À l’instar de la robustesse de la réglementation, la mutation technologique des banques constitue l’un des principaux vecteurs de concurrence entre les places financières. (Photo: Shutterstock)

À l’instar de la robustesse de la réglementation, la mutation technologique des banques constitue l’un des principaux vecteurs de concurrence entre les places financières. (Photo: Shutterstock)

L’avenir de la Place luxembourgeoise se joue dès aujourd’hui. Le gendarme financier, la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF), en a bien conscience et encourage les professionnels de l’industrie à embrayer leur transition technologique avec la blockchain.

Le rôle du régulateur financier luxembourgeois, la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF), ne se limite pas qu’au contrôle des institutions financières. Dans sa mission de protéger le fonctionnement et la durabilité de la Place, le volet technologique joue un rôle de premier ordre. C’est ainsi que, dans un souci d’accompagner les banques dans leur transformation numérique, la CSSF a publié un livre blanc sur la Distributed Ledger Technology (DLT) et la blockchain.

D’emblée, la CSSF reconnaît que l’innovation, utilisée correctement, contribue à l’amélioration des services financiers. Ceci étant, «les institutions doivent démontrer que les exigences prudentielles et réglementaires sont respectées», rappelle la CSSF, qui reste dans son rôle de régulateur. Raison pour laquelle les professionnels du secteur financier doivent effectuer une due diligence technologique, c’est-à-dire une évaluation des risques liés à la technologie qui sera déployée. «Ces risques doivent être clairement identifiés, atténués et surveillés tout au long du cycle de vie de l’utilisation», souligne la CSSF.

La blockchain, un type particulier de DLT, a vu son potentiel mis en évidence en 2008 avec le développement de la première cryptomonnaie, le bitcoin. Treize ans plus tard, le gendarme financier luxembourgeois confirme que «la blockchain a fait ses preuves en termes de sécurité et de robustesse» et qu’elle pourrait avoir un impact significatif sur le secteur financier dans la décennie à venir. Ainsi, les opportunités sont nombreuses, telles que dans le domaine des ICO, le KYC et l’identification de la clientèle, la garantie, la distribution des fonds d’investissement et les systèmes de paiement.

Il y a 15 ans, j’ai prédit que le nombre de banques au Luxembourg passerait de 220 à moins de 150. Certains disaient que c’était fou. Aujourd’hui, nous en avons 123. Beaucoup d’entre elles n’existaient pas il y a 10 ans. Mais, de même, beaucoup ne seront plus là dans 20 ans.
Claude Marx

Claude Marxdirecteur généralCommission de surveillance du secteur financier (CSSF)

La CSSF ne cache pas son intérêt pour l’évolution de l’industrie bancaire. Son directeur général, Claude Marx, s’est d’ailleurs montré très observateur quant aux changements du secteur à l’occasion de l’événement 10x6 Luxembourg – Financial centre,  mardi dernier: «Il y a 15 ans, j’ai prédit que le nombre de banques au Luxembourg passerait de 220 à moins de 150. Certains disaient que c’était fou. Aujourd’hui, nous en avons 123.» Et il ajoute: «Beaucoup d’entre elles n’existaient pas il y a 10 ans. Mais, de même, beaucoup ne seront plus là dans 20 ans.»

Un cadre législatif mis à jour

Si le régulateur financier communique de plus en plus facilement autour de la technologie de la blockchain, c’est notamment en raison d’un cadre législatif qui devient propice. Rien qu’au niveau national, depuis 2019, deux lois, appelées «lois blockchain», permettent la conservation de titres sous forme distribuée par inscription dans une blockchain et l’émission de titres dématérialisés. La loi anti-blanchiment a quant à elle fait l’objet d’une modification en 2020 avec l’introduction du statut de prestataire de services d’actifs virtuels soumis à un agrément.

Au niveau européen, la Commission européenne a adopté en 2020 un paquet législatif sur la finance numérique. Ce dernier comprenait une proposition de réglementation sur les marchés des crypto-actifs, une autre sur la résilience opérationnelle numérique du secteur financier et une dernière sur un régime pilote pour les infrastructures de marché basées sur la blockchain.

Les banques de demain seront différentes. Elles repenseront leur modèle opérationnel – les back, middle et back-offices – en utilisant des technologies telles que la DLT.
Claude Marx

Claude Marxdirecteur généralCommission de surveillance du secteur financier (CSSF)

Dans un contexte législatif et technologique qui évolue rapidement, la CSSF se dit fortement sollicitée par des institutions aussi bien financières que non financières et des start-up. L’arrivée de nouveaux acteurs et les attentes des clients poussent les acteurs bancaires historiques à se renouveler. «Les banques de demain seront différentes», note le patron de la CSSF, Claude Marx. «Elles repenseront leur modèle opérationnel – les back, middle et back-offices – en utilisant des technologies telles que la DLT», poursuit-il.

Une gestion des données sous-utilisée

Plus aucune fonction de la banque de demain ne pourra échapper à une transformation numérique, à en croire Claude Marx, car il en va de l’intérêt qu’elles deviennent plus agiles. «Elles saisiront l’opportunité de la fintech et de la regtech dans des domaines tels que le reporting, la conformité, le robo-advisor et l’interface client», donne-t-il comme exemples.

De la sorte, il est attendu de la blockchain qu’elle aide les institutions financières à améliorer notamment la gestion de leurs données. «Les données sont disponibles, mais elles sont encore largement sous-utilisées par de nombreuses banques», observe Claude Marx. Ainsi, une blockchain est un type particulier de structure de données qui transmet et stocke les données dans des blocs et relie ces derniers les uns aux autres dans une chaîne à l’aide d’un ensemble d’outils cryptographiques. D’où le nom de «blockchain».

À savoir aussi que la blockchain crée une structure de données en croissance unique. Ce qui signifie que des données peuvent uniquement y être ajoutées, sans que les données existantes puissent être supprimées. C’est donc de là que la blockchain tire sa réputation de maintenir à la fois l’intégrité et l’immuabilité des données.

Un souci de compétitivité

Soucieuse de la stabilité du secteur qu’elle supervise, la CSSF l’est tout autant de sa pérennité. La transformation numérique des banques étant devenu un avantage concurrentiel pour chaque place financière, cela passera en partie par l’attractivité des banques en tant qu’employeurs, relève Claude Marx: «Avec certains emplois qui pourraient disparaître à cause de tâches répétitives, les fonctions de conformité et de reporting se retrouveront sans aucun doute affectées. Les robots prendront en charge certains emplois. D’autres emplois à forte valeur ajoutée seront créés.» Il continue: «Cela nécessite de se concentrer sur l’employabilité et la formation des employés actuels et de s’ouvrir à de nouveaux talents diversifiés venant d’autres endroits et d’autres secteurs.»

Avec certains emplois qui pourraient disparaître à cause de tâches répétitives, les fonctions de conformité et de reporting se retrouveront sans aucun doute affectées. Les robots prendront en charge certains emplois. D’autres emplois à forte valeur ajoutée seront créés.
Claude Marx

Claude Marxdirecteur généralCommission de surveillance du secteur financier (CSSF)

Du point de vue des modèles d’affaires, il faut également s’attendre à de forts changements dans le paysage bancaire. Selon Claude Marx, deux modèles pourraient émerger. D’une part, des banques intégrées, agiles et innovantes, spécialisées dans des segments de marché spécifiques ou des zones géographiques clés. D’autre part, des banques rassemblant des compétences internes avec des blocs de compétences venant de parties tierces tels que des fintech ou des robo-advisors spécialisés.

Comme le dit le directeur général de la CSSF, «les banques sont rarement les premières à agir, mais ont toujours adopté les innovations qui ont utilement bénéficié à leurs clients». Toutefois, la course à l’innovation est déjà bien entamée et il ne faudrait pas attendre encore bien longtemps pour voir une place financière se distinguer prochainement en matière de blockchain. Comme le montre une étude publiée par l’investisseur institutionnel suisse Crypto Valley Venture Capital (CV VC), créé en 2018, 50 start-up spécialisées dans la blockchain dans lesquelles il a investi en 2021 pèsent plus de 600 milliards de dollars. Ce qui correspond à une augmentation de 464% par rapport à l’année précédente.