains constructeurs. À quoi bon, dès lors, attendre trois ou quatre ans supplémentaires?

Le Japon, avec qui l’UE travaille sur le sujet depuis 2009, comme les États-Unis, a vu le nombre de morts baisser de 30% en 2016, première année de la mise en route de ces Stic en wifi. «L’argument est très limité», tempère le député européen Dominique Riquet, qui dénonce le choix de la commissaire. «Le wifi n’est pas accessible pour les piétons, par exemple. Le Japon, comme les États-Unis, est en train de comprendre qu’il devrait – devra – passer à la 5G.» 

Même le vice-président de la Commission européenne en charge de la société digitale, Andrus Ansip, s’est fendu d’une lettre pour inviter sa collègue à montrer davantage d’ouverture dans le choix final.

Imaginer qu’on puisse trouver une solution technologique qui permette de passer de l’un à l’autre, «c’est comme mettre un DVD dans un magnétoscope et espérer que les images soient magnifiques», s’énerve de son côté un lobbyiste de la 5G Automotive Association à Bruxelles.

250 millions de voitures connectées l’an prochain

Le lobby regroupe depuis fin 2016 des poids lourds des télécoms, opérateurs ou fabricants de puces électroniques (Ericsson, Huawei, Intel,  ou Nokia) et la moitié des constructeurs mondiaux (PSA, Ford, BMW, Daimler et Audi).

Ils rêvent que les prédictions de Gartner (en 2015, puis en 2018) de voir 250 millions de voitures connectées sur les routes attendent un peu, parce qu’ils n’ont pas encore de voiture connectée à vendre. PwC limite le nombre de voitures connectées à 65 millions pour un marché de 292 milliards d’euros.

Et c’est précisément parce qu’ils ont des voitures qui peuvent utiliser le wifi que l’autre moitié des constructeurs (Renault, Toyota, Hyundai et Volkswagen) pousse à l’utilisation du wifi...

Car, pour l’instant, pas question de basculer d’un standard à l’autre. Les deux univers se développent en parallèle. «Dans la pratique, vous verrez que la 5G s’imposera sur le terrain», prédit M. Riquet.

Bien au-delà de la communication entre voitures ou entre voiture et infrastructure, pour ralentir au bon moment, éviter une collision avec un autre conducteur, la 5G permettrait d’ajouter des couches de services qui n’existent pas, autrement que sur son téléphone portable à l’intérieur de la voiture.

Conseils et divertissements, mamelles des fournisseurs de contenu

Imaginez que la voiture soit non seulement capable de freiner à votre place en situation d’urgence, mais aussi de prédire la route à emprunter parce qu’il y a un accident ou des travaux sur une autre partie. En créant son test bed avec l’Allemagne et la France, le Luxembourg va même déjà plus loin, en imaginant que ces informations soient disponibles en temps réel et à l’échelle transfrontalière.

Les ministres des trois pays frontaliers, le Luxembourg, l’Allemagne et la France, début avril, lors du lancement du test bed transfrontalier de la voiture autonome... en 5G. (Photo: Nader Ghavami)

Les ministres des trois pays frontaliers, le Luxembourg, l’Allemagne et la France, début avril, lors du lancement du test bed transfrontalier de la voiture autonome... en 5G. (Photo: Nader Ghavami)

Si l’on reprend la dernière étude de Gartner, on comprend les enjeux qui motivent les acteurs de la 5GAA: un Américain moyen passe 393 heures par an derrière le volant de sa voiture. 40% y passent plus d’une heure par jour, et 11% même plus de deux heures.

Et elle serait un cerveau tout à fait disponible pour des programmes de divertissement. Pour l’instant, poliment, les experts font remarquer que 68% des conducteurs aimeraient pouvoir réserver une table pour l’heure où ils seront enfin en situation de s’extirper de leur voiture.

69% autres expliquent qu’ils aimeraient pouvoir savoir où faire le plein et régler directement depuis la voiture. Ce qu’est déjà capable de faire la petite start-up luxembourgeoise Carpay Diem.

Sécurité, réseau 5G et cybersécurité

Loin de s’affoler, le député européen à l’initiative de la fronde politique fait remarquer que «dans l’industrie, on avait aussi commencé par préférer le wifi avant de basculer vers la 5G, faute de quoi les robots ne fonctionneraient pas...»

 a annoncé, début avril, vouloir posséder son propre réseau en 5G, en se passant d’un opérateur télécom classique.  dans des collaborations diverses et variées.

D’autres rêvent déjà à voix haute de deux cartes SIM dans la même voiture, une pour la prudence, l’autre pour la consommation de contenus et les services. Et insistent.

Choisir la 5G, c’est accélérer aussi le développement des puces électroniques, et donc de la souveraineté européenne contre les puces chinoises ou américaines. D’autres, enfin, comme le spécialiste de la cybersécurité .

Plus de 300 start-up rêvent de conquérir ce marché, .

Avant la fin de la mandature, le conseil des ministres européens des Transports devrait se positionner sur le sujet. Et bloquer le choix de la Commission? Un mystère à 83 milliards d’euros.