Jean-Yves Leborgne, portfolio manager, ING Luxembourg. (Photo: Patricia Pitsch / Maison Moderne Publishing)

Jean-Yves Leborgne, portfolio manager, ING Luxembourg. (Photo: Patricia Pitsch / Maison Moderne Publishing)

Alors que les prévisions de croissance mondiale sont revues régulièrement à la baisse par bon nombre d’instituts (OCDE, FMI, Banque mondiale, etc.), on pourrait s’attendre à une moindre demande pour le pétrole cette année, d’autant que les réserves mondiales restent élevées.

Comment, alors, expliquer qu’entre le 31/12/18 et aujourd’hui, le prix du Brent soit passé de 54 à 67USD, gagnant au passage environ 24%? Quels facteurs soutiennent les prix pour l’instant? Est-ce que cette hausse est durable dans le temps? Et quels en seraient les effets sur l’inflation?

Intéressons-nous d’abord aux raisons qui expliquent la remontée actuelle, à savoir les producteurs. Et en premier lieu, l’Opep. L’Arabie saoudite a décidé, en décembre dernier, avec l’Opep et la Russie, de réduire sa production. Ainsi, la production du plus grand champ pétrolifère au monde, Safaniya, devrait baisser de près de 1,5 million de barils par jour (mbj) dès ce mois-ci. Au total, les exportations de l’Opep, qui ont totalisé en moyenne 25mbj en 2018, devraient baisser de 5% à 10% entre mars et septembre 2019. Comme l’équilibre budgétaire en Arabie saoudite n’est atteint que lorsque le prix du baril est supérieur à 80USD, le pays pourrait continuer de faire pression sur l’Opep pour décider de coupes supplémentaires. La situation en Russie est moins urgente, puisqu’on estime à 50USD le prix qui permet l’équilibre budgétaire.

Autres pays qui pourraient influencer le cours du brut: le Venezuela et l’Iran. Le Venezuela a vu sa production baisser fortement ces dernières années à cause de la situation dramatique dans laquelle se trouve le pays: de 2,5mbj en 2015, la production est passée à 1mbj fin 2018. 0,5mbj étaient destinés aux USA, mais les sanctions américaines sont entrées en vigueur le 28 janvier. Et il y a peu de chance pour que l’Inde et la Chine, qui n’absorbent que 0,3mbj de pétrole vénézuélien, compensent la demande américaine. Les livraisons du Venezuela devraient donc continuer à baisser. Par ailleurs, les sanctions américaines contre l’Iran sont aussi entrées en vigueur (5 novembre 2018). L’Iran devrait exporter, en 2019, seulement la moitié des 2,5mbj qu’il a produits en 2018.

Au Canada, la province de l’Alberta a annoncé, fin 2018, une forte réduction de sa production afin de réduire les écarts de cours entre les barils WCS (canadiens) et WTI (américains). Opération réussie, puisque les coupes dans la production dès janvier 2019 ont permis de réduire l’écart de 50USD à 11USD par baril entre octobre et mars.

Les États-Unis devraient dès lors conforter leur place de premier producteur mondial cette année.

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Aux États-Unis, la hausse des cours et la baisse de la production dans les autres parties du monde ont poussé la production à la hausse. En janvier, elle a presque atteint 12mbj, une moyenne dont l’Agence internationale de l’énergie pense qu’elle sera maintenue en 2019, contre une moyenne de 10,9mbj en 2018. Les États-Unis devraient dès lors conforter leur place de premier producteur mondial cette année.

Si les coupes de production sont nombreuses, et parfois spectaculaires, le marché devrait quand même revenir à l’équilibre en 2019, sans toutefois connaître des conditions de pénurie, du fait d’une moindre croissance économique mondiale et d’une production américaine en hausse.

Et les marchés l’ont bien compris: le gros des positions «longues» (ce sont les contrats qui couvrent contre une hausse des cours et, plus ils sont volumineux, plus c’est un signe que le marché attend des prix élevés) a été liquidé ces trois derniers mois: les positions longues nettes sont passées de 41 milliards d’USD fin septembre à 10 milliards en janvier, prouvant ainsi que les marchés n’anticipent plus de forte hausse pour le moment.

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Avec un marché en équilibre et des positions spéculatives réduites pour l’instant, la remontée actuelle des cours devrait donc s’essouffler. Le Brent devrait ainsi finir l’année sous la barre des 75USD. Au niveau de l’inflation en zone euro, cela impliquerait un taux compris entre 1,2% et 1,4%. Pas de quoi pousser la BCE à accélérer la fin de sa politique monétaire accommodante.