Finaliser une enveloppe, définir un cadre, scruter le marché avec précision. Six ans après, Alain Rodermann l’assure: le Digital Tech Fund a été précieux. (Photo: Maison Moderne/Archives)

Finaliser une enveloppe, définir un cadre, scruter le marché avec précision. Six ans après, Alain Rodermann l’assure: le Digital Tech Fund a été précieux. (Photo: Maison Moderne/Archives)

Créé en 2016 pour ajouter un volet «VC local» à l’écosystème luxembourgeois des start-up, le Digital Tech Fund arrivera au bout de la première saison fin juin. Déjà se profile la saison 2, sur fond de satisfaction des partners d’Expon Capital qui gèrent les 20 millions d’euros de ce PPP.

«Nous sommes contents parce que nous n’espérions pas que cela se passe aussi bien.» Partner d’Expon Capital, la société ayant été choisie en 2016 par Étienne Schneider, alors ministre de l’Économie, pour gérer une enveloppe de 20 millions d’euros apportés par l’État (5), la Société nationale de crédit et d’investissement (3), l’Université du Luxembourg (1) et six partenaires (SES, Arendt et Medernach, Post, Proximus, la BIL et High Capital), et répartie en deux fonds (Vintage 1 et Vintage 2), Alain Rodermann ne fanfaronne pas.

Le travail d’un venture capitalist n’est pas toujours bien compris et l’exercice n’est pas facile: le fonds est censé apporter du capital en amorçage (voire en série A) à des start-up déjà basées au Luxembourg ou en phase d’installation au Luxembourg, qui ont déjà une activité et qui ont moins de sept ans.

Sur 1.242 opportunités identifiées depuis 2016, 437 dossiers de 400 start-up ont été étudiés par les VC, 91 ont retenu leur attention, 33 sont entrés dans le dur et 11 ont finalement bénéficié de fonds d’amorçage ou de série A pour 14,2 millions d’euros.

Le VC local, presque le plus important

Pour 9,1 millions d’euros en réalité, mais la stratégie a été directement adaptée selon des principes bien connus des ventures capitalists. Outre les fonds d’amorçage – ceux que des investisseurs donnent à la start-up quand elle a épuisé ses propres deniers et qu’elle est en croissance – ils ont «réservé» une série A à celles qu’ils ont retenues pour éviter qu’au moment où elles auraient besoin d’aller plus vite, elles ne se retrouvent démunies. Quoi qu’on en dise, le monde du VC est très fermé au Luxembourg et les quelques stars identifiées regardent bien au-delà du pays. «Or, si une start-up ne parvient pas à convaincre un VC local, aucun VC extérieur ne va regarder la start-up en question», assure l’autre partner impliqué, Jérôme Wittamer.

C’est par exemple ce qui s’est passé avec un des projets les plus prometteurs, Salonkee et sa solution de réservations pour salons de coiffure, salons de beauté et autres spas. Comme Thibaut Britz et Christophe Folschette (Talkwalkers), le DTF a participé au premier tour de 1 million d’euros début 2019, puis à la série A de l’été dernier à 6,2 millions d’euros, rejoint par une myriade d’investisseurs allemands, belges ou néerlandais ou encore le partner d’Atoz, Olivier Remacle.

Il y a plusieurs façons de «regarder» le Digital Tech Fund. Avec 9 millions d’euros investis, le DTF représente seul 9% des investissements en amorçage au Luxembourg, ou 40% avec ceux qui se sont joints au fond (18 millions d’euros de plus). «Cela nous a permis justement de placer le Luxembourg sur la carte», argumente M. Wittamer. «Dans sept deals, nous ne sommes pas seuls mais avec d’autres investisseurs étrangers.»

Des échecs, comme dans tout fonds

Ensuite, ces start-up ont recruté 52 équivalents temps plein au moment de l’investissement, dont 28 développeurs, et en ont atteint 90, dont 54 développeurs, aujourd’hui. Interrogées une par une sur leurs perspectives de développement, elles ont indiqué qu’elles emploieraient autour de 250 personnes à terme. À l’autre bout de la chaîne, elles ont attiré des clients comme L’Oréal, Carrefour, Renault, National Geographic, Cisco, ArcelorMittal, Tesla ou Lafarge Holcim.

Mais il faut se souvenir que le venture capitalism n’est pas une science exacte et que des événements peuvent venir percuter des projets qui sur le papier avaient l’air de mériter de l’attention et de l’investissement.

C’est le cas de Nektria, premier investissement du DTF en 2017. «C’est un échec», reconnaît M. Wittamer. Les 500.000 euros ont été versés à la maison-mère à Barcelone et après avoir compté au maximum un employé au Luxembourg en 2017 et 2018, la start-up spécialisée dans le dernier kilomètre d’une livraison semble plutôt prête à disparaître du paysage local. Si elle a séduit deux groupes de supermarchés en Espagne, elle n’ira probablement jamais plus beaucoup loin que la rentabilité.

On peut aussi s’interroger, par exemple, sur l’intérêt réel de soutenir Finarta, plateforme qui réunit des galeries d’art pour que des clients fortunés puissent réaliser des achats et des ventes en toute discrétion, compte tenu de son impressionnant tour de table, qu’ont rejoint Claude Kremer (fondateur et partner de chez Arendt) ou David Arendt (ex-CEO du Freeport). La pandémie et ses confinements ne semblent pas véritablement booster l’intérêt pour la plateforme qui n’a enregistré que dix nouvelles galeries d’art en 2021, en plus de ses 280 précédentes, qui représentaient tout de même, selon le CEO de la start-up,

100% des start-up locales étudiées

Comme on peut s’interroger sur l’allemande iTravel, dont l’impact est quasiment nul sur l’économie luxembourgeoise à part les avocats appelés à enregistrer les deux sociétés qui ont été tour à tour immatriculées ici. Surtout dans un contexte de voyages limités pour cause de Covid qui joue les prolongations.

Pour les autres, Wizata (technologie industrielle), Passbolt (service de gestion de mot de passe), Nexten.io (plateforme de recrutement de développeurs), Next Gate Tech (fintech d’automatisation pour les fonds d’investissement), Accélex (solution de consolidation de données et de reporting pour les investisseurs et les fonds) ou encore Hydrosat (analyse de données de satellites dans la gestion de l’eau), il faudra un peu de patience pour savoir si elles cochent les cases de la réussite pour le DTF.

Si les entrepreneurs critiquent régulièrement le petit nombre de tickets via ce biais, les deux hommes se défendent, estimant avoir croisé quasiment 100% des start-up luxembourgeoises et avoir mis en place un cadre d’analyse rigoureux qui n’existait pas. Avec 11 sociétés dans le portfolio sur 1.242 opportunités, Expon a investi dans deux fois plus de projets que le benchmark de Forbes (0,88% des possibilités, contre 0,35% pour la moyenne des fonds d’amorçage selon Forbes).

À l’heure où le mandat se termine, en juin, et qu’ils finalisent les derniers deux ou trois deals, ils préparent un Vintage 3 pour juillet et un Vintage 4 pour plus tard. Ils cachent à peine qu’il faudra que le Luxembourg soit plus audacieux et augmente l’enveloppe à disposition: les start-up de Berlin ou de Paris ont reçu deux fois plus de fonds d’amorçage à périmètre équivalent: 2,53 millions d’euros en Allemagne par start-up et à Paris, contre 1,4 à Luxembourg.

Or cette case est essentielle à un écosystème déjà bien doté en espaces d’incubation et d’accélération et pas encore assez en profils diplômés d’entrepreneurs. Même s’il existe 70 projets dans l’incubateur de l’Université du Luxembourg, qui pourraient un jour prochain devenir de prometteuses start-up.

[Note au lecteur: si jamais vous comptiez, il manque quelques start-up dans la liste, dont les deals ne sont pas encore finalisés. Et tant qu’ils ne sont pas finalisés, ils ne le sont pas, même si Expon, au nom du DTF, sera dans le tour de table.]