Les deux tiers du document stratégique de la Commission européenne sur l’intelligence artificielle sont exclusivement consacrés à la réglementation. (Photo: Shutterstock)

Les deux tiers du document stratégique de la Commission européenne sur l’intelligence artificielle sont exclusivement consacrés à la réglementation. (Photo: Shutterstock)

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a présenté mercredi un double document pour «façonner l’avenir numérique de l’Europe». Les deux tiers de celui sur l’intelligence artificielle sont consacrés à la réglementation. L’ambition européenne?

«L’approche européenne sur l’intelligence artificielle, basée sur la confiance et l’excellence, donnera aux citoyens la confiance d’adopter ces technologies pendant qu’elle encouragera les entrepreneurs à les développer.»

La punchline du  de la Commission européenne semble déjà bien… confiante, alors même qu’il n’est qu’un document sur lequel tous ceux qui le veulent peuvent envoyer des commentaires jusqu’au 19 mai.

Il s’accompagne d’un deuxième document, une stratégie européenne sur la donnée.

Sept mois après le Luxembourg

Impossible de ne pas remarquer une similitude avec la stratégie que le Premier ministre, , et son ministre de l’Économie, , avaient présentée… le 24 mai. Comme le Luxembourg, la Commission européenne a présenté deux documents. Comme le Luxembourg, le premier porte sur l’intelligence artificielle, et le second sur la donnée. Comme le Luxembourg, le premier fait une vingtaine de pages (27 pour Mme von der Leyen, 24 pour M. Bettel), et le second une quarantaine (35 pour Mme von der Leyen, 48 pour M. Schneider).

Un nouvel exemple de l’attitude de «first mover» qui a toujours caractérisé l’action politique luxembourgeoise? Oui et non, parce qu’il faut se pencher sur le fond pour voir les différences.

La réglementation, objectif européen numéro 1

Le texte sur l’intelligence artificielle de la Commission européenne comprend six chapitres, dont l’introduction et la conclusion. Le plus gros, 16,5 des 27 pages (!), ne porte que sur la réglementation, signe que, dans un marché européen encore très (/trop) fragmenté, la première question va être de mettre tout le monde d’accord alors qu’une poignée d’États membres ont déjà lancé leur propre stratégie sur l’intelligence artificielle. Fallait-il consacrer autant d’espace et d’énergie à cette section, alors que l’on affirme attendre les réactions pour lancer les chantiers de ce que la présidente de la Commission européenne a appelé «la souveraineté numérique européenne» à mettre en œuvre et à défendre?

La politique de l’Auberge espagnole

Avant même que chaque État membre, chaque expert ou chaque entrepreneur n’apporte sa propre pierre à l’édifice commun, l’exécutif européen a soigneusement veillé à ce que tout le monde soit cité dans le document, des individus aux citoyens, des PME aux entreprises du secteur public, du monde de la recherche et de la science à celui des investisseurs et fournisseurs de capitaux. La déclinaison des «écosystèmes d’excellence» ou «écosystèmes de confiance» sonne en creux avec les habituelles discussions sur la localisation des agences ou institutions de l’Union européenne. Pour que ce plan ait une chance, il faudra que chacun ait sa part du gâteau, visible, même si le principe général doit placer chaque entreprise et chaque citoyen dans les meilleures conditions, indépendamment de son État membre d’origine.

Le flou des chiffres

Bienheureux celui qui se retrouve dans les chiffres. Mais pas seulement. Le premier chiffre cité dans le document est de 3,2 milliards d’euros, le poids de l’investissement dans la recherche en Europe, opposé aux 12,1 milliards américains, ou 6,5 milliards chinois. Si on comprend bien la différence de braquet à l’heure où les discussions budgétaires vont une nouvelle fois se terminer au bout de la nuit par un compromis insatisfaisant au regard des ambitions climatiques et numériques, ces chiffres datent de 2016. Est-il vraiment impossible d’avoir des chiffres à jour dans ce genre de documents?

Combien y a-t-il de chiffres d’ordre financier dans ce document? Six exactement, mais aucun qui donne une enveloppe budgétaire globale que la présidente de la Commission européenne aurait l’intention de voir affectée à ce sujet crucial pour l’avenir de l’Union européenne. Outre les trois premiers, elle évoque 20 milliards d’euros pour l’intelligence artificielle, qu’elle voudrait attirer par an et sur 10 ans (page 5), un fonds d’investissement pilote sur l’intelligence artificielle et la blockchain doté de 100 millions d’euros (page 7) et 4 milliards d’euros pour le calcul quantique et le high performance computing.

Quid des technologies de demain?

Si Mme von der Leyen évoque le high performance computing, cher en particulier au Luxembourg, ou le calcul quantique, elle évoque à peine les solutions neuromorphiques et la reconnaissance faciale. Sur ce dernier point, relève le MIT, le moratoire de cinq ans imaginé dans la première version de ce texte, fin janvier, a disparu du paysage. L’impact de la 5G, dont le déploiement devrait commencer cette année dans un certain nombre de capitales et de grandes villes européennes, est à peine abordé, alors qu’il aura des répercussions sur toutes sortes de communications, sur l’internet des objets, sur la voiture autonome ou sur la smart city, par exemple... autant de thématiques où l’Europe pourrait devenir une véritable pionnière mondiale avec un peu d’ambition qui dépasse les matchs État contre État.