Des dividendes moins élevés et des résultats moins élevés, couplés à une nouvelle stratégie, dont un «découplage» de l’activité «Networks», ont passablement perturbé les marchés, ce lundi. Avis de tempête sur le fleuron de l’économie luxembourgeoise. (Photo: Shutterstock)

Des dividendes moins élevés et des résultats moins élevés, couplés à une nouvelle stratégie, dont un «découplage» de l’activité «Networks», ont passablement perturbé les marchés, ce lundi. Avis de tempête sur le fleuron de l’économie luxembourgeoise. (Photo: Shutterstock)

À l’annonce de ses résultats annuels et de sa nouvelle stratégie, SES a enregistré sa plus grosse chute en bourse depuis 2004. Les perspectives ne sont pas réjouissantes, disent les uns. L’idée d’un «SES Cloud» perturbe le marché, disent les autres. Le CEO, Steve Collar, relativise.

À 11 heures, il s’en est fallu d’un cheveu pour que le cours de l’action de SES atteigne un plus bas historique, 6,40 euros le 28 mai 2004 contre 7,10 euros ce lundi matin. À 7,90 euros le titre à l’heure où nous écrivions cet article, la société luxembourgeoise n’est plus que l’ombre de celle qui a flirté avec les 35 euros en avril 2015.

«Si nos résultats ne sont pas mauvais», nuance le CEO de SES, , à la mi-journée, au cours d’une conférence de presse menée au pas de charge au château de Betzdorf, «nos prévisions pour les années à venir sont inférieures à celles que nous faisions il y a un an. Ensuite, le secteur de la vidéo est en pleine restructuration, ce qui semble diminuer les besoins de nos clients, tandis que celui de la connectivité est en croissance, mais sans que l’on soit vraiment capable de prédire de combien.»

Un quart d’heure plus tôt, le Britannique venait quand même d’annoncer une croissance à deux chiffres pour l’an prochain dans ce secteur. Selon les résultats annuels d’hier – c’est le cas depuis plusieurs années – le secteur «Video» recule sans que le secteur «Networks» ou connectivité compense ces pertes, d’où le problème du modèle d’affaires de l’opérateur luxembourgeois de satellites pour le moment.

Le cours de l’action SES a chuté jusqu’à 7,10 euros ce lundi matin. Quasiment un plus bas historique. (Photo: Google)

Le cours de l’action SES a chuté jusqu’à 7,10 euros ce lundi matin. Quasiment un plus bas historique. (Photo: Google)

Enfin, avec un dividende à 0,40 euro contre 0,80 euro, l’intérêt d’avoir ce titre dans son portefeuille paraît mince à moins d’être Luxembourgeois et d’avoir une confiance inébranlable dans la société fortement soutenue par l’État.

L’État rassure et déstabilise dans le même mouvement

Comme si les métriques financières ne suffisaient pas à refroidir l’investisseur «bon père de famille», le CEO de SES a annoncé une vaste réflexion sur la création d’une deuxième société – que nous appellerons par exemple «SES Cloud» – dont l’objectif, a-t-il expliqué, serait de permettre d’attirer des venture capitalists sur l’unique secteur en pleine croissance, «Networks», tandis que le secteur «Video» resterait sous le giron de SES.

SES est confrontée depuis toujours au même problème: la part de l’État dans son capital est à la fois un bienfait et un malheur. Un bienfait parce qu’en cas de période de trouble, l’État joue son rôle de garant de la continuité, là où des investisseurs n’auraient aucun état d’âme. Un malheur, parce que justement en raison du rôle de l’État, les VC savent qu’ils ne pourront pas atteindre des retours sur investissement similaires à ceux dont ils pourraient rêver ailleurs.

Comment l’État pourrait-il accepter de perdre le contrôle sur une autre société? Steve Collar n’a pas vraiment répondu à cette question, se réfugiant derrière le côté prospective de la réflexion, mais si l’État conserve la même part de capital, le problème sera identique.

La solution doit commencer à exister vraiment, sans quoi l’État, qui a été informé de cette communication, n’aurait pas permis que le chef d’entreprise intègre cela à sa communication sur ses résultats annuels.

Une maîtrise totale de la donnée

Pourtant, l’idée de Collar est loin d’être stupide. CEO d’O3b en pleine croissance (avant 2016), CEO de SES Networks (à partir de 2016) quand SES a commencé à y investir, il est arrivé aux manettes de SES au moment où son prédécesseur, Michel Karim Sabbagh, ne voulait pas accélérer assez fort avec la coûteuse acquisition d’O3b – autrefois projet «caritatif». Le Britannique voit dans le cloud un axe fort du besoin à venir. C’est vrai, la 5G et la multiplication des objets connectés vont aboutir à un big bang de la donnée qu’il va bien falloir stocker, faire circuler et pouvoir analyser en temps réel pour qu’elles aient de la valeur.

Utiliser le satellite pour cela a du sens parce qu’il est plus difficile à hacker. D’autant que SES travaille depuis quelques années dans un consortium européen qui développe une technologie quantique. Le mix transmission par satellite plus quantique offrirait une belle carte à la société luxembourgeoise. À condition qu’elle stocke elle-même les données. Steve Collar évoque des partenariats avec des experts de ces problématiques plutôt que la création d’un data center qui permette vraiment de lancer un «SES Cloud» avant de répondre «why not?» lorsqu’il est directement interrogé sur cette possibilité.

Maîtriser la totalité de la chaîne de la donnée plutôt que d’offrir des failles en se payant les services d’autres sociétés paraît sur le papier un beau projet. Dans l’avis de tempête, personne ne s’est attardé sur les deux noms qui rejoindront un conseil d’administration ramené à 12 directeurs: Béatrice de Clermont-Tonnerre, ex-Lagardère, ex-Canalsatellite et ex-Google, et Peter Van Bommel, qui arrivera en avril directement du conseil de surveillance de Royal KPN, l’opérateur de télécoms néerlandais, et qui viendront remplacer et Hadelin de Liedekerke Beaufort, tandis que Victor Casier et quitteront le conseil pour le ramener à 12.

De 4 à 6 milliards de dollars à encaisser

Bizarrement, le marché n’a pas du tout tenu compte de la bonne nouvelle de vendredi dernier: le régulateur américain a validé le plan 5G, selon lequel SES recevra au minimum 4 milliards de dollars, en deux parties. La première partie doit à peu près coïncider avec le moment où la société luxembourgeoise doit débourser un milliard pour SES-17 et O3b mPower, en 2021, tandis que la seconde permettra de désendetter SES, qui flirte toujours avec sa limite.

Et son avantage sera à ce moment-là d’avoir une nouvelle génération de satellites capables de lutter avec la constellation d’Elon Musk, qui envoie des dizaines de nanosatellites à la fois à basse orbite pour monter un réseau du même type.

«C’est justement à partir de modèles comme celui-là que nous nous sommes dit que nous devions voir comment mettre en place une structure qui attire des investisseurs», a commenté M. Collar. «Elon Musk attire des centaines de millions de dollars d’investissement alors qu’il n’a pas de réseau ni de client… Mais je ne suis pas Elon Musk…»