Alexandre Gauthy, macroéconomiste chez Degroof Petercam Luxembourg. (Photo: Patricia Pitsch/ Maison Moderne)

Alexandre Gauthy, macroéconomiste chez Degroof Petercam Luxembourg. (Photo: Patricia Pitsch/ Maison Moderne)

L’inversion de la courbe des taux d’intérêt entre taux courts et longs est souvent perçue comme un signe avant-coureur d’une prochaine récession. Toutefois, même si c’est le cas depuis un mois aux États-Unis, Alexandre Gauthy, macroéconomiste chez Degroof Petercam Luxembourg, relativise la menace.

Le vendredi 22 mars, le taux américain à 10 ans est passé sous le niveau de celui à 3 mois, inversant ainsi la courbe des taux américaine. Dans la sphère financière, la courbe des taux est connue pour être l’un des meilleurs indicateurs précurseurs. L’inversion de celle-ci aux États-Unis a souvent précédé des contractions de l’activité économique.

La courbe des taux peut être mesurée de plusieurs manières. Une définition communément utilisée fait référence à la différence entre le rendement des obligations d’État à 3 mois (le taux court) et celui de ce même type d’obligation à échéance plus longue (à 10 ans de maturité).

Dans un environnement de marché normal, les obligations longues offrent un rendement supérieur aux papiers courts, afin de compenser l’investisseur pour le risque de détenir une obligation sur une échéance plus lointaine.

Dans le passé, une inversion de la courbe des taux a souvent devancé les entrées en récession de 9 mois à 2 ans. Même si cet indicateur a déclenché quelques faux signaux, chaque récession américaine au cours des 50 dernières années a été précédée d’une courbe inversée. Devons-nous dès lors nous inquiéter du signal donné par le marché obligataire?

Perspectives de croissance économique américaine

Ce signal négatif de marché doit être mis en relation avec les fondamentaux de l’économie américaine. Une inversion de la courbe des taux n’est en soi pas une cause de récession. Elle reflète l’intégration par le marché d’une probabilité croissante de baisse de taux de la banque centrale, justifiée elle-même bien souvent par un ralentissement économique palpable accompagné d’un risque de récession.

Aujourd’hui, nous n’apercevons pas de déséquilibre majeur dans l’économie, que ce soit en termes d’endettement privé ou de surinvestissement dans l’un ou l’autre secteur, ce qui dans le passé a été source de vulnérabilité.

La consommation privée, qui représente un peu moins de 70% de l’économie américaine, même si elle s’affaiblira probablement cette année, devrait continuer d’être supportée par les créations d’emplois, par le degré élevé de la confiance des consommateurs, ainsi que par les hausses salariales.

La politique monétaire n’est pas encore restrictive

Un taux court supérieur à un taux long peut bien souvent être la simple conséquence d’un resserrement trop abrupt de la politique monétaire de la banque centrale (qui pilote les taux courts). Or, le taux directeur de 2,4% actuellement en vigueur ne constituerait pas encore un frein significatif pour la croissance économique.

Malgré qu’il ait augmenté par rapport à son niveau plancher de 0%, le taux de la banque centrale se situe légèrement sous le niveau considéré comme étant neutre pour l’activité économique. Bien que difficilement mesurable, selon plusieurs estimations, le taux d’équilibre à long terme de la banque centrale américaine serait légèrement inférieur à 3%.

Le niveau actuel des taux courts ne constitue pas encore un frein notoire pour l’activité économique.

Alexandre GauthyMacroéconomisteDegroof Petercam Luxembourg

Enfin, certains éléments contemporains exercent en outre des pressions baissières importantes sur les taux longs et rendent ainsi la courbe plus plate et plus sensible à une inversion que précédemment. Parmi ceux-ci, soulignons certaines mesures macro-prudentielles mises en place après la crise qui incitent les banques à détenir davantage d’obligations émises par les États, ainsi que les programmes d’achat d’obligations gouvernementales par les banques centrales.

L’inversion récente de la courbe des taux aux États-Unis a suscité de nombreuses inquiétudes. Nous sommes cependant d’avis que celle-ci reflète essentiellement le biais excessivement prudent pris par la Réserve fédérale, plus que des perspectives d’entrée imminente en récession.

Le niveau actuel des taux courts ne constitue pas encore un frein notoire pour l’activité économique. D’autre part, des éléments plus structurels exercent une pression baissière sur les taux longs, facilitant ainsi une inversion. Enfin, nous ne notons pas de déséquilibre majeur à ce stade dans l’économie.

La croissance économique américaine devrait effectivement ralentir quelque peu cette année, mais la probabilité d’entrée en récession aux États-Unis nous semble à ce stade relativement faible.