«Ces mesures de modernisation et de simplification qui sont apportées par le texte actuel profitent en fait exclusivement à l’administration des contributions et n’entraînent aucun renforcement des droits des contribuables, bien au contraire», s’emporte le député (CSV) à propos du . Ce texte vise à modifier la loi générale des impôts, dans «une optique de simplification et de modernisation des procédures applicables aux contribuables», selon l’exposé des motifs du projet de loi porté par le ministère des Finances.
Un projet plus que nécessaire puisque les dispositions actuelles, dont le texte d’origine est hérité des lois allemandes restées en vigueur après la Seconde Guerre mondiale, ne répondraient plus aux exigences actuelles. «Il faut absolument une réforme, tout le monde est d’accord là-dessus», assure , associé fondateur du cabinet d’avocats Atoz et spécialiste des questions fiscales.
Mais si l’intention du gouvernement est la bonne et que le texte «va dans le bon sens», selon Laurent Mosar, avec notamment «quelques améliorations et précisions» positives, la réforme pose problème «puisqu’au lieu d’augmenter les droits des contribuables, on les réduit».
Délai limité pour un recours
En cause, un des mécanismes principaux: les conditions d’ouverture de la procédure de réclamation devant le directeur de l’administration des contributions directes (ACD). En cas de réclamation par le contribuable contre une décision d’imposition, l’administration fiscale a un délai de six mois pour répondre. Sans réponse de sa part, le contribuable peut déposer un recours devant les juridictions administratives. Mais si aucun délai n’était prévu jusqu’à maintenant, le nouveau texte prévoit une limite de 12 mois après écoulement du délai de 6 mois dont dispose l’administration.
Une situation qui parait «injuste» du point de vue des fiscalistes. «Si, d’un côté, il n’y a pas de réponse de l’administration, il n’y a pas de sanction», constate Keith O’Donnell. «En revanche, ne sachant pas pourquoi il ne reçoit pas de réponse, il est difficile pour le contribuable de juger de l’opportunité de faire un recours devant le tribunal. Or, s’il ne prend pas cette décision, sa non-réponse est traitée comme une exclusion du droit de recours. De ce point de vue, il y a une perte du droit des contribuables déséquilibrée», juge l’avocat.
Risque de hausse des contentieux
Surtout, cette réforme pourrait s’avérer «contre-productive» avec, loin de réduire le nombre de contentieux, le risque de l’augmenter. «Cela peut forcer les contribuables à déposer des recours plutôt qu’à attendre une réponse et par conséquent augmenter le nombre de recours devant les tribunaux administratifs. Et l’objectif de simplification ne sera pas atteint», estime l’avocat. De fait, «parfois, des sujets qui ne sont pas forcément très controversés finissent en contentieux par simple manque de temps», constate-t-il.
Or les conséquences peuvent être lourdes, que ce soit pour les contribuables ou l’administration: «De notre expérience, avec des discussions motivées et structurées, cela peut prendre une heure du temps du contribuable et de l’administration. Mais en situation de contentieux, avec une obligation de réponse formelle, cela devient beaucoup plus lourd. Chacun de ces recours peut prendre entre 10 et 40 heures à traiter. Ce qui est juste mission impossible pour l’administration», s’alarme Keith O’Donnell, alors même que l’ACD croule déjà sous les dossiers en attente d’être traités.
D’autres mesures défavorables
Laurent Mosar identifie d’autres éléments de la réforme en défaveur du contribuable, notamment lorsque celui-ci ne remplit pas sa déclaration fiscale dans les délais. Dans une telle hypothèse, l’administration fiscale peut décider une imposition forfaitaire, que le contribuable peut contester. Avec la réforme, «cette contestation est limitée aux cas où la différence entre le montant de l’imposition forfaitaire et ce que vous pensez devoir au fisc ne dépasse pas les 10%», explique le député. «Ainsi, au-dessous de 10%, vous n’avez plus de droit de réclamation, ce qui revient à une sanction», considère-t-il.
Autre exemple d’évolution défavorable: «Jusqu’à maintenant, le contribuable pouvait profiter automatiquement d’une loi fiscale plus favorable, même sans en réclamer le bénéfice. Désormais, il faudra en faire préalablement la demande. Donc on limite les possibilités de réclamer a posteriori les bénéfices des mesures fiscales prévues par la loi si celles-ci n’ont pas été initialement demandées dans la déclaration fiscale», explique Laurent Mosar.
À l’encontre de la tendance générale
Une panoplie de mesures qui ne vont pourtant pas dans le sens des pays avoisinants. «Les textes modernes, notamment dans nos pays voisins, donnent de plus en plus de droits aux contribuables», constate le député. «Il y a un encouragement, par exemple de l’OCDE, pour avoir des relations plus ouvertes entre contribuables et administration, afin justement d’éviter les contentieux et le besoin de faire plus d’audits ou de révisions», juge par ailleurs Keith O’Donnell, qui estime que la direction luxembourgeoise ne suit pas une «tendance générale» ou une «ligne internationale».
Cette réforme, autour de laquelle les premières discussions ont eu lieu dès 2013, a-t-elle été mise à jour pour prendre en compte la réalité actuelle? «Il ne nous semble pas», répond l’avocat. «On a l’impression que ce projet est sorti sans beaucoup de consultations», ajoute-t-il. «Nous aimerions qu’il y ait une occasion pour des acteurs intéressés comme nous d’émettre des propositions. Cela permettrait, plutôt que ce projet de loi assez limité, d’essayer de voir le sujet dans sa globalité et de faire une réforme qui serait du win-win pour tout le monde, contribuables et administration.»