La BCE ne devrait pas relever ses taux directeurs avant d’avoir achevé son programme d’achats d’actifs. (Photo:Shutterstock)

La BCE ne devrait pas relever ses taux directeurs avant d’avoir achevé son programme d’achats d’actifs. (Photo:Shutterstock)

Avec le taux de l’inflation qui vient de franchir le plafond de 5%, la première réunion de politique monétaire de la BCE de cette année s’est conclue sur un fond d’incertitudes liées à la hausse des prix et au choc énergétique. La BCE attend d’ajuster ses prévisions pour sa prochaine réunion des gouverneurs, en mars.

Il n’y a pas encore de fumée blanche quant à une possible hausse des taux d’intérêt de la Banque centrale européenne (BCE). «Le taux d’intérêt des opérations principales de refinancement ainsi que ceux de la facilité de prêt marginal et de la facilité de dépôt demeureront inchangés», a communiqué la BCE à l’issue de la première réunion de l’année de son conseil des gouverneurs qui s’est tenue ce 3 février. La BCE maintient donc sa stratégie de politique monétaire, conformément à ce qu’elle avait annoncé en décembre 2021, c’est-à-dire fixée à l’objectif d’inflation de 2%.

Lors de leur précédente réunion, les gouverneurs avaient déjà décidé de diminuer progressivement le programme d’achats d’actifs (APP) de la BCE. Ce qui a été confirmé à l’occasion de la présente réunion: «Les achats nets mensuels en vertu du programme d’achats d’actifs seront de 40 milliards d’euros au deuxième trimestre 2022 et de 30 milliards au troisième trimestre.» À partir d’octobre et «pendant aussi longtemps que nécessaire», la BCE continuera ses achats nets d’actifs à hauteur de 20 milliards d’euros par mois.

Cette information prend toute son importance quand, en plein milieu de sa conférence de presse, la présidente de la BCE, Christine Lagarde, déclare: , ne laissant pas entrevoir une possible hausse des taux d’intérêt avant 2023. «Le niveau élevé actuel de l’inflation donne l’occasion à la BCE de mettre fin aux achats d’actifs cette année et de commencer à relever les taux d’intérêt peu après», commente Vincent Juvyns, stratège de marché mondial chez J.P. Morgan Asset Management.

Alors que la Banque d’Angleterre a déjà annoncé deux hausses de taux et que la Fed s’apprête à lancer son cycle de resserrement dès le mois de mars, la BCE est sous pression pour communiquer ses plans de normalisation de la politique monétaire.
Anna Stupnytska

Anna Stupnytskaglobal macro economistFidelity International

La patience devrait donc rester la norme. «Alors que nous ne prévoyons aucune hausse de taux pour 2022, nous pensons que la BCE commencera à préparer les marchés à une première hausse de taux en 2023, potentiellement dès la réunion de mars», commente Anna Stupnytska, global macro economist chez Fidelity International. Elle anticipe d’ailleurs une attente des marchés: «Alors que la Banque d’Angleterre a déjà annoncé deux hausses de taux et que la Fed s’apprête à lancer son cycle de resserrement dès le mois de mars, la BCE est sous pression pour communiquer ses plans de normalisation de la politique monétaire.»

La fin du programme d’achats d’urgence

Le conseil des gouverneurs de la BCE a également statué sur le programme d’achats d’urgence face à la pandémie (PEPP), qui s’achèvera à la fin du mois de mars. Il entend donc réinvestir les titres acquis dans le cadre du PEPP au moins jusqu’à la fin de 2024. «Le dénouement du portefeuille PEPP sera géré de façon à éviter toute interférence avec l’orientation adéquate de la politique monétaire», précise la BCE.

Prenant l’exemple du programme d’achats d’urgence, la BCE souligne que la pandémie a montré que la flexibilité a contribué à corriger l’altération de la politique monétaire «en période de tensions». Le conseil des gouverneurs n’exclut d’ailleurs pas une reprise de ce programme pour contrer d’éventuels futurs chocs négatifs liés à la pandémie. Plus tôt dans la semaine, nous évoquions ou de s’en inspirer en cas de risque systémique dans la zone euro suite à une aggravation des tensions en Ukraine.

Compte tenu de l’incertitude actuelle, nous devons plus que jamais maintenir la flexibilité et l’optionalité dans la conduite de la politique monétaire. Le conseil des gouverneurs est prêt à ajuster tous ses instruments, le cas échéant, pour faire en sorte que l’inflation se stabilise à son objectif de 2% à moyen terme.
Christine Lagarde

Christine LagardeprésidenteBanque centrale européenne (BCE)

De plus, la BCE précise que la flexibilité restera un élément-clé de ses prochaines politiques monétaires en période de tensions, chaque fois que des menaces compromettront la stabilité des prix. Un point tout particulièrement mis en exergue par Christine Lagarde: «Compte tenu de l’incertitude actuelle, nous devons plus que jamais maintenir la flexibilité et l’optionalité dans la conduite de la politique monétaire. Le conseil des gouverneurs est prêt à ajuster tous ses instruments, le cas échéant, pour faire en sorte que l’inflation se stabilise à son objectif de 2% à moyen terme.»

Des incertitudes

Avec un taux de l’inflation qui a augmenté pour atteindre 5,1% en janvier, contre 5% en décembre dernier, la BCE s’attend à ce que celui-ci reste élevé à court terme. «Les indicateurs de marché laissent entrevoir une modération de la dynamique des prix de l’énergie dans le courant de 2022 et les pressions sur les prix découlant des goulets d’étranglement de l’offre mondiale devraient également s’atténuer», note la présidente de la BCE.

«Même la BCE, qui a eu le problème de faire face à une faible inflation pendant si longtemps, se sentira un peu mal à l’aise avec une inflation aussi élevée que 5%», estime le stratège de marché mondial de J.P. Morgan Asset Management, Vincent Juvyns. Et il ajoute: «Mais comme l’énergie est le moteur de l’inflation globale, la question se pose de savoir si les augmentations de prix seront durables. Pour répondre à cette question, nous devons surveiller les salaires.»

Même la BCE, qui a eu le problème de faire face à une faible inflation pendant si longtemps, se sentira un peu mal à l’aise avec une inflation aussi élevée que 5%. Mais comme l’énergie est le moteur de l’inflation globale, la question se pose de savoir si les augmentations de prix seront durables. Pour répondre à cette question, nous devons surveiller les salaires.
Vincent Juvyns

Vincent Juvynsstratège de marché mondialJ.P. Morgan Asset Management

L’évolution de la récente surchauffe inflationniste est en effet incertaine avec la hausse des prix de l’énergie qui a contribué à plus de la moitié de l’inflation en janvier. Les prix des denrées alimentaires ont aussi augmenté en raison de facteurs saisonniers, des coûts de transport élevés et de la hausse du prix des engrais. Pilier majeur dans la définition de la politique monétaire, les principales mesures de l’inflation sous-jacente ont connu une hausse au cours des derniers mois. Christine Lagarde ne cache d’ailleurs pas que les perspectives de l’inflation sont à la hausse par rapport aux prévisions de décembre, tout particulièrement sur le court terme.

La présidente de la BCE reconnaît en outre que les chiffres de l’inflation en décembre et janvier ont marqué la surprise, car il aurait été difficile d’anticiper le choc énergétique. En ce sens, Christine Lagarde rappelle que le conseil des gouverneurs possède un jugement discrétionnaire dans ses prises de décision, ne se basant pas uniquement sur les projections. «Ceci est particulièrement pertinent dans les circonstances actuelles, étant donné le niveau d’incertitude et les risques géopolitiques.»

Sur ce dernier point, la patronne de la banque centrale déclare prendre au sérieux «les nuages géopolitiques qui planent sur l’Europe» et qui sont d’ailleurs pris en compte dans les modèles de prévisions. S’ils devaient se matérialiser, les risques géopolitiques auraient un impact sur les prix de l’énergie et provoqueraient par conséquent une augmentation des coûts dans toute la structure des prix. Il est donc fort probable que la prochaine réunion du conseil des gouverneurs, le 10 mars prochain, se déroule sur base de prévisions affinées, leur permettant d’en tirer des conclusions en meilleur état de cause.