Alexandre Gauthy, macroéconomiste chez Degroof Petercam Luxembourg. (Photo: Patricia Pitsch/ Maison Moderne)

Alexandre Gauthy, macroéconomiste chez Degroof Petercam Luxembourg. (Photo: Patricia Pitsch/ Maison Moderne)

Samedi 14 septembre, des attaques de drones ont été perpétrées sur des installations pétrolières saoudiennes qui sont responsables d’environ 5,5% de la production mondiale de pétrole. Jamais l’offre pétrolière n’avait subi un tel choc. Les dernières informations semblent indiquer que l’offre de pétrole sera rapidement rétablie, ce qui explique la détente récente des prix du baril.

Si une rupture d’approvisionnement en pétrole durait plus longtemps, il existe suffisamment de solutions alternatives pour compenser le recul de la production à court terme. Le manque d’offre peut être compensé de différentes manières: en puisant dans les stocks de pétrole existants, en utilisant les «réserves stratégiques» de certains pays, et en levant les restrictions de production de l’OPEP et de la Russie, qui avaient été mises en place en 2016 pour stabiliser les prix suite à la baisse des prix pétroliers de 2014 et 2015.

En cas de perturbation prolongée de la production, plusieurs pays producteurs, comme les États-Unis, pourraient, en l’espace de deux ou trois mois, mettre en service des gisements redevenus rentables grâce au cours du pétrole plus élevé. Les attaques contre les installations pétrolières saoudiennes, qui devraient selon toute vraisemblance redevenir rapidement opérationnelles, ne modifient donc pas fondamentalement à plus long terme le rapport entre l’offre et la demande de pétrole.

Si, in fine, l’offre de pétrole a pu être rapidement rétablie, cet événement soulève néanmoins d’importantes interrogations. Dans quelle mesure des installations pétrolières sur le sol saoudien pourraient subir des attaques similaires dans le futur? Un conflit militaire entre l’Iran et l’Arabie saoudite est-il devenu inévitable?

Cette politique américaine de pression économique maximale sur l’Iran a pour objectif que le pays accepte les termes américains d’un nouvel accord nucléaire.
Alexandre Gauthy

Alexandre GauthymacroéconomisteDegroof Petercam Luxembourg

Le risque d’un conflit militaire dans la région a clairement augmenté. Les attaques ont été revendiquées par les rebelles Houthis du Yémen, pays voisin avec lequel l’Arabie saoudite est en conflit armé depuis la guerre civile de 2015. Ces rebelles sont soutenus militairement et financièrement par l’Iran, ce qui explique pourquoi Téhéran a été rendu responsable par l’Arabie saoudite et les États-Unis. L’Iran réfute néanmoins ces accusations. Les drones sont une arme de plus en plus utilisée au Moyen-Orient, de par leur coût de fabrication relativement faible. Ces appareils qui peuvent mesurer de quelques dizaines de centimètres à la taille d’un Boeing sont difficilement détectables par les technologies de défense antiaérienne. De plus, le coût élevé des systèmes de défense aérienne fait des drones un instrument militaire redoutable.

Pourquoi l’Iran aurait-il orchestré ces attaques? Depuis la sortie des États-Unis de l’accord nucléaire iranien en mai 2018 et le durcissement des sanctions américaines envers l’Iran, les exportations pétrolières du pays se sont écroulées, les pays alliés des États-Unis ne pouvant plus acheter du pétrole iranien. Cette politique américaine de pression économique maximale sur l’Iran a pour objectif que le pays accepte les termes américains d’un nouvel accord nucléaire. En instaurant des sanctions sur les exportations de pétrole iranien, les États-Unis privent l’Iran d’une source de revenus importante. Le pays subit une inflation galopante et une récession économique profonde, ce qui se traduit par un appauvrissement de la population iranienne.

Les attaques jaugent la tolérance américaine à une attaque militaire envers ses alliés du golfe.
Alexandre Gauthy

Alexandre GauthymacroéconomisteDegroof Petercam Luxembourg

Un autre point important est que les attaques ne visaient pas directement les Américains, mais l’Arabie saoudite, ennemi juré de l’Iran, et principal allié des Américains dans le golfe. L’objectif est sans doute de montrer que les sanctions américaines ne resteraient pas sans représailles. Si l’Iran ne peut exporter du pétrole, ses concurrents doivent également en souffrir. Ensuite, les attaques jaugent la tolérance américaine à une attaque militaire envers ses alliés du golfe. Les Américains ont réagi en augmentant leur présence militaire dans le golfe et en imposant des sanctions vis-à-vis de la Banque centrale iranienne, ce qui ne fera qu’accentuer le malaise économique de l’Iran.

L’Iran et l’Arabie saoudite se livrent déjà des guerres de proximité au Yémen et en Syrie. Si les preuves indiquent que les drones ont été lancés par des Iraniens, cela constituerait une frappe directe de l’Iran envers l’Arabie saoudite, ce qui marquerait un tournant dans le conflit entre les deux puissances du golfe.

Pour sa part, la stratégie américaine qui consiste à mettre le maximum de pression économique sur l’Iran est une stratégie à double tranchant. Si elle réussit, l’Iran, acculé économiquement, se verrait contraint d’accepter les termes américains d’un nouvel accord nucléaire pour sortir de ses difficultés économiques. La conclusion d’un accord permettrait de lever les sanctions américaines sur l’Iran.

Mais la stratégie américaine pourrait également pousser l’Iran à devenir plus agressif envers les alliés américains dans la région, ce qui augmenterait considérablement le risque de mauvais calcul, d’erreur de jugement et de conflit armé dans le golfe. Même si les États-Unis et l’Arabie saoudite ont annoncé à maintes reprises qu’ils préféraient éviter une guerre avec l’Iran, il ne faut cependant pas totalement exclure cette possibilité.