Lorsque cette photo a été prise en septembre 2020, les élèves étaient autorisés à retirer leur masque lorsqu’ils étaient assis à leur table. Cela a changé depuis et le masque est obligatoire à tout moment, également pour les élèves du primaire. (Photo: Romain Gamba / Archives Maison Moderne)

Lorsque cette photo a été prise en septembre 2020, les élèves étaient autorisés à retirer leur masque lorsqu’ils étaient assis à leur table. Cela a changé depuis et le masque est obligatoire à tout moment, également pour les élèves du primaire. (Photo: Romain Gamba / Archives Maison Moderne)

Près d’un an après que le premier cas de coronavirus a été signalé au Luxembourg, les écoles du pays font des va-et-vient entre l’enseignement en classe et l’apprentissage en ligne, avec des enfants et des adolescents désespérés de pouvoir revenir à la normalité. Deux enseignants ont partagé leur expérience avec Delano.

«Les enfants sont à bout. Il y a ce sentiment de ‘quand cela va-t-il finir?’», déclare Sarah*, qui travaille avec des élèves du préscolaire et du primaire dans une école privée au Luxembourg.

Le Grand-Duché s’est confiné le 16 mars 2020 et les écoles ont rapidement dû s’adapter à l’apprentissage en ligne. Elles ont rouvert en mai, laissant quelques semaines d’enseignement en classe avant les vacances d’été. Et bien que le gouvernement visait à garder les écoles ouvertes autant que possible, elles ont été forcées de fermer à nouveau pendant une semaine en février, en pleine propagation rapide de nouveaux variants du virus.

«Chaque fois, vous repartez de zéro», poursuit Sarah à propos des allers-retours, qui obligent également des enfants, des classes ou des années à être mis en quarantaine en fonction de leur exposition au virus, même lorsque le reste de l’école reste ouvert. «On voit que les enfants ont vraiment du mal à revenir à un cadre social normal, qu’ils ont perdu le sens des rapports sociaux normaux.»

Et tandis que les plus jeunes s’adaptent rapidement à de nouvelles situations, Sarah observe que les angoisses ressenties à la maison se répercutent sur les enfants. «Ce n’est pas la pandémie qui les accable. C’est autre chose, c’est voir que maman et papa n’ont pas le temps. Le retour de beaucoup de parents est qu’ils ne peuvent pas faire face, pas être au courant de tout. Ce stress domestique est davantage le problème. Il y a un changement d’atmosphère dans la sphère familiale.»

Il est important de repérer ces symptômes, insiste l’enseignante. «On doit apprendre à décrypter les enfants différemment», dit-elle, tout en gardant en tête une vue sur le comportement de l’élève avant la pandémie.

Sarah s’attend à ce que davantage d’enfants redoublent un an ou aient besoin d’un soutien supplémentaire. «Les parents doivent comprendre qu’il s’agit d’un cadre inhabituel. Ce n’est la faute de personne si votre enfant a besoin d’aide maintenant. Il n’y a rien de mal à cela», poursuit-elle.

Mais elle exhorte également les parents à parler aux enseignants de leurs enfants, en particulier lorsqu’ils estiment que quelque chose ne va pas. «On entend des parents se plaindre de ce que les enseignants font de mal. Parlez à l’école plutôt que de nourrir votre enfant de pensées négatives à la maison. Prenez du recul et voyez ce qui est le mieux pour lui», assène Sarah, qui est elle-même mère. «Chacun a un rôle à jouer dans cette situation.»

«Nous sommes à un point critique»

Un sentiment d’agitation grandit également chez les élèves plus âgés du secondaire, explique Jérôme*, professeur de chimie dans un lycée luxembourgeois. «Nous sommes à un point critique», résume-t-il. «Beaucoup de gens sont au bord du gouffre et ne tiendront plus très longtemps.»

L’enseignant explique qu’il s’entretient régulièrement avec ses élèves au sujet de la pandémie. «Ils manquent de sorties, de sport, de contacts sociaux. Il est difficile d’être motivé à l’école quand on n’a pas cet équilibre. Je me souviens à quel point c’était important pour moi, à l’époque, d’avoir un moyen de décompresser», admet-il. «Je suis vraiment désolé pour eux. C’est la somme de tout ce qui pèse sur eux.»

Faire de nouvelles expériences, tester les limites, l’exaltation de quitter l’école, la transition vers l’université, un premier emploi, l’entrée dans l’âge adulte – beaucoup de ces expériences sont perdues, sans possibilité de les refaire plus tard. C’est la génération Covid.

Les écoles se sont adaptées à l’apprentissage en ligne, supprimant les contenus des programmes qui ne sont pas essentiels pour passer à l’année suivante ou passer à l’université. Pour le professeur de chimie, les travaux pratiques posent un défi particulier et il a dû supprimer certains des aspects les plus amusants des sujets. «Il est difficile d’inspirer de l’excitation», déplore-t-il. «C’est un type d’école complètement différent.»

Et bien qu’il dise se sentir en sécurité à l’école, Jérôme souhaite que le secteur soit prioritaire pour se faire vacciner, «pas avant les personnes vulnérables, mais peut-être avant les personnes du même âge qui ne travaillent pas dans l’éducation», explique-t-il. «Nous sommes exposés. Dans quel autre travail partagez-vous actuellement une pièce avec 25 personnes? Il y a un risque à l’école que le virus se transmette à plus de personnes en peu de temps.»

La charge supplémentaire de l’enseignement en ligne, qui s’adapte fréquemment aux nouvelles directives, et la fatigue pandémique pèsent sur les éducateurs. «En général, les enseignants n’inspirent pas beaucoup de compassion, mais je pense que, pour le moment, peu de gens aimeraient échanger leur place avec nous.»

Lui aussi met en garde contre les conséquences néfastes de la pandémie. Il prévoit qu’il faudra environ cinq ans aux écoles pour combler les lacunes laissées dans l’éducation des élèves en raison de la pandémie. L’impact sur la santé mentale est plus difficile à estimer, bien que les signes d’épuisement professionnel se multiplient, également parmi le personnel.

«Si les choses s’améliorent en mai-juin, que le temps est meilleur et que l’on a droit à plus de libertés, sans rebond à l’automne, je pense que les dégâts seront limités», estime l’enseignant. «Mais si c’est une année comme la précédente, je suis pessimiste quant à la façon dont nous allons y faire face.»

* Les deux enseignants interrogés ont demandé à ne pas être identifiés, leurs noms ont donc été modifiés.